Droit de vote à 16 ans : une idée pleinement démocratique<!-- --> | Atlantico.fr
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Anne Hidalgo souhaite l'abaissement du droit de vote à 16 ans.
Anne Hidalgo souhaite l'abaissement du droit de vote à 16 ans.
©Sameer Al-DOUMY / AFP

Vote des jeunes

Anne Hidalgo souhaite l'abaissement du droit de vote à 16 ans pour « redonner une envie de démocratie » aux Français. Cette idée, loin d'être nouvelle, se défend.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Anne Hidalgo, candidate du Parti socialiste pour l’élection présidentielle de 2022, se prononce, comme tant d’autres politiques avant elle (voir ci-dessous), pour l’abaissement du droit de vote à 16 ans, une façon, explique-t-elle dans son discours de Lille, de « redonner une envie de démocratie » aux Français. Lui emboîtant le pas, Patrick Kanner, patron des socialistes au Sénat, annonce qu’une proposition de loi en ce sens sera débattue à la Chambre haute, le 9 décembre prochain (sans possibilité arithmétique d’être adoptée).

Aujourd’hui, c’est en réalité toute la gauche, de Jean -Luc Mélenchon aux communistes et aux écologistes, en passant donc par les socialistes, qui soutient la mesure. La droite est plus réservée sinon hostile à l’image de Marine Le Pen, Xavier Bertrand, Valérie Pécresse ou Eric Ciotti. Du côté du parti présidentiel LREM, les positions sont partagées. François Jolivet défend la mesure à l’Assemblée nationale, l’assortissant d’un abaissement de la majorité pénale à 16 ans et du droit de passer le permis de conduire au même âge. Au gouvernement, Clément Beaune, le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes préconise de mettre la proposition dans le débat présidentiel. Mais, pour l’heure, le chef de l’Etat s’oppose, ainsi que son Premier ministre, à cette réforme.

Un point d’histoire. J’ai proposé cette mesure aux Français, il y aura bientôt trente ans. C’est en effet, en 1994, que j’ai soumis cette proposition au gouvernement Balladur, au nom du Comité pour la Consultation nationale des Jeunes, dont j’étais l’animateur scientifique, comité, on s’en souvient, installé par le Premier ministre de l’époque, après les manifestations contre le CIP (contrat d’insertion professionnelle). Cette mesure formait la proposition n° 80 du rapport du comité, mais elle n’aurait été appliquée (dans un premier temps) qu’aux élections municipales. La proposition fut aussitôt rejetée par le Gouvernement de M. Balladur, pour « ses risques d’inconstitutionnalité ».

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J’ai représenté cette réforme en 1999 dans un article du Lien social, puis, trois ans plus tard, en 2002 dans un livre, Le Deuxième Homme (Presses de la Renaissance). La même année, Lionel Jospin, candidat PS à l’élection présidentielle, se prononçait lui-aussi en faveur de ce droit de vote, mais à 17 ans. Une initiative personnelle de sa part, qui n’avait alors le soutien ni du PS ni du MJS (Mouvement des jeunes socialistes). Christiane Taubira, candidate du Parti radical de Gauche, souhaitait, quant à elle, un abaissement de la majorité à 17 ans, tout comme Noël Mamère, candidat des Verts. Plus récemment, en 2013, Dominique Bertinotti, alors ministre PS de le Famille, après m’avoir auditionné, reprenait l’idée de 1994 d’un abaissement du droit de vote à 16 ans pour les élections locales. Sans succès. Candidats à l’élection présidentielle en 2017, Jean-Luc Mélenchon pour La France insoumise et François Fillon au nom des Républicains, prenaient aussi position en faveur de la réforme.

Qu’en pensent les Français ? Selon un sondage, un peu ancien, de l’IFOP, réalisé en janvier 2014, 82 % des sondés seraient hostiles à toute idée de « pré-majorité » à 16 ans. S’agissant des jeunes eux-mêmes, un sondage effectué en septembre 2013 indiquait que seuls 22 % des 18-24 ans soutenaient la proposition (28 % à gauche et 10 % à droite).

Mais ce rejet de la mesure est-il un argument suffisant pour ne pas l’adopter ? Rappelons que, si l’on avait écouté les jeunes en 1974, la majorité civile n’aurait jamais été abaissée à 18 ans par M. Giscard d’Estaing ! Indiquons encore que la plupart des organisations lycéennes, longtemps réticentes, sont aujourd’hui favorables à l’abaissement à 16 ans du droit de vote en France.

