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DPDA : ce contexte culturel, sociologique et théologique qui éclaire le débat violent entre une jeune enseignante musulmane et Alain Finkielkraut
©emMarketer/Statista

Piège en prime-time

Invité sur le plateau de l'émission "Des paroles et des actes", Alain Finkielkraut a été violemment pris à partie par une jeune enseignante musulmane. Une attitude symptomatique d'un débat impossible aujourd'hui dès lors qu'il s'agit de s'interroger sur l'islam et ses propres fondements.

Jean Lafontaine

Jean Lafontaine

Jean Lafontaine est l'auteur de l’ouvrage L’islam de France (et d’Europe). Un message de paix ?, aux éditions 7écrit. Il a également publié Les sources doctrinales de l’État Islamique, aux éditions UPPR.

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L’émission du jeudi 21 janvier "Des paroles et des actes" a été le lieu d’un long débat sur la place de l’islam au sein de la société française. Si l’on doit regretter, comme toujours, l’absence de fond doctrinal à ce débat sur l’islam, les interlocuteurs se contentant d’en rester à la sempiternelle et inopérante dichotomie islam/islamisme sans jamais se référer à ce que disent les textes authentiques reconnus par tous les musulmans, il est intéressant d’essayer de comprendre les ressorts sociaux et psychologiques de la diatribe d’une violence inouïe formulée par la jeune enseignante musulmane sur le plateau de France 2 à l’encontre d’Alain Finkielkraut.

Reprenons donc les différents éléments de ce discours violent et méprisant, très clairement préparé à l’avance pour être déroulé sans interruption, déniant toute légitimité à une quelconque contradiction, imperméable à tout raisonnement, et avec la volonté claire d’écraser dans l’œuf toute opposition (heureusement, elle ne portait pas de kalachnikov !)

Les "arguments"

Le discours de cette jeune femme apparemment charmante, mais au sourire un peu forcé et crispé, est un catalogue bien appris d’affirmations qui ne sont étayées par rien de précis. Où sont les arguments ?

La traditionnelle stigmatisation/victimisation occupe l’essentiel du discours : "la cible visée et visible, c’est surtout les musulmans" ; "les musulmans subissent des attaques" ; "il y a une islamophobie institutionnelle et il y a discrimination dans les institutions" ; "ces attaques sont encouragées par des médias qui traitent l’information de manière totalement biaisée de sorte à faire du musulman l’ennemi de l’intérieur". En effet, la victimisation est le refuge idéal lorsque les arguments manquent car cela évite d’avoir à en donner.

Quand on voit avec quelles difficultés les informations finissent par filtrer, en dépit de la censure gouvernementale, concernant les incidents (viols, agressions sexuelles,…) avec les migrants (Allemagne, Suède, France par exemple), on ne peut qu'être stupéfait d’un tel discours à front renversé. Et qui tue dans les rues de Paris avec des kalachnikovs : des juifs, des chrétiens, des athées ? Non, des musulmans.

Pourtant, même Tariq Ramadan met en garde la communauté musulmane contre ce penchant évident à la victimisation qui finit par agacer l’occidental pourtant un peu naïf : "Aujourd’hui, c’est international. Partout où vous allez, vous avez le même état d’esprit, la même psychologie qui nous [ndlr les musulmans] transforme non plus en agents mais en observateurs de nos échecs. L’observateur de ses échecs, il s’assoit, et il développe une pensée victimaire. Qu’est-ce que c’est la pensée victimaire ? "Personne ne m’aime". Et ça, les musulmans : "Personne ne nous aime…" ".

Le reste du discours de la jeune femme est consacré à des attaques personnelles qui relèvent de l’odieux et du gratuit : "Ces attaques sont encouragées par des pseudo-intellectuels qui en parlent et qui font des analyses" ; "Au lieu d’éclairer les débats, vous avez obscurci nos pensées, nos esprits, avec tout un tas de théories vaseuses et très approximatives, je tiens à le dire" ; "Vous avez alimenté des amalgames" ; "Le pire : vous vous êtes permis, vous vous êtes octroyé le droit de parler de l’islam, de parler des musulmans et de parler des quartiers populaires alors que vous n’en avez ni les compétences, ni la légitimité" ; "De quel droit parlez-vous de cela ?". En fait, on ne sait pas de quoi cette jeune femme parle : quelles analyses ? Sur quels sujets ? Quelles théories vaseuses ?  Quels amalgames ? Et pour parachever le tout, l’argument classique de l’absence de légitimité, la légitimité n’étant visiblement pas corrélée à l’intelligence de la pensée.

Quant à l’insulte, on la frôle mais la jeune femme l’évite pour ne pas finir devant les tribunaux pour injure (même si la victime n’aurait certainement pas la bassesse de se résoudre à une telle démarche), puisque cette jeune femme dit elle-même en faisant référence au mot "salaud" : "j’aurais pu le dire mais je ne l’ai pas dit" (ce qui, de fait, fait que c’est tout comme). Ce discours assez abject à l’attention d’Alain Finkielkraut rappelle furieusement les prouesses d’Edwy Plenel dans son odieux petit livre : "Pour les musulmans".

