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Droit à la déconnexion dans le droit du travail ? Pourquoi les entreprises sont loin d’être les seules responsables de la dépendance des salariés à leurs smartphones
©Reuters

Savoir décrocher

Dans son rapport sur l'impact numérique sur le travail, Bruno Mettling, DRH d'Orange se prononce pour l'instauration du droit à la déconnexion professionnelle et demande aux entreprises de "former leurs employés à un bon usage des outils numériques". Alors que l'hyper-connectivité professionnelle représente un danger pour la santé, il peut être délicat pour certains de décrocher.

Xavier  Camby

Xavier Camby

Xavier Camby est l’auteur de 48 clés pour un management durable - Bien-être et performance, publié aux éditions Yves Briend Ed. Il dirige à Genève la société Essentiel Management qui intervient en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il anime également le site Essentiel Management .

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Atlantico : Si le pouvoir de se connecter en dehors de son travail permet de faciliter l'accès aux informations et d'améliorer la réactivité, il augmente la charge de travail et empêche une réelle séparation entre les sphères professionnelles et privées. Des études médicales évoquent des risques de surmenage, de dépression et d'augmentation de risque d'AVC. A partir de quand peut-on dire que ça devient une souffrance de recevoir des messages professionnels en dehors ses heures de travail ?

Xavier Camby : Permettez-moi de réagir tout d'abord face à ce qui me semble être une croyance simpliste, néfaste et bien toxique : nous serions les victimes de nos objets ! Ils auraient pris les (télé)commandes de notre psychisme et de nos émotions à notre insu, seraient désormais les maîtres de notre temps et de nos décisions ! Soyons un peu sérieux : il n'a jamais été aussi facile qu'à notre époque de s'isoler. Le simple bouton d'une télécommande nous déconnecte de tout ; nos téléphones ont des modes sommeil, avion, silence et il nous appartient de les éteindre à notre guise. Nous sommes très loin désormais des téléphones filiaires, intrusifs, bruyants et insistants, des téléviseurs ou des radios à boutons qui exigeaient un déplacement pour s'en abstraire...

Veillons donc à ne pas confondre les symptômes et les causes réelles de ce phénomène, très nouveau en effet : l'isolement volontaire, la solitude ou le silence sont devenus insupportables à certains. Cette soudaine confrontation avec eux-mêmes, sans échappatoire ni aucun subterfuge possible, leur est très difficile et s'avère même souvent insupportable, car bien trop anxiogène. Ce paradoxe est hélas quotidiennement vérifiable : ceux qui se plaignent d'une prétendue hyper-connexion sont les plus réticents à prendre l'initiative de décrocher, et refusent de le faire, quand on le leur ordonne. Il s'agit même d'un excellent test pour identifier ceux qui mijotent un burn-out : leur demander de passer une demi-journée dans le silence, sans rien faire. Cela leur est impossible ! Ils vivent en burn-in, une forme de surmenage transitoire qui mène tout droit à l'accident psychique grave.

Quant à prétendre que l'hyper-connectivité augmente la charge de travail et menace la vie privée, je pense que c'est simplement faux. Tous ceux qui font l'expérience volontaire du home-office, avec des horaires variables et/ou adaptés témoignent du contraire. Le travail est plus rapide, plus simple et plus plaisant quand on peut choisir le moment de la faire, sans contrainte...

L'accessibilité permanente aux emails et aux messages professionnels n'est peut-être pas toujours subite et peut s'associer à une forme d'addiction ?

A ma connaissance, à de rares exceptions près, il n'y a aucune obligation professionnelle, jamais, de rester connecté sans cesse, sans compensation ni libres périodes de repos. Celui qui reste connecté les fins de semaine ou pendant ces vacances, c'est parce qu'il le veut bien ! Cela caractérise même souvent les vrais malades (ceux qui souffrent d'une pathologie physique et/ou psychique) : à un inconvénient premier déclaré, ils trouvent un ou plusieurs bénéfices secondaires, non-dits mais réels. Et renoncer à cet inconvénient premier les priverait de ces bénéfices secondaires. Je le répète : il est donc fréquents que se plaignent d'une hyper-connexion (subie ou imposée) ceux qui ne pourraient s'en passer par eux-mêmes. C'est donc bien d'une addiction : ce bruit incessant, cette obnubilation sacrificielle -on a tellement besoin de moi-, cette hyper-activité continue, sans repos, se fondent dans leurs peurs ! Et principalement la peur de soi-même ! Puis, bien trop souvent, celle de perdre sa production de valeur, donc son emploi.

