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Emmanuel Macron a-t-il changé de stratégie économique ?
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Virage à 360°

Non, mais avant il faut répondre à quelques questions et remarques qui occupent notre espace médiatique.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Que c’est compliqué ! Tout cela n’est était pas prévu ! Ça fait combien ? Qui va payer ?

Compliqué et pas du tout prévu… Oui, reconnaissons que les mesures annoncées sont compliquées à mettre en œuvre et qu’il faudra les préciser. Ainsi, dire qu’on va augmenter de 100 euros par mois le salaire de la personne payée au SMIC ne veut pas dire que le SMIC augmente de 100 euros. Cette augmentation viendra, outre la hausse prévue en janvier pour corriger de l’inflation (20 euros), de la réduction des charges d’octobre en compensation de la hausse de la CSG des retraité (20 euros), plus, pour le solde, de l’anticipation sur deux ans de la prime pour l’emploi (PPE). Et ceci implique qu’il faudra traiter les cas des personnes à temps partiel, en fonction des tailles des familles et plus encore de celles qui sont proches du SMIC, avec des hausses amorties de la PPE. Bonne chance ! Quant à la prime de 1000 euros entièrement défiscalisée, elle concernera les salariés qui perçoivent moins de 3 600 euros nets par mois. Et ainsi de suite.

Ça fait combien ? Plus de 10 milliards. Tout n’est pas comptabilisé, entre les dépenses (la prime d’activité, le chèque pour changer de véhicule), les moindres rentrées connues (annulation de la hausse de la CSG pour certaines retraites et de la taxe sur l’essence) et, plus encore, les « moindres entrées inconnues ». Les primes de 1 000 euros sans charges vont être (sûr) utilisées pour permettre des augmentations nettes de charges et impôts pour l’entreprise, avec pertes de ressources fiscales pour l’état. La désocialisation des heures supplémentaires va permettre aussi des hausses de salaires moins coûteuses. Partout, il y aura des effets pervers en défaveur du budget, des aubaines pour les salariés et les entreprises, sans compter des distorsions et anomalies que l’on découvrira plus tard.

Qui va payer ? Le déficit et la dette, donc les impôts plus tard et, en attendant, la croissance plus faible, avec la perte de confiance des entrepreneurs et la montée des taux d’intérêt. En contrepartie, on pourra calculer un effet demande qui soutiendra l’activité, les hausses de ces salaires conduisant plus à augmenter la consommation que l’épargne, donc la TVA. La question portera alors sur la satisfaction de cette demande, par de la production domestique ou par l’importation. Mais quels seront les effets durables de ce choc salarial : inflation, importation, emploi avec des entreprises plus confiantes ?

Et après, ce plan est-il un changement vers une politique de la demande ou le maintien d’une politique d’offre ? Est-ce qu’il change la stratégie d’Emmanuel Macron ?

Réponse : c’est un maintien d’une politique d’offre, avec des aménagements de calendrier. En effet, Emmanuel Macron ne modifie pas sa politique d’assouplissement du contrat de travail, notamment pour les PME et TPE. Les ordonnances demeurent, les allocations chômage suivies de près, avec une pression à accepter des offres d’emploi proches des capacités du demandeur. Ce sera à l’Etat de protéger plus, en lieu et place de l’entreprise. Les aides et soutiens seront de plus en plus fonction de conditions de ressources, qu’il s’agisse des allocations familiales ou de l’épargne, avec la sous-rémunération du Livret A (utilisé par les cadres pour parquer leurs liquidités) et le fléchage vers le Plan d’épargne populaire.

Au fond, l’Etat doit s’occuper des plus pauvres, l’entreprise des salariés, en lui donnant plus de moyens : flexibilité sociale et baisse des impôts, afin d’innover, investir, former et embaucher. Et pour financer cette entreprise, le CICE demeure pour réduire ses charges de manière pérenne, l’ISF est supprimé pour les actifs financiers et la flat tax à 30 % reste, qui avantage les revenus financiers. Les volets sociaux et financiers demeurent, la mutation énergétique n’est pas oubliée, mais (très) décalée.

Mais alors, pourquoi ces dépenses ?

