Égypte et révolutions arabes : retour à la case départ ou risque de guerre civile ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Depuis jeudi dernier, à la suite du coup d’Etat perpétré par l’armée et la destitution du président islamiste Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, des attaques perpétrées par des groupes islamistes ont fait planer un climat de guerre civile.
Depuis jeudi dernier, à la suite du coup d’Etat perpétré par l’armée et la destitution du président islamiste Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, des attaques perpétrées par des groupes islamistes ont fait planer un climat de guerre civile.
©Reuters

Chaos

Après de violents affrontements avec l'armée égyptienne qui ont fait au moins 42 morts dans la nuit de dimanche à lundi, les Frères musulmans ont lancé un appel à la rébellion.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Depuis jeudi dernier, à la suite du coup d’Etat perpétré par l’armée et la destitution du président islamiste Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, des attaques perpétrées par des groupes islamistes ont fait planer un climat de guerre civile. Des milliers de partisans des Frères musulmans qui n’acceptent pas la destitution de Morsi et d’autres groupes islamistes radicaux, notamment salafistes, se sont mobilisés dans tout le pays. Refusant de suivre les consignes officielles du Parti de la Justice et de la Liberté et de l’ex-président déchu, qui ont appelé à s’opposer de façon pacifique, des groupes islamistes armés du nord du Sinaï ont attaqué dimanche dernier quatre points de contrôle des forces de sécurité à Cheikh Zoueïd, non loin des frontières de la bande de Gaza et d'Israël. L'attaque, qui a remis au centre de l’actualité nationale le "problème bédouin", a eu lieu près de la ville d'El-Arich, où des salafistes ont déjà pris d'assaut, vendredi soir, le siège du gouvernorat du Nord-Sinaï. Rappelons que le Sinaï, où les violences anti-gouvernementales ont été les plus graves, est une région particulièrement sensible, majoritairement peuplée de Bédouins et en conflit permanent avec le pouvoir central. Depuis toujours, cette zone de tension est utilisée par les groupes islamo-terroristes comme une base arrière pour les opérations contre Israël, le gouvernement égyptien ou les Chrétiens, systématiquement pris pour cible et accusés d’être les "agents" des Etats-Unis, d’Israël ou des partis laïques et gouvernements égyptiens. D’où l’assassinat d’un prêtre copte à El Arich ce week-end.

Ces différentes attaques, survenues dans une zone hautement sismique frontalière de Gaza et d’Israël, ont provoqué la mort de cinq policiers et d'un soldat. L’un des principaux groupes armés opérant dans le Sinaï, le mouvement des Djihadistes salafistes, a diffusé un communiqué menaçant “les policiers et les militaires qui mènent la répression contre la population de la péninsule”. Au même moment, le gazoduc reliant l’Égypte à la Jordanie, via le Sinaï, a une nouvelle fois été endommagé par une explosion. Depuis la chute de l’ex-Président égyptien Hosni Moubarak, en février 2011, une dizaine d'attentats a visé ce gazoduc, dont une branche alimente Israël en gaz naturel égyptien. Il est clair que l’armée égyptienne, alliée des Etats-Unis, dont elle dépend financièrement et qui demeure la seule structure capable d’empêcher un chaos général, ne pourra pas tolérer longtemps ces actions, d’autant qu’elle contrôle un partie importante de l’économie égyptienne. Elle a d’ailleurs beau jeu d’utiliser la menace terroriste jihadiste pour renforcer sa légitimité. La majorité des Egyptiens a d’ailleurs plutôt une bonne image d’elle, en tant que garant de la stabilité face à l’islamisme radical.