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Quels sont les arguments généralement avancés pour s’opposer à la mesure aujourd’hui défendue par la gauche ? Ils se situent principalement au plan psychologique. On invoque ainsi la prétendue absence de maturité des jeunes de 16 ans. De nombreux psychiatres ou pédopsychiatres spécialistes de l’adolescence brandissent cet argument à l’image, il y a peu, de Christian Flavigny, pédopsychiatre à l’hôpital de la Salpêtrière, à Paris, qui considère qu’à cet âge (de 16 ans) «  tous les jeunes ne sont pas prêts psychiquement à prendre place dans la vie publique », et, par ailleurs, que ce ne serait pas raisonnable de définir un nouveau droit si on ne définit pas en même temps un nouveau devoir, avant de conclure que les jeunes doivent rester sous la coupe de leurs parents. Faut-il rappeler à M. Flavigny qu’au Moyen Age les garçons étaient majeurs à 14 ans, les filles à 12, que les uns et les autres pouvaient donc se marier sans l’autorisation de leurs parents ? Serait-on aujourd’hui moins apte à 16 ans qu’on ne l’était à 12 ou 14 il y a plusieurs siècles ?

Les adversaires de la réforme évoquent encore l’« influençabilité » des jeunes de cet âge, qui seraient conduits, soit à voter comme leurs parents, soit à soutenir le Rassemblement national (on peut douter pourtant que la totalité des 1,5 millions de jeunes de 16-17 ans fassent ce choix unique ; quant à la prétendue influençabilité parentale, près des deux tiers des élèves la contestent ; elle supposerait de connaître la nature du vote parental, ce qui n’est pas le cas la plupart du temps, le sujet restant tabou en famille).

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Un autre argument ANTI-vote à 16 ans serait l’absence de connaissances politiques des jeunes de 16 ans, les programmes scolaires ne comportant pas, il est vrai, un enseignement spécifique des idées politiques. Cette carence aurait pour effet d’accroître l’influençabilité des jeunes en question. Curieuse argumentation qui voudrait qu’aussi longtemps que les jeunes ne connaitront pas les idées et les doctrines politiques, ils n’auront pas le droit d’exprimer un point de vue. N’est-ce pas comme si l’on disait à un enfant : tant qu’on ne t’aura pas appris le français, il te sera défendu de chercher à le parler (balbutiement interdit !), ou bien tant qu’on ne t’aura pas enseigné à marcher, tu ne devras pas essayer de marcher,

Spécialiste reconnu, dit-on, de l’adolescence, je dois dire que ces arguments d’opposition à la réforme ne sont franchement pas recevables. A 16 ans, au lycée pour la plupart, l’on a suffisamment de capacités réflexives pour exercer ce droit citoyen, à l’Education nationale d’introduire dans ses programmes un enseignement sur les idées, les philosophies, la vie politique, qui nourrirait utilement les capacités des élèves.

Mais l’argument majeur en faveur du droit de vote à 16 ans est le suivant. Le législateur a fait depuis longtemps de cet âge un seuil d’exercice de nouveaux droits : droit à signer un premier contrat de travail, droit d’adhérer à un syndicat professionnel, droit, depuis 2010, de faire un service civique, d’occuper, depuis 2012, un emploi d’avenir, de devenir sapeur-pompier volontaire, d’ouvrir un compte bancaire personnel ou un livret jeune, d’avoir une carte vitale personnelle, de suivre des cours de conduite automobile accompagnée, de créer (depuis 2011) une association (avec l’accord parental). Ces droits constituent ce que je nomme « une majorité sociale », terme préférable, me semble-t-il, à celui de « pré-majorité ».

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Le droit de vote à 16 ans pour toutes les élections (ou pas), comme c’est le cas en Autriche depuis 2007, en Suisse dans certains cantons pour les élections communales et cantonales, en Allemagne, depuis 1996, dans certains landërs [en Ecosse on est même majeur à 16 ans], s’ajouterait, simplement à cette liste de droits existants. On pourrait aussi, à l’avenir, songer à autoriser le versement direct aux jeunes de 16 ans de la part d’allocations familiales qui leur revient dès lors qu’ils ne vivent plus sous le toit familial, n’ont pas ou peu de ressources, mais ont un projet professionnel validé. Enfin on pourrait faire sauter l’autorisation parentale préalable à la direction d’une association.

Bien entendu, il ne faut ni toucher à la majorité civile, ni à la majorité pénale qui serait, l’une et l’autre, maintenue à 18 ans. Le contexte de crise, de dépendance accrue des jeunes, s’oppose à cette réforme.

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