Evidemment pour répondre à l’urgence sociale, illustrée par les gilets jaunes. En fait pour répondre à la Smicardisation croissante de la société et à la stagnation du revenu médian sur dix ans, alors que montent les dépenses de loyer, électricité, assurance, essence ou entretien du véhicule. Mais tout ceci en faisant attention à ne pas trop déraper sur la dépense publique : des économies seront cherchées (peut-être en ralentissant les embauches), des recettes de poche et privatisations trouvées, et les baisses d’impôt d’entreprises repoussées. En fait, les effets de courbe en J, où les effets positifs prennent du temps à se manifester, sont encore plus lents et complexes qu’auparavant, sans doute avec la révolution technologique. Elle détruit les emplois simples et routiniers et crée peu d’emplois qualifiés.

Ce qui arrive à Emmanuel Macron arrive à tous ceux qui ont voulu faire des réformes du côté de l’offre, Président ou Premiers ministres : de Gaulle avec la régionalisation (et après 68), Rocard face à Mitterrand, Sarkozy face à la crise de 2008, Hollande à la fin de son mandat. C’est la difficulté croissante à faire changer une économie pour qu’elle devienne plus compétitive, avec moins de déficit extérieur et budgétaire.

Est-ce que la conjoncture va aider ?

Pas vraiment : l’économie mondiale ralentit, les États-Unis un peu, la Chine inquiète, l’Allemagne décélère, avec un dernier trimestre négatif, du fait de l’exportation. Ce retournement de l’économie mondiale se répercute dans les prévisions revues en baisse de la Banque centrale européenne, avec une croissance du PIB de 1,9 % en 2018, 1,7 % en 2019, 1,7 % en 2020 et 1,5 % en 2021. De ce fait, et pour compenser, les taux américains vont peu ou pas monter, et pas monter en 2019 à la BCE. Quant au pétrole, même avec la baisse annoncée par l’Opep, son prix ne monte pas. Les États-Unis sont toujours les premiers producteurs au monde et ne réduisent pas leur production, la demande inquiète, avec le ralentissement en cours, notamment chinois. Bref, sans crise, l’économie mondiale est moins porteuse. Ceci en attendant la récession américaine qui finira bien par venir, après une si longue expansion !

Est-ce que l’environnement à moyen et long terme va aider ?

Pas vraiment, car la révolution technologique avance et que nous prenons du retard, comme le montrent nos comptes extérieurs, la faiblesse de nos start ups ou la difficulté à orienter la formation vers les mathématiques, les sciences ou l’Intelligence Artificielle. La France baisse dans tous les classements. Dans le classement PISA de l’OCDE, nous étions en 2000 au score 507 contre l’Allemagne à 487 ; en 2015 la situation s’inverse : France 496, Allemagne 508.  Le croisement a lieu en 2006… quand la balance commerciale manufacturière devient négative. La France investit moins en R&D que l’Allemagne : 1,4% du PIB contre 2% dans le secteur privé, avec moins de robots et de compétitivité, mais toujours plus de pression fiscale, à partir d’un socle moins rentable.

Au fond, les « gilets jaunes » sont la manifestation de la crise de compétitivité et de productivité de l’économie française dans la phase actuelle de révolution technologique et de mondialisation. La paupérisation et l’endettement en sont les symptômes, avec le chômage durable et massif. Mettre l’accent sur la formation, la recherche, la flexibilité du travail, la remontée des salaires par celle des profits est donc le choix macronien qui demeure, même s’il a pris deux à trois ans de retard sur son cap… et donc sur la réélection qu’Emmanuel Macron avait prévue !

Bien sûr, si la conjoncture est plus adverse en dépit de choc de demande, si l’emploi faiblit encore (il ne monte plus que de 4 000 par mois), puis le chômage remonte, les tensions vont reprendre. Alors pourraient revenir l’idée de sortir de l’euro ou de taxer plus, mais nous ne serons plus, alors, dans une stratégie d’offre, moins encore de transition écologique. Du Brexit en pire ? Au fond, Emmanuel Macron garde l’essentiel de son programme, quitte à faciliter son acceptation en augmentant le déficit. Mais il n’est pas sûr que cela suffise dans un environnement plus adverse et exigeant, ni qu’il soit compris.

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