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La reine Elizabeth II assiste au lancement du Queen's Baton Relay pour les Jeux du Commonwealth depuis le parvis du palais de Buckingham à Londres, le 7 octobre 2021.
La reine Elizabeth II assiste au lancement du Queen's Baton Relay pour les Jeux du Commonwealth depuis le parvis du palais de Buckingham à Londres, le 7 octobre 2021.
©JUSTIN TALLIS / AFP

La force du silence

Il n’est pas anodin de constater que les seules voix à s’être montrées critiques sur l’héritage de la Reine soient celles de guérilleros de la justice sociale, fortement inspirés par le wokisme. Beaucoup plus que sa couronne ou le système traditionnel qu’elle incarnait, c’est l’exemplarité morale de sa vie qui les dérange tant son sens de l’effacement derrière une cause plus grande qu’elle-même tranche avec l’égotisme de l’idéologie néo-progressiste.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Elizabeth II a consacré sa vie au trône, souvent au détriment  de sa vie personnelle et familiale, sans jamais se mettre en avant. Dans quelle mesure s’est elle dévouée à quelque chose de plus grand qu’elle ?  A quel point la reine Elizabeth II avait-elle en cela une forme de force civilisationnelle ?

Bertrand Vergely : On se trompe quand on voit dans Elisabeth II quelqu’un qui ne s’est pas mis en avant et qui s’est dévoué à quelque chose de plus grand en étant un modèle de civilisation. Quand on est un individu moderne, vivant pour son moi, on cherche à se mettre  avant. Quand on est la reine d’Angleterre  et, au delà,  du Commonwealth qui rassemble 2, 5 milliards  sujets répartis sur 53 pays, il en va autrement. On n’est pas un individu comme un autre.  Élisabeth II l’a très vite compris en se conformant aux quatre règles dictées par cette spécificité.

1. La reine d’Angleterre est la reine d’Angleterre.

2. En étant la reine d’Angleterre, elle a comme mission de se comporter en reine.

3. Elle se comporte en reine en étant la gardienne fidèle de la continuité de la nation et de l’image de cette continuité.

4. Gardienne de cette continuité et de l’image de cette continuité, en aucun cas elle ne se mêle de politique, cette dernière relevant des partis, du Parlement et des gouvernements.

Durant 70 ans, Élisabeth II a respecté cette règle à la lettre puisque jamais durant son règne elle n’a fait part de ce quelle pensait des politiques qui se sont menées et des différents premiers ministres, 15 au total, qui se sont succédé dans son bureau. Cette rigueur donne l’impression qu’elle ne s’est jamais mise en avant. Erreur. Elle n’a cessé de mettre en avant la reine d’Angleterre qu’elle était en jouant son rôle de reine de tous les Anglais.

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Elle donne par ailleurs l’impression de s’être dévouée à quelque chose de plus grand qu’elle. Erreur là encore. Ellefait mieux que cela ense dévouantà l’Angleterre et aux Anglais, c’est-à-dire non pas à une grandeur mais à son peuple.

Enfin, elle donne l’impression d’avoir été un modèle de civilisation. C’est exact. À condition de ne pas faire de confusion. Élisabeth Ii apparaît comme un modèle parce quelle a épousé à la perfection un modèle déjàlà et non parce qu’elle s’est présentée comme tel. L’Angleterre se fonde sur une tradition de parfaite éducation. Élisabeth IIa respecté cette tradition. En la respectant, elle a honoré son peuple.

Sa disparition creuse aujourd’hui un trou. On s’interroge. Charles sera-t-il en mesure de continuer ce qu’Élisabeth a su incarner ? Le doute introduit par cette question ne vient pas tant de Charles que de la modernité et de nous. Saura-t-on supporter encore longtemps un monarque qui se tient au-dessus de la mêlée en ne faisant pas de politique ? Rien n’est moins sûr. Notre monde impudique et bavard ne supporte pas la discrétion et la bienséance. S’il se laisse aller à ses passions en faisant de celles-ci la règle qui doit tout gouverner, on voit mal comment la monarchie qui a existé pourra survivre.

Les éloges sont venus nombreux et il n’y a eu que très peu de voix discordantes dans la sphère médiatique. Les seules voix à s’être montrées critiques sur l’héritage de la Reine semblent être celles de guérilleros de la justice sociale, fortement inspirés par le wokisme. Comment expliquer ce phénomène ?

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Bertrand Vergely : Quand un odieux dictateur meurt, quand un criminel de guerre disparaît, quand un bourreau tortionnaire décède, quand un bandit trépasse et que l’on voit des chefs d’État se précipiter pour chanter leurs louanges et des foules en faire des saints, on a raison de s’insurger en craint au scandale afin que le monde se réveille et devienne éveillé, awake comme disent les partisans du wokisme.  Mais que l’on sache, Élisabeth II n’a pas été  un dictateur, une criminelle,  un bourreau et un bandit. Au contraire. Se tenant impeccablement, elle n’a cessé de forcer le respect non seulement de son peuple mais du monde. Certes, l’Angleterre a été un pays colonial  et on peut à juste titre lui reprocher les violences que le colonialisme a engendrées. Reste que, quand on le fait, il importe de bien le faire. Or, constatons le, le wokisme le fait d’une façon à la fois stupide et dangereuse.

