EDF tuait la concurrence ou était tuée par sa falsification<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
EDF.
EDF.
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Concurrence

Le probable bricolage à la hâte de la renationalisation d’EDF va définitivement consommer une catastrophe socioéconomique déjà bien entamée.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

Voir la bio »

La première bordée essuyée le 28 juin 2007 par le navire amiral de la flotte énergétique française, EDF, fut menée par un vaisseau pirate battant faux-pavillon « concurrence ». L’avarie causée au premier par la charge fut d’autant plus dévastatrice que l’équipage du second y avait un de ses hommes à bord : le capitaine ! De fait, l’avarie fut telle que le bâtiment ne se remit jamais de la bordée essuyée trois ans plus tard, immortalisée sous le nom d’ARENH. On sait aujourd’hui que le pirate était en réalité le corsaire toujours en activité armé par des conjurés mis à disposition de Bruxelles par Élysée-Matignon.   

Ce 28 juin 2007, donc, un Conseil de la Concurrence saisi par Direct Énergie quatre mois auparavant sommait en ces termes l’opérateur historique de proposer des prix de l’électricité plus attractifs à des clients devenus « fournisseurs alternatifs » et, de fait, concurrents : […] Direct Énergie est un fournisseur d'électricité qui ne dispose pas de moyens de production et doit s'approvisionner sur le marché de gros. Il a signé, en décembre 2005, un contrat de fourniture d'électricité avec EDF pour une durée de cinq ans, à prix fixe, lui assurant des volumes garantis jusqu'en 2010. Mais le prix du contrat ne permet pas à Direct Energie de proposer de manière viable des offres commerciales aux petits professionnels qui soient compétitives avec les tarifs de la gamme EDF Pro, lesquels sont alignés sur les tarifs réglementés (tarif bleu) […] Le Conseil de la concurrence a considéré qu'à la veille de l'ouverture complète du marché le 1er juillet, des mesures conservatoires étaient nécessaires pour améliorer les conditions d'approvisionnement des fournisseurs en électricité et permettre ainsi une concurrence effective sur les marchés de détail…

On croit rêver : l’auguste Conseil fit ici droit à la prétention d’un fournisseur ne fournissant rien de pratiquer des tarifs commerciaux plus bas que ceux pratiqués par le fournisseur qui le fournit ! On ne peut vraiment comprendre les ressorts intellectuels d’une aussi abracadabrantesque sanction, sans procéder à l’exégèse critique du dogme émanant de l’extrait ci-après du rapport annuel 2007 de ce Conseil de la Concurrence.   

[…] D’autre part, sur ces marchés, l’opérateur historique conserve, au moins dans un premier temps, une position ultra-dominante, voire un monopole de fait, qu’il peut être tenté d’utiliser pour écarter la concurrence naissante. Saisi de tels comportements qui menacent l’arrivée ou la survie des nouveaux entrants, souvent fragiles et vulnérables, le Conseil de la concurrence reconnaît généralement que l’urgence qui lui permet d’adopter des mesures conservatoires est caractérisée.

[…] La CRE, par exemple, ne dispose du pouvoir de prononcer des mesures conservatoires qu’en cas d’atteinte grave et immédiate aux règles régissant l’accès ou l’utilisation des réseaux publics de transport ou de distribution d’électricité, des ouvrages de transport ou de distribution de gaz naturel et des installations de gaz naturel liquéfié ou de stockage de gaz naturel.

[…] Le Conseil a été saisi par la société Direct Énergie – fournisseur d’électricité ne disposant pas de moyens de production propres – qui accusait EDF de lui vendre de l’électricité en gros à un prix l’empêchant d’intervenir de manière viable sur le marché de détail. Dans la décision 07-MC-04, le Conseil a considéré que EDF était susceptible d’abuser de sa position dominante en vendant à Direct Énergie de l’électricité à un prix de gros ne permettant pas à un rival aussi efficace qu’EDF de le concurrencer sur le marché de détail sans subir des pertes.

[…] Le Conseil a également constaté une pénurie d’offres d’approvisionnement en électricité de base sur le marché de gros, de nature à gêner l’activité des nouveaux fournisseurs sur le marché de détail. Là aussi, replacée dans le contexte particulier de la pleine libéralisation du secteur au 1er juillet 2007, cette situation était caractérisée par l’urgence. Pour remédier à l’atteinte au secteur, le Conseil a donc ordonné à EDF de formuler une proposition de fourniture d’électricité en gros ou toute autre solution techniquement ou économiquement équivalente permettant aux autres fournisseurs de concurrencer les offres de détail faites par EDF sur le marché libre sans subir de ciseau tarifaire…

Reprenons :

- « [EDF] peut être tenté d’utiliser sa position dominante pour écarter la concurrence naissante, de tels comportements menacent l’arrivée ou la survie des nouveaux entrants…» ; « le Conseil a considéré que EDF était susceptible d’abuser de sa position dominante » : a-t-on jamais vu une instance judiciaire sérieuse condamner un prévenu sur la base d’intentions que le tribunal lui prête, sans en détenir la moindre preuve ?!

