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Droits de succession : ces effets pervers pour les classes moyennes qu’oublie Terra Nova dans son projet de réforme
©Pixabay

Fausse bonne idée

Terra Nova propose d’augmenter la fiscalité des successions de 25 %. Réformer le barème de cet impôt permettrait ainsi de récolter trois milliards d’euros. Terra Nova avance même l’idée, explosive, de revoir la fiscalité de l’assurance-vie.

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Atlantico : Le think tank Terra Nova avance le fait que les successions seraient créatrices d'inégalités, une mesure qui est révélée par le coefficient Gini. Mais est-ce un phénomène avéré et n'est-il pas nécessaire de le contextualiser ?

Jean-Philippe Delsol : Terra Nova ne démontre rien. La France est déjà l’un des pays qui taxe le plus le capital. Selon le rapport d’Eurostat « Taxation Trends in the European Union », l’ensemble des prélèvements liés au capital (mobilier et immobilier, des entreprises et des ménages) représentait en 2015 :

  • 6,3% du PIB en Allemagne (191,6 milliards d’euros)
  • 10,8% du PIB en France (235,6 milliards d’euros) , soit 71% de plus (44 milliards d’euros de plus pour une population 20% inférieure).

En France, le capital est déjà frappé de  droits de succession et donation à des taux très élevés, jusqu’à 45% entre parents et enfants au-delà de 1 805 677€, avec des franchises très basses, limitées à 100 000€ (et 60%  sans franchise ni abattement entre non parents directs). Par comparaison, les dons et successions entre ascendants et descendants directs sont exonérés de droit au  Canada, au Luxembourg, en Suède (depuis 2004), en Russie, dans divers cantons suisses, en Autriche… En Italie, ils sont nuls jusqu’à 1M€ et de 4% au-delà. En Allemagne ils sont nuls jusqu’à 400 000€ et ne sont que de 30% au-delà de 26M€.

Pourtant le coefficient de Gini, qui est très utilisé pour mesurer l'inégalité des revenus dans un pays, est sensiblement plus élevé en France (ce qui veut dire que la France est plus inégale) que dans beaucoup de pays qui n’ont pas de droits de succession ou en ont peu. Il est en 2015, dernière année connue, de 32,7 en France, 32,3 en Suisse, 31,7 en Allemagne, 30,5 en Autiche, 29,2 en Suède.

La fiscalité récoltée par une ponction plus "juste" des successions diminuerait-elle vraiment les inégalités en France ? Cette approche n'élude-t-elle pas la problématique de la redistribution de ces ressources, car tout impôt prélevé est utilisé pour le bien commun, certes, mais à quelles fins ? Est-ce une obsession vis à vis des des riches et des "héritiers" ? Un abattement décroissant, par exemple, serait-il efficace ? 

La question doit d’abord être posée de savoir pourquoi il faudrait réduire à tout prix les inégalités. L’égalité n’est pas une vertu. L’inégalité non plus d’ailleurs. L’inégalité est naturelle et elle est juste lorsqu’elle est le fruit du travail, de la création, de l’épargne. La marche forcée à l’égalité est l’obsession des idéologues qui n’ont pas encore retenu la leçon des expériences partout désastreuses du socialisme niveleur.

Avant d’être efficace, toute fiscalité doit être juste.

« Pourquoi une retraite de 1 500 euros devrait-elle être davantage taxée qu’un héritage de 150 000 euros ? » s’interroge Terra Nova. Mais simplement parce que les 150 000€ d’héritage ont déjà payé l’impôt sur le revenu et tous les impôts sur le capital qui existent en France plus nombreux qu’ailleurs (taxes locales, IFI, droits d’enregistrement sur l’acquisition…)

La remise en cause de la propriété est plus qu’une atteinte à la propriété, c’est une atteinte à la personne humaine parce que celle-ci a besoin de pouvoir accéder à la propriété pour accomplir sa nature qui est dans la recherche de ses fins. En ce sens la propriété n’est qu’un moyen, comme la liberté, mais essentielle à l’existence de l’homme comme homme. La déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qualifie, dans son article 17, le droit de propriété d'inviolable et sacré : « Les propriétés étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».

