Berlin est-il en train de tuer dans l'œuf l'union bancaire européenne (et pourquoi ce serait grave) ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les ministres des Finances européens ont fait part de plusieurs avancées sur l'Union bancaire, notamment sur la création d'un fonds unique de résolution des crises de crédit.
Les ministres des Finances européens ont fait part de plusieurs avancées sur l'Union bancaire, notamment sur la création d'un fonds unique de résolution des crises de crédit.
©Reuters

Au fait ?

Pierre Moscovici s'est récemment félicité des dernières évolutions européennes sur la question de l'Union bancaire, allant jusqu'à évoquer un "accord politique à 95%". S'il est vrai que des concessions de Berlin ont été obtenues, de nombreuses questions majeures restent bloquées, en particulier celle de la mutualisation des dettes de l’eurozone.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : A l'horizon du sommet européen qui se tiendra du 19 au 20 décembre prochain, les ministres des Finances européens ont fait part de plusieurs avancées sur l'Union bancaire, notamment sur la création d'un fonds unique de résolution des crises de crédit en dépit de l'opposition de Berlin. Les Allemands devraient pourtant conserver un droit de veto qui permettrait de bloquer toute intervention future dudit mécanisme. Faut-il admettre en conséquence que le gouvernement Merkel garde la main haute sur ce projet fédéral ?

Christophe Bouillaud : Selon les informations sorties dans la presse, ce qui frappe, ce n'est pas tant que Berlin garderait la haute main sur ce projet fédéral que les délais de mise en place de l'ensemble de ces mécanismes. Celle-ci s'étalerait en pratique de 2016 à 2026. Ce n'est qu'à partir de cette date de 2026 (soit dans 13 ans), lointaine tout de même, que l'ensemble du secours aux banques en difficulté reposerait sur un fonds européen dédié, abondé d'ici là par les banques européennes elles-mêmes. Il semble aussi qu'avant cette date de 2026, les pays en tant que tels auraient encore le rôle majeur dans le sauvetage et/ou la fermeture de leur banque, et que la mutualisation européenne du coût éventuel serait limitée. Cette idée de phasage est certes classique dans les projets européens, mais les délais paraissent bien peu cohérents avec l'urgence à laquelle ce projet d'Union bancaire était censé répondre au départ. De même, on peut s'étonner de la complexification progressive du projet envisagé dans son ensemble : ainsi, ce n'est pas apparemment la Commission elle-même qui dirait qu'une banque doit être mise en liquidation, mais un "comité de résolution" ad hoc encore à créer - alors que la supervision bancaire proprement dite revient normalement à la BCE à compter de 2014. Rappelons qu'il a déjà été créé pendant la crise des dettes souveraines une "Autorité bancaire européenne", qui est entrée en fonction en 2011. Elle s'est fait en quelque sorte voler la supervision bancaire par la Banque centrale européenne pour avoir rapidement montré qu'elle n'avait pas les capacités organisationnelles d'effectuer cette tâche d'évaluation de la solidité financière des banques commerciales. Va-t-elle récupérer la décision sur la résolution bancaire ? Probablement non, les décideurs européens vont donc encore créer une autre structure, sur une autre base juridique que l'ensemble communautaire proprement dit, puisqu'on parle aussi d'un Traité intergouvernemental ad hoc. La complexité de l'ensemble devient un peu effrayant. Certes, en complexifiant, on contourne les vetos des uns et des autres, et les décideurs européens se targueront d'avoir abouti, mais est-ce la bonne manière de faire avancer la cause européenne en rendant du coup les structures illisibles par les simples citoyens? 

Autre question épineuse pour Berlin : les "bad banks" allemandes qui risquent d'être révélées au grand jour par la mise en place de meilleurs mécanismes de contrôle à l'échelle européenne. Particulièrement touchée par les prêts toxiques, l'Allemagne a t'elle intérêt dans l'immédiat à instaurer des outils de contrôle rigoureux ?