Je pense -et les faits sont sans contredits à ce jour dans nos expériences- que ce sont précisément ces peurs, le plus souvent inconscientes ou inavouées- qui constituent la vraie cause du surmenage, du stress, des excès de fatigue, du burn-in et des différentes formes de burn-out, voire de somatisations nombreuses, dont peut-être l'AVC.

Aujourd'hui, la loi française s'empare du débat sur le droit à la déconnexion et une loi pourrait voir le jour en 2016. En Allemagne, plusieurs grandes entreprises comme Volkswagen ont mis en place des dispositifs pour permettre à leurs employés de se déconnecter.  Comment peut s'articuler le cadre législatif aux besoins des entreprises en France ?

Notre pauvre pays souffre d'une autre pathologie addictive : croire que légiférer est la solution à un problème est un déni de réalité, le début d'une folie non-douce (qui se définit comme la perte du sens commun et de la perception du réel). Je rejoins tout à fait cependant Bruno Mettling dans cette assertion : l'entreprise peut aider ses collaborateurs au bon usage de leurs outils (c'est même sa première responsabilité, en fait). Cette aide cependant ne peut être simplement légale ou réglementaire ni procéder aucunement d'un système. La vraie question à se poser est : pourquoi cette personne ferait-elle cet usage éventuellement nocif pour elle-même des outils que je lui donne pour bien accomplir son travail ? 

De faux leader et de mauvais managers entretiennent quotidiennement les peurs de leur collaborateur, en en faisant même parfois une (cruelle ou sadique) "méthode" de management. C'est toujours à base de menaces, de chantage ou de pression "Si vous ne faites pas, alors..."

Alors, oui. Les victimes de ce mismanagement ont tendance à s'hyper-connecter pour montrer qu'ils font le maximum (en laissant notamment des traces numériques de leurs travaux, attestant ainsi d'un engagement, hélas sans limite). Cette surenchère, née de la peur de perdre son travail ou l'estime de son boss, est la seule vraie cause des souffrances évoquées dans votre première question

Il serait donc idiot, inepte et inefficace de faire une loi, encore une, au seul regard des symptômes, sans considérer ni traiter les vraies causes...

Chez Atlantico, nous avons déjà évoqué ce sujet à plusieurs reprises. L'année dernière, une étude américaine indiquait que 40 % des employés ne voyaient pas d'inconvénient à lire leurs messages professionnels chez eux. Ne faut-il pas voir derrière cela l'expression d'un vide existentiel ?

Cette question est très drôle, en fait ! De plus en plus de collaborateurs font l'expérience inverse : "Si vous aimez ce que vous faîtes, pas un jour vous ne travaillerez" (Lao-Tseu). Ainsi, loin des interprétations psychologisantes erronées, ce constat procède bien plutôt d'une nouvelle plénitude existentielle : j'aime ce que je fais, alors je ne cesse guère de réfléchir et de préparer mes travaux, où que je sois et quoique je fasse. Et donc réciproquement, pendant les "heures ouvrées", il peut très bien arriver que je m'occupe de mes affaires personnelles, avec la meilleure des bonnes consciences. C'est le résultat de mon travail qui m'importe, pas les heures affichées par la pointeuse !

Seuls ceux qui n'aiment pas leur travail et/ou le font à contre-coeur aspirent à créer des caissons étanches et à mettre leur vie en silos !

Les générations qui nous arrivent (ni Y ni Z, je réfute ces appellations étroites et réductrices) en vivent déjà ; chaque startup, chaque créateur de vraies richesses (humaines, sociales, culturelles, environnementales, économiques ou financières) en atteste : nous sommes un, chacun de nous. Et nous aspirons à cette unité, toujours davantage. 

Le Taylorisme est bien moribond...et fait place à une nouvelle vie économique, celle du future, celle de la Contribution Positive.

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