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Drogue du travailleur : le Tramadol, le nouveau trafic très lucratif… et terriblement mortel qui ravage l’Afrique
©Getty Images

Bonnes feuilles

Laurent Guillaume publie un ouvrage collectif "Africa Connection" (ed. La Manufacture de Livres). Trafics d’êtres humains, de stupéfiants ou d’armes, exploitation des migrants ou des matières premières : la criminalité organisée en Afrique est née des désordres de la décolonisation, a grandi sous la guerre froide puis avec la mondialisation. Extrait 2/2.

Antonin Tisseron

Antonin Tisseron

Antonin Tisseron est chercheur associé à l’Institut Thomas More. Il est Consultant auprès de l’Office des Nations Unies  contre la Drogue et le Crime (ONUDC)  bureau pour l’Afrique de l’Ouest et centrale (ROSEN).

Il est spécialisé dans l'étude des doctrines militaires, des questions de sécurité en Afrique et des enjeux de défense européenne. Il travaille principalement sur le Maghreb et le Sahel.

 

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Le tramadol s’est imposé ces dernières années comme un enjeu mondial de santé publique. Analgésique opioïde de synthèse dont le nom désigne la molécule le constituant, il est commercialisé pour la première fois par la firme Grünenthal en 1977, en Allemagne de l’Ouest. Il se diffuse progressivement dans le monde pour être finalement consommé de façon abusive dans plusieurs régions dont l’Amérique du Nord et l’Europe, mais aussi au Moyen Orient et sur le continent africain. 

En Afrique de l’Ouest, le tramadol est parfois acheté dans les officines pharmaceutiques. Plus souvent, il est obtenu hors des circuits officiels à des dosages non autorisés, pour une utilisation à finalité non-médicale. Il ne s’agit pas du seul opioïde dont l’usage est détourné. C’est notamment le cas de la codéine, particulièrement au Nigéria où plusieurs entreprises fabriquent du sirop contre la toux contenant cet alcaloïde, et dont une partie est vendue au marché noir. Mais le tramadol est de loin l’opioïde de synthèse le plus répandu dans le pays et la sous-région. Selon des données du Réseau épidémiologique sur l’usage des drogues au Nigéria (NENDU), 71 % des usagers nigérians d’opiacés et d’opioïdes sur l’année 2015 ont déclaré que le tramadol était la substance la plus fréquemment consommée. De même au Mali, au Niger, au Burkina Faso, ou encore en Côte d’Ivoire, des comprimés et des gélules sont disponibles sur les marchés informels ou auprès de revendeurs et consommés jusque dans les écoles. 

La consommation de tramadol a fait l’objet de plusieurs publications. La chaîne d’approvisionnement et la criminalité associée à ce trafic en Afrique de l’Ouest restent cependant opaques du fait d’une attention relativement récente des autorités, d’un positionnement à la charnière entre le médicament et le stupéfiant imposant de croiser les champs disciplinaires, et d’une focalisation des spécialistes de la criminalité sur d’autres trafics. Partant de ce constat, à partir d’une revue de la littérature et d’entretiens réalisés dans différents pays d’Afrique de l’Ouest en 2017 et en 2018, cet article vise à mieux cerner un objet encore entouré de nombreuses zones d’ombre à travers quatre thèmes : les comprimés et gélules en circulation, les causes et les conséquences du succès du tramadol, les routes et modes opératoires utilisés pour l’importer, et la diversité des acteurs impliqués.

Un produit venu d’Asie

Les saisies de tramadol se sont multipliées en Afrique de l’Ouest ces dernières années. Depuis 2013, elles sont en effet passées de 300 kg à plusieurs dizaines tonnes par an. En 2014, plus de 43 tonnes de tramadol ont ainsi été interceptées par les services mixtes de contrôle portuaire de Cotonou et de Tema, suivies en février 2015 à Cotonou par 13 tonnes à destination du Niger. Onze mois plus tard, la police nigérienne découvrait 7 millions de comprimés, une prise record dans un pays où les saisies sont généralement de faible ampleur. Plus récemment, au Nigéria, ce sont respectivement plus de 50 et de 90 tonnes de tramadol qui ont été saisies en 2016 et en 2017, donnant une idée de l’ampleur du trafic. 

Ces différentes saisies permettent de mieux appréhender les produits en circulation. D’abord, les comprimés et capsules qui circulent illégalement ont pour la plupart des dosages excédant la limite légale. Ainsi, selon la Food and Drugs Authority du Ghana, sur 524 000 capsules et comprimés saisis dans le pays en 2017, seulement une minorité correspondait au dosage légal, soit 50 et 100 mg, la plupart étant dosés à 120 mg, 200 mg et 225 mg 1. Et le cas du Ghana n’est pas isolé, comme le montrent des comprimés ou gélules observées en 2018 à Niamey (250 mg), Bamako (120 mg et 225 mg), dans l’est de la Côte d’Ivoire (120 et 225 mg), à la frontière entre le Mali et le Sénégal (200 et 225 mg), ou encore au Nigéria (225 mg) 2. Ensuite, plusieurs boîtes ou fabricants se retrouvent dans différents pays, à l’exemple de capsules dosées à 120 mg empaquetées dans des boîtes noires et rouges (image 1), avec un graphique de fréquence cardiaque et, sur la plaquette, le dessin d’un homme qui court, ou des boîtes avec la mention de la marque Royal accompagnée d’un fruit faisant référence au goût des comprimés. Ces dernières boîtes présentent d’ailleurs parfois des variations d’un lieu à l’autre, témoignant de la circulation de copies de marques prisées par les consommateurs (images 2, 3).

Extrait du livre "Africa connection, la criminalité organisée en Afrique", sous la direction de Laurent Guillaume, publié aux éditions La Manufacture de livres.

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