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Droit à l’oubli en ligne : protéger la vie privée, oui mais pas au prix d’une jurisprudence européenne inquisitoriale
©Flickr

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La question du droit à l’oubli connaît une importante actualité. La Cour de Justice de l’Union européenne est en effet saisie de deux affaires portant sur cette question épineuse.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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Dans le premier cas, des particuliers arguent de la nécessité pour l’Europe, dont l’arsenal juridique en matière de protection de la vie privée est l’un des plus étoffés au monde, si ce n’est le plus étoffé, de rendre possible le droit à l’oubli d’éléments portant sur les opinions politiques ou d’éventuelles activités illicites. Dans le second cas, il lui est demandé de se pencher sur une partie des réponses que le régulateur français, en l’occurrence la Commission Nationale Informatique et Libertés, prétend apporter à ces questions.

Ainsi, le juge européen devra bientôt dire pour droit quelles limites doivent être apportées au droit à l’oubli. Rappelons à cet égard que les acteurs du net ont déjà été amenés à prendre des mesures. Ces mesures ont été guidées par la recherche d’un délicat équilibre : d’une part faire droit aux demandes individuelles que des informations puissent être retirées du domaine public ; d’autre part, s’assurer que le retrait de telle ou telle information n’affecte par l’intérêt public.

Disons-le tout net : cette question est complexe, et doit être traitée dans un climat dépassionné. Dire cela est déjà une gageure. Car il faut admettre que le rôle croissant dans nos vies des grandes entreprises américaines du numérique, leurs succès commerciaux indéniables, leur extraordinaire capacité d’innovation suscitent en Europe des inquiétudes, parfois non dénuées d’arrière-pensées, peu propices à une réflexion sereine.

Qu’il soit cependant permis de tenter, en la matière, de prendre un peu de champ, pour resituer ce débat. Il incite en effet à une réflexion à la fois dans le temps et dans l’espace.

Dans le temps d’abord. La question du droit à l’oubli fait évidemment écho à celle de la mémoire, qu’elle soit individuelle ou collective, et des éléments que la défense du droit à la vie privée permettent ou non d’y apporter. Or, les questions de mémoire, qui renvoient à notre histoire personnelle et collective, dont Paul Valéry disait qu’elle était la « plus dangereuse chimie de l’intellect », sont toujours complexes. Dans sa Deuxième considération inactuelle, F.Nietzsche ne craint pas de montrer que le rapport à la mémoire et à l’Histoire n’est nullement univoque, et que l’oubli est appréhendé de manière différente selon les personnes et les situations. C’est dire que l’apport ou au contraire la privation des éléments de connaissance du passé de tel ou tel peut avoir des effets contradictoires en matière d’intérêt public. Dès lors, la notion de proportionnalité, principe général du droit européen, doit ici prendre pleinement son sens.

Dans l’espace, les termes du débat sont plus clairs. Il touche en effet à un sujet que les européens connaissent : le mécanisme, dit de l’extraterritorialité. Ce mécanisme, par lequel une norme juridique acquiert une valeur au-delà du territoire dont elle est issue et qu’elle est en toute logique censée couvrir, est une pratique à laquelle les Etats-Unis n’hésitent pas à recourir. Parmi les cas les plus emblématiques, que l’on songe ici à l’amende de 8,9 milliards de dollars à laquelle a été condamné BNP Paribas en 2014 pour avoir violé l’embargo américain imposé à l’Iran, à Cuba et au Soudan. Au cas d’espèce le juge suprême européen devra dire si la Commission nationale de l’informatique et des libertés peut ou non exiger des opérateurs qu’ils appliquent sur l’ensemble de la surface du globe nos règles relatives au droit à l’oubli. Faire cela accréditerait l’idée qu’il serait normal d’avoir un droit « débordant ». Il faut, à ce titre, être sans ambiguïtés : admettre cette vision serait, de la part du juge suprême européen, une erreur. Il y aurait en effet à cet égard un paradoxe difficilement plaidable à dénoncer – à juste titre – ce qui constitue bien une forme d’impérialisme juridique américain, et, dans le même temps, à faire droit à des pratiques qui sont en tous points similaires. Sans parler des risques pour les libertés publiques induits à par ce type de comportements s’ils étaient mis en pratique par des régimes ou des pays qui n’ont pas la même conception des choses en matière de liberté politiques que les occidentaux.

Au total, comme souvent, tout est question de mesure, c’est-à-dire, en droit, de proportionnalité. La mise en œuvre de mécanismes visant à protéger la vie privée est nécessaire, mais ne doit pas prendre des allures inquisitoriales ou absolues. 

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