Égoïsme, vraie-fausse radicalité et intérêt matériel : le nouveau visage hideux de bien des militantismes<!-- --> | Atlantico.fr
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Des activistes opposés au projet de méga-bassine de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, en octobre 2022.
Des activistes opposés au projet de méga-bassine de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, en octobre 2022.
©PASCAL LACHENAUD / AFP

Cancer politique

Au regard des dérives de l'agri-bashing et de la violence prônée contre les méga-bassines, n'y aurait-il pas un problème avec le militantisme ?

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann

Alexandre Baumann est auteur de sciences sociales et sur de nombreux autres sujets (Antéconcept, Agribashing, Danger des agrégats, Cancer militant).

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Atlantico : Vous avez publié un livre, Le cancer militant : Le militantisme contre la cause. Qu’est-ce que ce cancer militant que vous dénoncez ? Comment se manifeste-t-il ?

Alexandre Baumann : Cette réflexion part d’un constat perturbant : de nombreux militants desservent directement la cause qu’ils prétendent défendre et, pire, ressemblent beaucoup à ceux qu’ils prétendent combattre. Par exemple, les livres d’Alice Coffin et d’Eric Zemmour ont en commun des éléments fondamentaux sexistes. Plus généralement, les partis se revendiquant de l’écologie sont sans doute les plus nocifs pour l’environnement (notamment avec leurs positions anti-OGM et antinucléaires). Comment l’expliquer ?

C’est là que j’ai découvert la problématique de l’économie du militantisme. On croit souvent que le militantisme a tendance à être désintéressé. En réalité, il y a toute une économie derrière. D’abord, sur le plan financier, il y a d’autres intérêts que les rémunérations de mandats : l’image et l’audience sont aussi monétisables (ex : les dons pour les ONG). Ensuite, il y a de nombreuses rétributions non-financières, notamment sur le plan psycho-social : le militantisme peut apporter une aura, un prestige social et même une famille. Sur un plan plus individuel, le simple fait de résoudre une dissonance cognitive (ex : je me sens responsable des problèmes dans le monde // je ne peux rien y faire) est une incitation importante. C’est globalement la thématique, développée en sociologie depuis Daniel Gaxie (1977), des rétributions du militantisme.

Cette économie ne veut pas dire que le militantisme serait par nature mauvais. Néanmoins il y a plusieurs mécaniques qui lui donnent une toxicité « naturelle », qui n’est compensée que par l’intégrité des acteurs. Plus il y a d’individus sans vergogne, plus le débat va tourner à la foire d’empoigne. Pour eux, les mauvais ennemis sont les meilleurs alliés. Ainsi, les climatosceptiques sont les meilleurs alliés des pseudo-écologistes : ils peuvent chacun dire « regardes le camp d’en face, comme il est mauvais, nous sommes contre eux, donc nous sommes meilleurs ». Plus ces mécaniques prennent d’importance, plus la voix des acteurs neutres est étouffée, plus le débat se résume à une lutte de pouvoir.

Le cancer militant est l’état final de cette décadence : la vérité n’a plus d’importance, seule l’obtention des rétributions compte. Cela peut même aboutir à entretenir les problèmes qu’ils prétendent résoudre. C’est un état pathologique de l’économie du militantisme. C’est pour cela que j’ai choisi le terme de cancer :

"Normalement, les cellules de l’organisme se multiplient de manière contrôlée. Elles se divisent lorsque nécessaire et meurent lorsqu’elles sont divisées un trop grand nombre de fois ou lorsqu’elles sont endommagées. Toutefois, lorsque les cellules se multiplient de façon anormale dans un tissu sain, cela mène à la formation d’une masse appelée tumeur." (Fondation québécoise du cancer)

Vous expliquez que ce concept permet de mieux comprendre, notamment l’agri-bashing. Pourquoi ?

L’agribashing est un système, avec des violences, des discours, des courants (pseudo-écologiste/antispéciste/hygiéniste) et un lobby, une économie. On voit une myriade de business models : le distributeur (ex : Biocoop), le parti politique, l’ONG (ex : Greenpeace), les fournisseurs de légitimité (ex : G-E. Séralini, S. Foucart), les avocats (C. Lepage), etc. Néanmoins, ce sont au final des entrepreneurs relativement « classiques » et on ne comprend pas ce marché si on ne comprend pas ses consommateurs. Pour cela, la grille de lecture élaborée dans l’étude du cancer militant est précieuse, mettant en évidence les nombreuses rétributions non-financières pouvant être tirées par les consommateurs, qui n’ont clairement pas d’intérêt financier. Cette clientèle est particulière : non seulement, ce qu’elle achète, c’est surtout une croyance, mais en plus, elle ne paye pas forcément d’argent ! Il peut s’agir de temps, d’image … ou même avec des désagréments plus physiques, comme se prendre des coups de matraque.

Le cancer militant permet donc de comprendre pourquoi tant de pseudo-écologistes enveniment la situation et agissent de manière aussi absurde écologiquement : ils ne cherchent pas à résoudre un problème environnemental, ils recherchent simplement à récupérer des rétributions, qu’elles soient financières, sociales ou purement cognitives.