Christophe Bouillaud : Visiblement, il existe une stratégie allemande visant à exonérer certaines banques locales et régionales d'un regard extérieur. Il faut rappeler que ces banques, liées aux pouvoirs locaux, ont montré en Allemagne leur capacité à faire de très mauvaises affaires. Je pense en particulier aux déboires de la banque régionale berlinoise au début des années 2000, mais aussi à ceux apparus dans d'autres banques régionales allemandes à la faveur de la crise des subprimes. Vu leur rôle dans l'économie locale et régionale, les autorités allemandes ne veulent absolument pas qu'une autorité européenne, quelle qu'elle soit, ait l'autorité de les fermer au cas où elles apparaitraient insolvables. Il faut rappeler aussi que l'insolvabilité d'une banque, c'est-à-dire en pratique la valeur de ses actifs, de ses crédits à l'économie, tient pour une part à des questions d'opinion largement indécidables de manière objective, et laisse donc une large place à une interprétation de la situation, plus ou moins charitable. Par exemple, la valeur d'un prêt pour un projet immobilier tient largement à l'idée que l'on se fait de la valeur de long terme de ce bien. Peut-être les châteaux en Espagne ne valent rien, peut-être qu'après tout, à long terme, ce sont vraiment des palais!

François Hollande a tenté de rassembler des alliés dans le Sud de l'Europe pour convaincre Berlin d'autoriser la MES (Mécanisme européen de stabilité) à recapitaliser directement les banques défaillantes, ce qui reviendrait à faire payer les États pour empêcher toute faillite ultérieure. Jusqu'ici toujours opposé à cette réforme, est-il envisageable de voir Berlin donner des concessions dans ce domaine ?

Christophe Bouillaud : A dire vrai, Berlin peut très bien refuser des concessions dans le futur accord sur l'Union bancaire, tout en étant obligé d'accepter le recours à cet expédient si la banque qui fait faillite dans les mois ou les années qui viennent est une des grandes banques universelles européennes. Vu la taille des bilans de ces mastodontes bancaires, l'urgence dominera alors. Par ailleurs, selon les informations sorties dans la presse, ce qui semble devoir être acté, c'est la poursuite de la "voie chypriote", ce qu'on appelle le "bail-in", c'est à dire le fait que, pour sauver les banques, on fait appel à leurs actionnaires, à certains détenteurs de leurs obligations, et même à leurs gros déposants (au delà de 100 000 euros). Cela deviendrait la norme après 2016. On va donc demander aux déposants, importants tout au moins, de discriminer les banques, c'est-à-dire de bien réfléchir à l'endroit où ils mettent leurs liquidités, car ils pourront les perdre s'ils ont choisi une banque mal gérée. Cela peut avoir à mon avis un certain effet régulateur : une banque que des professionnels voient prêter à une activité spéculative  devrait avoir du mal à retenir ses clients les plus avisés.  

Plus largement, l'Union bancaire était au départ un projet consensuel qui visait à sécuriser et fluidifier la finance européenne. Comment expliquer les paralysies actuelles ?

Christophe Bouillaud : Il me semble que cette initiative est actuellement relue à l'aune de la normalisation apparente de l'économie européenne, ou, tout au moins, des marchés financiers européens. Il n'y a plus ce sentiment d'urgence, voire de panique, qui dominait la décideurs il y a encore un an et demi. La zone Euro semble sauvée, les États en difficulté sont sous assistance financière (Grèce, Portugal), sont en train d'en sortir (Irlande), ou se financent de manière autonome sur les marchés financiers (Espagne, Italie). La crise des dettes souveraines semble s'éloigner. Du coup, on observe un retour à la normale des interactions entre États européens: on veut aboutir parce qu'on a prétendu aux yeux du monde qu'on aboutirait, mais chacun veut préserver autant que possible ses petits intérêts, avouables ou inavouables, de boutique. Personne ne veut payer pour autrui, et personne ne veut perdre le contrôle d'enjeux politiquement sensibles tant qu'il peut espérer d'être encore aux affaires de son pays. D'où l'impression de retomber sur la construction d'une usine à gaz qui devrait être totalement en fonction d'ici 2026 – au moment où Madame Merkel aura sans doute publié ses Mémoires... Par ailleurs, j'ai quelque doute que cette Union bancaire ait quelque effet que ce soit sur la relance de l'économie européenne. On fait comme si cette Union bancaire allait, au moins indirectement, relancer le crédit à l'économie, en incitant les banques européennes à nettoyer leurs bilans de leurs créances douteuses, mais on oublie ainsi un peu vite que ce sont surtout les occasions d'investir et donc d'emprunter qui manquent aux entreprises faute de perspective claire sur l'avenir de l'économie européenne. L'Union bancaire, c'est surtout en l'état parer aux catastrophes financières à venir, ce n'est pas très réjouissant comme projet européen, ce n'est ni aller sur Mars ensemble, ni bâtir une armée commune, ni même permettre aux consommateurs de bénéficier d'un marché vraiment unique des biens et services. C'est de l'Europe triste si j'ose dire.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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