Que reste-t-il finalement de consistant permettant de faire avancer la compréhension ? Rien. Une suite d’affirmations et d’opinions, exutoire ostensible d’un trop-plein de ressentiment et de haine (la judéité d’Alain Finkielkraut y est-elle d’ailleurs pour quelque chose ? On peut légitimement s’interroger).

L’expression d’une culture identitaire et communautariste incapable de dialoguer ?

Cette diatribe, procès stalinien d’un philosophe déjà condamné d’avance (heureusement pour lui que nous ne sommes plus au début des années 40…), peut-elle être considérée comme une illustration assez caractéristique des difficultés de l’islam à envisager la moindre approche critique de la culture musulmane et de ses principes, sans parler même de remise en cause (comme les chrétiens ont pu le faire avec Vatican II, de façon d’ailleurs guère heureuse d’un point de vue doctrinal ; mais c’est une autre question) ? On peut le penser, à lire ou à écouter certaines personnalités musulmanes bien connues.

Ainsi, comme l’écrit ou le dit Tariq Ramadan, "L’un des plus grands défis, c’est cette toile de fond psychologique qui consiste à se regarder et à être regardé par le prisme de nos problèmes. C’est de ça dont il faut se libérer d’abord". "L’absence de débat critique et serein est l’un des maux qui rongent la pensée musulmane contemporaine". "Les dialogues et les débats manquent infiniment à l’intelligence musulmane contemporaine". "Depuis longtemps, les musulmans ne savent plus se mettre d’accord intellectuellement pour quelque chose (une idée, un projet ou un engagement) : ils ne se rapprochent émotionnellement les uns des autres et offrent parfois un front apparemment uni que lorsqu’il s’agit de se mobiliser contre un potentiel ennemi, une provocation ou une attaque. Loin du dialogue critique, l’union est effectivement émotive, souvent excessive, ponctuelle et éphémère".

Malek Chebel écrit pour sa part : "L’esprit musulman d’aujourd’hui répugne à se voir reprocher, même avec doigté, l’absurdité logique de telle pensée anachronique ou fossile, surtout si elle a été codifiée par le Coran ou la sharia". "Celui qui analyse les difficultés que rencontrent aujourd’hui l’islam et les musulmans est frappé par la faiblesse de la pénétration de la pensée rationnelle dans la pensée religieuse."

Il est vrai que développer une pensée critique est difficile lorsque votre religion vous impose une soumission qui semble bien opposée à la liberté chrétienne :

  • Coran, sourate 2, verset 229 : "(…) Voilà les ordres d'Allah. Ne les transgressez donc pas. Ceux qui transgressent les ordres d'Allah sont des injustes"

  • Coran, sourate 24, verset 51 : "La seule parole des croyants, quand on les appelle vers Allah et Son messager, pour que celui-ci juge parmi eux, est : "Nous avons entendu et nous avons obéi". Et voilà ceux qui réussissent"

  • Coran, sourate 33, verset 36 : "Il n'appartient pas à un croyant ou à une croyante, une fois qu'Allah et Son messager ont décidé d'une chose, d'avoir encore le choix dans leur façon d'agir. Quiconque désobéit à Allah et à son messager est dans un égarement évident"

Yusuf Qaradawi, éminente personnalité religieuse musulmane précise :"Il n’est pas nécessaire pour le musulman de connaître en détail quel est le mal pour lequel Dieu a interdit telle chose. Il se peut que lui échappe ce qui apparaît à d’autres. Il se peut que ce mal ne soit pas découvert à telle époque et qu’il devienne apparent plus tard. Le musulman doit toujours dire : "Nous avons entendu et nous avons obéi"."

Un récent colloque à l’Institut du Monde Arabe (26 novembre 2015) avait d’ailleurs pour thème cette question réellement surprenante : "Quelle place dans la religion musulmane pour une véritable liberté personnelle, de conscience et de choix ?". C’est dire ! Car on ne se poserait pas la question si tout cela allait de soi dans la culture musulmane. Interrogé par le public de façon très claire au sujet de l’apostasie et du jihad, Abdennour Bidar, pourtant musulman "progressiste", a refusé lors de cette conférence de répondre et a éludé les questions de façon manifeste.

Cela étant, lorsqu’on sait que l’islam de France refuse encore aujourd’hui le droit d’apostasier aux musulmans, c’est-à-dire n’accorde pas aux musulmans la liberté consistant à choisir de changer de religion ou à devenir athée (l’apostasie étant punie sévèrement dans les pays musulmans – parfois jusqu’à la mort conformément à la règle édictée par Mahomet –), on se doute bien qu’il y a un sérieux problème avec le vénérable vivre-ensemble dont on rebat les oreilles des Français de tous côtés depuis des années, invocation pieuse mais sans effet.