Le cancer militant éclaire également comment les agribashistes ont pu s’approprier et détourner des débats internes au monde agricole (critiques contre les grosses coopératives, la question de l’appropriation de l’eau souterraine, discours sur les sols morts, critiques contre le « modèle agricole dominant », etc.) ainsi qu’obtenir la complicité de certains agriculteurs. Ils se sont infiltrés petit à petit, puis ont phagocyté le débat.

Alors que les évènements qui ont eu lieu à Sainte-Soline contre les « méga bassines » continuent de faire des vagues, faut-il y voir une manifestation de ce cancer militant mêlé à une forme d’agri-bashing ?

Cet événement s’inscrit directement dans l’agribashing, surtout avec les discours contre le « modèle agricole dominant », l’agriculture industrielle, etc. C’est en fait un totem qui a été créé de manière très intelligente, depuis plusieurs dizaines d’années. En réalité, l’agriculture est un secteur extrêmement varié : certaines exploitations américaines ont des parcelles de milliers d’hectares qui se récoltent avec 10 moissonneuses à la fois, alors que la majorité des parcelles en France font moins de 5ha (la moyenne est à 3,09ha).

Discutez avec les agriculteurs, demandez leur de vous décrire leurs pratiques et vous verrez que les discours sur le « modèle agricole » vous paraîtront bien douteux. Sur ce sujet, vous pouvez consulter le chap. 1 de mon livre sur l’agribashing et la partie 2.I.3. de mon livre sur les néonicotinoïdes, ou encore poser des questions aux @fragritwittos sur Twitter.

Cela se combine avec d’autres aspects de l’agribashing, comme le mépris global généré contre les agriculteurs présentés par les pseudo-écologistes comme déviants (~ tous ceux qui ne se soumettent pas à eux), la banalisation des violences (notamment grâce aux faucheurs volontaires) et des insultes (favorisées par la presse présentant les agriculteurs comme des empoisonneurs).

On peut effectivement parler de cancer militant : l’action des pseudo-écologistes ne s’inscrit clairement pas dans une logique environnementale. Le leadership manipule la masse croyante pour mettre en œuvre son agenda. Notez que je présentais initialement le cancer militant comme un processus bilatéral, avec deux ensembles qui se coconstruisent. Ici on voit, que, dans ce processus, l’ennemi peut être largement ou entièrement fantasmée.

Comment le militantisme en est-il arrivé là ? Qu’est-ce qui l’a permis ?

La pseudo-écologie infuse une désinformation complexe depuis plusieurs dizaines d’années, qui va se structurer en plusieurs couches, pour répondre aux éventuelles objections et doutes des militants. Elle a, en outre, infiltré diverses organisations et gagné au fil des années en légitimité. En même temps, l’écoanxiété et les discours alarmistes augmentent les rétributions cognitives à participer aux actions présentées comme des solutions. Cela permet de vendre des actions de plus en plus extrêmes à un plus grand nombre.

Les pseudo-écologistes effraient et agitent la population, présentent comme interdites les solutions (ex : OGM, nucléaire, technologie en général), désinforment pour brouiller la réalité et enferment ainsi leurs audience dans une impasse … qui n’a qu’une issue : faire ce qu’ils préconisent. Plus l’écoanxiété se développe, plus de personnes sont jetées dans ce tunnel, dans ce parcours commercial, qui peut les broyer.

J’insiste sur le terme « broyer » : ils sont réellement de la chair à canon. Il n’y a qu’à penser aux jeunes blessés à Sainte-Soline. Ce ne sont pas les dirigeants écologistes dont les mains explosent en ramassant des grenades.

Que faire face à ce dévoiement du militantisme ?

Le cancer militant a ceci de particulier que lutter directement contre lui peut avoir tendance à le renforcer. Cela confirme les militants dans leur identité contestataire et donne des armes aux leaders pour mobiliser et radicaliser la base. Cela peut être inévitable, mais la meilleure méthode est d’affaiblir les structures favorisant les mécaniques cancer militant.

Cela passe évidemment par la déconstruction de la désinformation de chaque sujet. Néanmoins, il faut lutter contre quelque chose de plus global, qui est trop répandu : l’idée que le militantisme est désintéressé. Si on comprenait précisément que, quand les militants détruisent, cassent et font, en substance, n’importe quoi, c’est pour un intérêt personnel, on diminuerait radicalement les rétributions de ces comportements. Le « militantisme » a été vendu comme une sorte d’excuse par les militants de tous bords, comme quelque chose de vertueux par nature. Il faut se départir de cette idée, il faut désenchanter le militantisme. 

Références

  • Gaxie, D., 1977. Économie des partis et rétributions du militantisme. Revue française de science politique 27, 123–154. https://doi.org/10.3406/rfsp.1977.393715
  • Baumann, A., 2022. Economie du militantisme. Le paradoxe du cancer militant, coll. « Questions contemporaines ». L’Harmattan, Paris., 164p.
  • Baumann, A., 2021. L’agribashing, une violence qui s’ignore, VA éditions., 214p.

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