Dans l’énergie que chacun met à accumuler de la richesse, quelle soit modeste ou importante, il y a le plus souvent plus que la volonté de jouir de ses biens ou de se protéger de l’avenir. Il y a presque toujours le souhait de transmettre, de vivre par ses héritiers dotés au-delà de soi-même, de faire vivre un patrimoine, son œuvre après soi. Il y  là quelque chose de presque hormonal, intrinsèque à la nature de l’homme, cette volonté, ce désir de se survivre dans ce que l’homme a créé, dans ce qu’il a accumulé, construit, édifié. Un patrimoine est aussi une vie, la fatigue de chaque jour, les nuits sans sommeil, les angoisses du travail, de l’entreprise, de l’échec ou du succès. Et cette possibilité de transmettre est un puissant moteur dans l’action quotidienne, dans les projets, dans le souci d’économie de chacun sans lequel il n’y aurait pas ou moins d’investissement et donc pas d’économie ou une économie plus faible. Les hommes sont prêts à s’engager plus facilement dans l’aventure que représente tout investissement parce qu’ils savent que même si eux n’en profitent pas, ceux qu’ils aiment pourront en profiter.

Supprimez l’héritage, vous aurez cassé un des meilleurs mobiles du travail honnête de la vie des hommes.

Il est vrai néanmoins que la richesse héritée n’apparaît pas comme la richesse gagnée. Celle-ci est plus méritée que celle-là pense l’esprit commun. Mais au fond tout dépend de ce que chacun fait de sa richesse. Il est difficile d’hériter et de valoriser. Il est lourd d’assumer la suite d’un père talentueux, c’est un challenge plus élevé de devoir poursuivre une œuvre déjà réussie et de la porter plus haut encore. Mais celui qui y satisfait n’en est que plus honorable encore s’il l’a fait en enrichissant tout son  environnement. Et la justice fait aussi que le patrimoine de ceux qui en héritent sans être capables de le valoriser est vite consumé sous le poids des impôts quand il n’est pas dilapidé.

Terra nova propose aussi de revoir la fiscalité de l'assurance-vie, qui permet à tout un chacun de mettre de côté tout au long de sa vie pour avoir un complément de revenus. Au final, en France, les placements intéressants pour des non initiés seraient extrêmement limités...On voit aujourd'hui à quoi ressemble le Livret A. En s'attaquant à l'assurance-vie, est-ce qu'on ne détruit pas l'un des derniers produits intéressants pour des gens qui ne sont pas forcément fortunées ?

A dire vrai, les rendements de l’assurance vie sont très modestes aujourd’hui quand les fonds sont placés en euros et sans gestion dédiée. Mais surtout, c’est l’Etat qui serait le plus grand perdant à la suppression des avantages de l’assurance vie. Cela pourrait diminuer drastiquement cette collecte qui est massivement placée dans des emprunts d’Etat, c’est-à-dire qui permet de financer la dette publique qui ne cesse de s’accroitre, en augmentation de 31 Md€ dans le budget 2019 par rapport à celui de 2017, avant augmentations dues aux Gilets jaunes.

Au demeurant, l’assurance vie est désormais taxée très vite. Pour simplifier, en cas de succession les sommes versées par les assurances vie sont imposables, au-delà d’un abattement de  152 500 €, à  taux de 20 % sur la fraction de part taxable de chaque bénéficiaire n’excédant pas 700 000 €  et de 31,25 % au-delà.

Alors que les gilets jaunes manifestent leur mécontentement vis à vis de la fiscalité française toujours plus sévère, ce rapport ne montre-t-il pas une déconnexion d'une certaine part des think tanks ou autres experts de la fiscalité ? 

Vous avez raison. Et la raison en est notamment que ce ne sont pas de vrais think tanks. L’association Terra Nova est financée en partie par des fonds publics et elle ne cesse de faire référence aux travaux de l’OFCE et de France Stratégie qui sont des agences publiques financées directement par l’Etat. Un vrai think tank doit d’abord être indépendant et donc ne vivre que de dons privés comme le fait l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales, IREF, que je préside.

Sur le fonds, les Français, même modestes, sont très attachés à la propriété. Une étude récente du Crédoc montre que 87% des Français souhaitent une diminution des droits de succession, pas une augmentation qu’ils sont seulement 9% à vouloir. C’est dire qu’en effet, Terra Nova et autres, qui forment l’entourage de la présidence de la République, sont en déphasage complet avec les revendications des Français, ce qui explique en partie les Gilets jaunes.

Certaines personnes ne peuvent pas garder la maison de leurs parents, par exemple, lors d'une succession. Ne faudrait-il pas aussi revoir la succession des biens immobiliers ? 

C’est vrai, les successions obligent parfois à la vente pour payer les droits. Pourtant le logement familial est un acquis qui doit être préservé. La famille qui possède son logement est doublement rassurée : de pouvoir vivre ses vieux jours et de pouvoir transmettre quelque chose à sa descendance. La transmission de la maison familiale accompagne aussi celle des valeurs de la famille. Et toute entrave fiscale à cette succession est d’autant plus injustifiée quand cette maison a supporté l’impôt sur le capital chaque année, l’es ISF devenu IFI.

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