Une guerre civile peu probable mais un risque réel d’instabilité politique

En réalité, même s'il est impossible de prévoir le futur, le scénario de guerre civile comme en Syrie semble assez peu probable, même si les manifestations entre pro et anti-Morsi ont de quoi inquiéter et empêchent l’Egypte de sortir durablement de la crise politico-économique. Celles-ci ont déjà fait une quarantaine de morts et 1500 blessés depuis vendredi dernier. Les Frères musulmans ont certes organisé d’importantes manifestations ce dimanche, certains promettant d’aller jusqu’au "martyr", mais la mobilisation n'a pas été à la hauteur de leurs espoirs et on voit mal comment les forces islamistes pourraient mobiliser comme en Syrie, alors que l’armée demeure très populaire. A contrario, les forces laïques, globalement favorables à l’intervention de l’armée et à la destitution du Président Morsi, ont été bien plus nombreuses à manifester ces derniers jours, les déçus des Frères musulmans étant très nombreux parmi ceux qui ont sincèrement cru en la démocratie. En fait, à l’heure actuelle, la principale source de conflit ne réside plus uniquement dans la destitution de Morsi, entérinée de facto par tous les partis qui ont accepté les consultations en vue de la transition, mais dans le choix du futur premier Ministre, notamment l’ancien Directeur de l’Agence Internationale à l’Energie atomique, Mohamed ElBaradeï, dont le nom a été proposé mais que les Frères musulmans et surtout les Salafistes du parti Al Nour estiment constituer un véritable casus belli. De son côté, l'un des téléprédicateurs sunnites les plus influents du monde, Youssef al Qardaoui, issu des Frères musulmans et basé au Qatar, a publié sur son site une fatwa appelant les Egyptiens à soutenir Mohamed Morsi et à demander à l'armée de se retirer du jeu politique. Etant donné l’aura incroyable de Qardaoui dans le monde arabe (via Al-Jazeera) et en Egypte, l’appel a de quoi inquiéter. Il risque en effet de conduire de nombreux Frères musulmans à se radicaliser. Les Frères se sont aussi opposés à l'arrivée à la tête du gouvernement de celui qui avait appelé l’armée à destituer Morsi et que Farid Ismaïl, un responsable du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), parti de la confrérie, a qualifié de pur "choix de Washington"… C’est donc en vain que le porte-parole du président intérimaire, Ali Mansour, a tendu la main aux Frères, en leur annonçant qu’ils pourraient participer aux prochaines élections, y compris au scrutin présidentiel. L'armée n'a d’ailleurs pas précisé quand auraient lieu ces élections..., mais elle a assuré avoir une "feuille de route" pour assurer cette “transition”. De son côté, la principale institution sunnite d'Egypte et du monde arabe, Al-Azhar, plutôt favorable à Morsi, a évoqué vendredi, le risque de "guerre civile" en Egypte, en raison des appels à manifester lancés aussi bien par les opposants à Mohamed Morsi que par ceux du chef de l'Etat démis. Dans ce contexte hautement explosif, un membre des Frères musulmans a même été tué par balle dans le delta du Nil. A Alexandrie, des dizaines de personnes ont été blessées lors de heurts entre un défilé d'opposants laïques et des islamistes. "La vigilance est de mise si l'on veut éviter de basculer dans une guerre civile", a prévenu la grande institution sunnite égyptienne basée au Caire et infiltrée par les “Frères” depuis des années. Dans des communiqués, globalement favorables à Mohamed Morsi, Al-Azhar et les Frères musulmans ont donc pris le risque d’embraser le pays, accusant les militants anti-Morsi et autres activistes laïques de gauche ou libéraux d’être des "bandes criminelles qui attaquent les mosquées" et d’avoir “tué cinq membres” de la Confrérie en une semaine.

Retour à la case départ…

De leur côté, les anti-Morsi ont appelé leurs compatriotes à manifester en masse dans toutes les villes d’Egypte. Ils imitent ainsi la stratégie des militants laïques anti-Erdogan en Turquie, qui dénoncent eux aussi la dérive autoritaire d’un gouvernement islamiste certes démocratiquement élu mais de plus en plus arrogant et faussement "modéré". Pour les laïques des pays musulmans, les partis islamistes soi-disant convertis à la démocratie n’utilisent celle-ci que comme un moyen comme un autre d’islamiser le pouvoir et de construire progressivement et avec l’appui des démocraties occidentales et de la “communauté internationale” ce que les Frères musulmans appellent "la société islamique". Il s’agit en fait pour les Frères d’un processus d’islamisation progressive qui commence par l’individu embrigadé, puis la famille, l’éducation nationale infiltrée, les mosquées, puis l’Etat et la société islamiques. L’objectif ultime étant de recréer une société islamique universelle transfrontalière inspirée du "Califat" qui a été aboli par leur bête noire, le laïque et amateur d’alcool Atatürk, celui qui a inspiré la plupart des partis musulmans laïques que les Frères musulmans combattent depuis leur création, en 1928, en Egypte. On voit ainsi que tout est lié, et que l’histoire se répète. Après deux ans de révolutions arabes, en effet, on est ainsi revenu à la case départ : les islamistes inspirés par le Qatar et le "modèle" turc d’Erdogan ont utilisé la démocratie pour fonder, de la Tunisie à Égypte en passant par le Maroc, une “société islamique” où la Charia a vocation, à terme, à devenir l’unique source de la Constitution. Et comme depuis les années 1930, l’armée ou l’autoritarisme demeurent souvent le seul contrepoids réellement efficace pour faire obstacle à ce processus d’islamisation politique qui tente d’instrumentaliser la démocratie quand celle-ci est plus rentable que le Jihad armé selon les rapports de forces. D’où le fait qu’à Istanbul comme au Caire ou à Tunis, d’authentiques libéraux ou laïques de gauche au départ hostiles à l’autoritarisme et aux coups d’Etat militaires voient dans l’armée la seule chance d’échapper à la théocratie islamiste.Le “dilemme turc”, titre d'un ouvrage que j’ai écrit en 2003, décrivait le dilemme qui semble résister au temps et même à la révolution web : "démocratie islamiste versus dictature laïque"…

A Lire : Le Dilemme turc : Ou les vrais enjeux de la candidature d'Ankara, Emmanuel Razavi et Alexandre Del Valle, (Editions des Syrtes). Pour acheter ce livre, cliquez ici.



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