Les courants critiques de l’islam, comme le mutazilisme, n’ont guère survécu dans l’histoire de l’islam, et comme l’écrit Tareq Oubrou : "Pour qui veut lutter contre l’obscurantisme qui frappe aujourd’hui le monde musulman, la France n’est pas forcément un endroit de tout repos.(…) Tout discours élaboré sur Dieu, l’interprétation du Coran ou la nécessité d’adapter sa pratique à un environnement sécularisé s’apparente pour la plupart des musulmans, en particulier les jeunes littéralistes, à un blasphème".

Le renouveau et l’extension du wahhabisme, fortement soutenu par l’Arabie Saoudite et par le Qatar, ont remis à l’ordre du jour avec des moyens considérables – utilisés jusqu’en Occident pour financer des moquées ou des communautés et répandre l’islam dans la société française – un retour à la pureté de l’islam des origines, celui de Mahomet, qui a ouvert la période du Jihad, "combat armé dans la voie d’Allah".

Le renvoi constant à la vie du Prophète, à ses pratiques, est d’ailleurs une des caractéristiques de la littérature produite par l’État Islamique, qui documente de façon rigoureuse sa doctrine : ce n’est pas un hasard. Face à cette littérature, y a-t-il une réponse de l’islam prétendument "modéré", s’appuyant également sur les textes musulmans authentiques ? On la cherche…

Car Mahomet n’est-il pas le meilleur musulman, le modèle ? Or c’est bien lui qui a déclenché le jihad, chassé et exterminé les juifs de Médine (en égorgeant les prisonniers de la tribu juive des Banû Quraydha "jusqu’à leur extermination totale"), appelé à tuer les juifs si l’on suit la Sunna authentique ("Vous combattrez les juifs au point que si l’un d’entre eux se cache derrière une pierre, la pierre dira : Ô adorateur de Dieu ! Voilà un juif derrière moi : tue-le !"), multiplié les batailles, razzias, vendu les femmes et les enfants capturés sur les marchés… Autant d’éléments parfaitement clairs et documentés, figurant dans la Sîra (biographie musulmane) de Mahomet – texte que tout le monde devrait lire –, et qui font clairement écho à ce qu'il se passe notamment au Moyen Orient de nos jours.

Aujourd’hui, le dialogue inter-religieux ne sert à rien sauf à prendre le thé, ce qui est en réalité assez normal. À partir du moment où chaque religion prétend détenir seule l’unique vérité, aucun dialogue n’est en réalité possible sauf celui portant sur les conditions de la tolérance entre communautés, chacun suivant son chemin spirituel vers le salut, à cette "nuance" près que la doctrine de l’islam rejette tout à fait viscéralement l’idée de liberté religieuse et de laïcité telles que l’Occident, et en tous cas la France, les comprend.

Le mépris visible qui suinte des pores du visage de la jeune intervenante n’est guère surprenant. Sans doute pense-t-elle, comme lui enseigne le Coran (sourate 3, verset 110), être supérieure à son interlocuteur et n’avoir qu’une bonne leçon – voire une correction – à lui infliger, pour l’humilier (comme il est écrit par ailleurs dans le Coran) : "Vous [ndlr les musulmans] êtes la meilleure communauté suscitée chez les hommes : vous ordonnez ce qui est convenable, vous interdisez ce qui est blâmable et vous croyez en Allah. Si les Gens du Livre [ndlr les juifs et les chrétiens] croyaient, ce serait meilleur pour eux. Parmi eux se trouvent des croyants mais la plupart d’entre eux sont des pervers".

Comment, dans ces conditions, envisager le début d’un quelconque dialogue sincère ?

Conclusion : qui a le droit (comme dit la chanson) ?

L’attitude de cette jeune femme semble emblématique de l’attitude d’une partie importante de la communauté musulmane qui méconnaît les propres textes de sa religion et vit cette religion comme un ferment identitaire, creuset nocif qui va faciliter le ruminement de frustrations, au lieu d’envisager la possibilité de transformer l’islam en sagesse, en le débarrassant, au moins en pratique (puisque cela est impossible d’un point de vue doctrinal : on ne touche pas à la parole d’Allah !), de tout ce qui rend impossible une véritable rencontre avec l’Occident, une authentique ouverture au monde moderne.

Comme l’explique Alain Finkielkraut, l’islamophobie est utilisée aujourd’hui à toutes les sauces pour attaquer tout non-musulman un peu critique, sans compter le politiquement correct et la dictature gouvernementale et judiciaire qui progressivement et sûrement étouffent la liberté d’expression en France pour masquer des années d’irresponsabilité et la gravité actuelle de la situation.

Faut-il compter sur les quelques penseurs musulmans contemporains qui osent enfin élever la voix pour tenter de réformer l’islam (Malek Chebel, Abdennour Bidar par ex.), et qui seraient sans doute vilipendés avec force et traînés dans moult procès par toutes les organisations de défense des droits de l’homme s’ils étaient juifs ou chrétiens (Eric Zemmour en sait quelque chose) ? C’est un bien mince espoir, qui ne rend guère optimiste, mais qu’avons-nous d’autre ?

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