Le wokisme souhaite qu’il n’y ait plus ni racisme, ni viol, ni humiliations de toutes sortes entre les hommes. Il y a un moyen d’y parvenir : développer la conscience morale la plus élevée qui soit. Enseigner le respect. Être aussi digne et respectueux qu’Elisabeth a su l’être. Est-ce ce que fait le wokisme ? Non. À part dénoncer, crier, ameuter, invectiver en déversant des flots de haine et d’insultes, il ne fait rien. Ne faisant rien pour vraiment changer la conscience humaine, il faut osercette conclusion : finalement l’inconscience qui existe ne le dérange guère. Elle l’arrange au contraire en lui offrant l’occasion de crier. Allons plus loin. Le wokisme adore le racisme et la haine. Il prétend être contre la haine. Mais en haïssant au nom de la justice comme il le fait, il l’adore Il prétend détester le racisme. Mais en invitant à être anti-blanc, il aime le racisme.

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Quand on entend juger la violence des hommes, il y a un cadre, un temps, des règles, des procédures à respecter. Il y a notammentla règle démocratique qui veut que l’on juge parce que la communauté humaine donne le droit de le faire en exigeant en retour qu’on lui rende des comptes. Avec le wokisme, constatons le, plus rien de tout cela. Plus de cadres, plus de temps, plus de règles, plusde responsabilité démocratique. À la place, un tribunal permanent de l’humanité avec des juges autoproclamés, autrement dit la morale sur le mode du banditisme et de la délinquance. Pratique dangereuseconduisant droit à la guerre civile comme en témoigne ce tweet : « C’est quoi la mort de la reine Élisabeth ? C’est la blanchité, le camp impérialiste, capitaliste et surtout blanc ».

À quel point l’incarnation royale et l’effacement d’Elizabeth II derrière son rôle tranche-t-il avec l’égotisme de l’idéologie néo-progressiste ? Dans quelle mesure est-elle l’opposée de cela ?

Bertrand Vergely :La dignité de la reine Elisabeth tranche évidemment avec la brutalité et la grossièreté du wokisme. Toutefois, en opposant la reine au wokisme on fait une erreur. Que le wokisme déverse un flot de crachats sur elle n’est guère étonnant. Il ne sait rien faire d’autre. Face à cela, l’intelligence de la reine a consisté et consiste encore, non pas à s’opposer à cette grossièreté, mais à ne même pas s’y opposer.

Imaginons que la reine se soit opposée au wokisme en faisant des déclarations incendiaires à son sujet dans lesquelles elle aurait exprimé tout le mal qu’elle en pense. Quelle victoire pour le wokism !Au tennis, quand on joue contre le numéro un mondial, même si on perd, on a gagné. On a joué contre le numéro un mondial. En politique, il en va de même. La reine d’Angleterre s’oppose ouvertement au wokisme. Même si la reine réussit à montrer la nullité de ce mouvement, celui-ci a gagné. La reine d’Angleterre s’est publiquement opposé à lui.

Zeus ne descend pas de l’Olympe pour gifler ceux qui l’insultent. Quand on est Zeus, on s’occupe d’être Zeus. On ne perd pas son temps à s’occuper d’autre chose. Elisabeth l’a parfaitement compris et appliqué. S’occupant d’être reine, elle ne s’est pas occupé d’autre chose. C’est ainsi qu’elle s’est respectée et qu’elle a respecté sa couronne.

In fine, lorsque l’on voit l’émotion mondiale suscitée par la mort de la reine, peut-on se dire que c’est encore, malgré tout, “son” modèle qui l’emporte pour la majorité de la population ?

Bertrand Vergely : Elisabeth II a été un modèle parce qu’elle n’a jamais prétendu l’être. Elle a conquis le monde parce qu’elle n’a jamais prétendu le conquérir. Et là est sa vraie victoire et sa véritable royauté.

Un roi est un roi parce qu’il est un roi et non parce qu’il est un roi contre. Elisabeth a été la reine des Anglais parce qu’elle a été la reine de tous les Anglais, y compris de ceux qui ne l’aimaient pas. Quand on n’agit pas, on peut voir l’action comme un spectacle et un jeu. On n’agit pas. On regarde. Quand on agit, on ne peut pas. On agit. On ne regarde pas. On ne joue pas. On n’est pas au spectacle.Nous voyons Elisabeth II comme un modèle et nous disons que ce modèle a gagné. Elle a toujours été un modèle. On le savait. Aujourd’hui, ce n’est pas cela qui est nouveau. C’est la façon dont on le dit. On n’a pas peur de le dire. On n’en a pas honte. Il y a là un signe. La grossièreté ne fait plus recette.

Un vivant qui meurt fait toujours trois cadeaux aux vivants. En quittant le monde, il fait aux autres le cadeau de la place qui était la sienne pour que d’autres viennent la prendre. En quittant le monde, il fait aussi aux autres le cadeau des biens qui étaient les siens afin que ceux-ci en profitent. Enfin, parfois, un vivant qui quitte le monde offre aux autres une mémoire, des valeurs et un esprit. Avec le décès d’Elisabeth II, c’est vraiment le sentiment que l’on a. Comme un bateau qui s’éloigne vers le large en laissant derrière lui une trace d’écume dans les eaux, quelque chose comme des valeurs et un esprit sort de sa disparition.

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