- La décision du Conseil manifeste la volonté de remédier d’urgence à une pénurie d’offres d’approvisionnement en électricité de base sur le marché de gros à l’aide de fournisseur(s) d’électricité ne disposant pas de moyens de production propres : ineptie tellement cynique qu’elle en devient provocante, doublée du mensonge éhonté d’une pénurie d’approvisionnement de base en 2007.

Avant de s’enquérir du potentiel d’expertise et de l’honnêteté des auteurs d’une aussi pertinente résolution, attardons-nous sur la personnalité et sur les inclinations du capitaine félon du destroyer EDF, Pierre Gadonneix. Le 3 juillet 2007, au micro de i-Télé, ce libéral réputé à tout crin estimait non préjudiciable à l’entreprise de ne conserver à l’État que 70 % de sa propriété. En toute logique, on attendait d’un tel personnage qu’il se précipitât à la barre du Conseil pour déclamer ceci, avec indignation : Commencez donc par démontrer que les velléités prêtées à EDF sont fondées, que ses tarifs présents ou à venir relèvent du dumping, ne couvrent pas ses charges et ses frais de production ou devrez s’abstenir de les couvrir seulement pour contribuer à la haute mission économique consistant à financer ses concurrents ! À défaut, contentez-vous de sommer l’État français d’émanciper cette entreprise, de sorte à la laisser voler de ses propres ailes et se conformer scrupuleusement aux règles intangibles du commerce !

Eh bien non ! Sans barguigner, le même personnage fit droit comme suit à des fournisseurs alternatifs prétendant que le prix de référence du nucléaire était de 32 euros le mégawattheure, quand EDF le chiffrait à 46 euros. Il fit mettre 1500 mégawatts (MW) à leur disposition et aux enchères, sur une durée de 10 à 15 ans, sous forme de contrats d'approvisionnement à long terme, avec, à la clé, cette offre à double détente : pendant 3 ans, c'est-à-dire jusque fin 2010, ce prix tournerait autour des 36 euros le mégawattheure permettant à tout opérateur alternatif de faire une offre attractive aux particuliers bénéficiant des tarifs réglementés ; à compter de 2011, ce prix grimperait à 45-47 euros pour intégrer le coût de la construction de l'EPR.

Ce volume de 1500 MW représente la consommation annuelle de 2 millions de clients particuliers et petits professionnels, déclara le Conseil de la Concurrence. En écho, Poweo et Direct Energie, deux des principaux fournisseurs alternatifs, se dirent satisfaits « que le marché s'ouvre ». Ne restait d’autre choix à RTE que se fendre de l’avertissement selon lequel 10500 MW de production supplémentaire seraient nécessaires pour assurer l'approvisionnement de la France entre 2012 et 2020. À la bonne heure !

Quinze ans plus tard, nous avons tout le loisir d’examiner par le menu la prodigalité économique et matérielle qu’une aussi audacieuse initiative « concertée » a procuré aux Français, notamment en termes de valeur ajoutée à leur confort énergétique. Que sont devenus nos intrépides industriels Direct Énergie et Poweo et quelle est, aujourd’hui, leur contribution à la puissance ci-avant requise par RTE ? La réponse tient en une phrase : après avoir tapé EDF, Enel et Total, de recompositions, en fusions et en absorptions essentiellement capitalistiques franco-germano-autrichiennes, c’est Total qui a raflé la mise à la conclusion du bonneteau.

Ladite contribution ? Environ 800 MW d’énergies renouvelables – en métropole et dans les DOM-TOM – dotés d’un redoutable facteur de charge d’au plus 25 % ; quatre centrales à cycle combiné au gaz naturel – trois en France, une en Belgique – pour une puissance totale de 1,6 GW que, à elle seule, la mise en mouvement de 160 motrices TGV accapare en totalité, quand cette puissance est disponible à 100 %. Avec ça, les Français peuvent attendre en toute confiance l’arrivée d’un hiver imprévisible entre tous…

Penchons-nous pour finir sur le CV et sur les états de service du président du Conseil de la Concurrence en poste en 2007, Bruno Lasserre, et sur ceux de sa principale collaboratrice d’alors, Anne Perrot. Toute la carrière du premier – ENA, inspection des finances, ministères, Conseil d’État… – témoigne de la propension d’un haut fonctionnaire pur sucre à s’émanciper de l’État grassement nourricier et à prendre ses responsabilités façon Bernard Tapie. Un Charles Gave en déduirait que sa compétence, sa conviction et le zéle jugé outrancier par ses collaborateurs à œuvrer à la promotion du libéralisme économique n’ont d’égaux que son ignorance de la centralité entreprenariale du concept. Il en va de même du CV et des états de services de madame Perrot, à ceci près d’aggravant qu’elle siégea à la commission Champsaur de triste mémoire, responsable du scélérat dispositif ARENH auquel EDF doit son infortune.

Il n’a jamais été aussi évident que l’histoire ne peut jamais repasser les mêmes plats. En effet, autant la puissante synergie résultant de la rencontre du brio politique, de compétences, d’expertises, de génies, de loyautés et de dévouements massivement partagés par notre peuple fut une bénédiction pour la France, dans les années 60 à 80, autant le contexte d’incompétence et de malhonnêteté généralisées caractérisant notre temps présage que le probable bricolage à la hâte de la renationalisation d’EDF va définitivement consommer une catastrophe socioéconomique déjà bien entamée, voire l’aggraver.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !