Doutes sur le SNU : une étude sur 15 pays européens montre que la conscription… affaiblit le soutien aux institutions de leur pays des citoyens qui y ont été soumis<!-- --> | Atlantico.fr
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Des jeunes mobilisés dans le cadre du service national universel.
Des jeunes mobilisés dans le cadre du service national universel.
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Oups…

Alors que le ministère de l'Education nationale souhaite rendre le Service national universel progressivement obligatoire dès septembre 2024, une étude publiée dans le American journal of political science décrypte l’impact de la conscription militaire sur la relation entre le citoyen et l'Etat.

Riccardo Di Leo

Riccardo Di Leo

Riccardo Di Leo est chercheur postdoctoral en sciences politiques à l'Institut Carlos III - Juan March. Il est titulaire d'un doctorat en économie de l'Université de Warwick. Ses recherches portent sur l'étude de l'opinion publique, avec des applications au fossé civilo-militaire, au terrorisme dans les pays occidentaux et aux héritages historiques.

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Atlantico : Vous avez récemment publié une étude sur la culture militaire et la confiance institutionnelle : les preuves des réformes de la conscription en Europe ("Military Culture and Institutional Trust: Evidence from Conscription Reforms in Europe"). Dans quelle mesure la conscription militaire affaiblit-elle la relation entre le citoyen et l'État ?

Riccardo Di Leo : Dans notre article, nous recueillons des données d'enquête auprès de 15 pays européens qui ont suspendu ou aboli la conscription militaire au cours du siècle dernier. Nous montrons que les hommes nés juste assez tôt pour ne pas être concernés par la réforme font moins confiance aux institutions démocratiques que ceux qui viennent d'être exemptés de la conscription. Cet effet négatif sur la confiance est observé pour un large éventail d'institutions : des partis aux politiciens, du parlement au système judiciaire.

Quelles sont les principales hypothèses pour expliquer ce bilan ?

Dans un premier temps, dans notre analyse, nous comparons des hommes de générations contiguës, donc exposés au même contexte politique tout au long de leur vie. Deuxièmement, nous ne retrouvons pas un impact comparable de l'abolition de la conscription sur la confiance institutionnelle parmi les femmes des cohortes correspondantes, qui n'étaient pas tenues de servir. Enfin, l'effet attribué au service militaire n'est pas motivé par des changements dans la carrière et le développement scolaire des conscrits.

Pour donner un exemple, les conscrits potentiels, pour reporter ou éviter d'être enrôlés, auraient pu être plus incités à s'inscrire à l'université. Cela aurait peut-être amélioré leurs résultats socio-économiques à long terme et, par conséquent, leurs attitudes envers les institutions de leur pays. Pourtant, alors que d'autres chercheurs ont montré que ce phénomène était en place aux États-Unis au moment de la guerre du Vietnam, nous ne trouvons pas de preuves en ce sens en Europe, dans les années de paix.

La conscription militaire encourage le patriotisme de plusieurs manières, comment expliquer l'effet négatif paradoxal sur les institutions étatiques ?

Ici, il est crucial de souligner la différence conceptuelle entre le patriotisme et la confiance dans les institutions démocratiques. Alors que d'autres auteurs ont montré que la conscription militaire peut renforcer les sentiments de loyauté envers le régime politique et le patriotisme, cet effet ne se traduit pas nécessairement par un soutien accru aux institutions élues que l'armée est chargée de servir.

De nombreux chercheurs ont montré l'existence d'un « fossé civilo-militaire » : un décalage dans les incitations des organes élus et militaires au sein de l'État. On peut soutenir que l'environnement vertical et hautement structuré auquel les conscrits sont exposés pendant plusieurs mois, isolés de la société dans son ensemble, peut façonner leur identité civique en fonction des normes militaires, ce qui pourrait entrer en conflit avec la loyauté envers les institutions démocratiques. Par exemple, la prise de décision agile et verticale de l'armée peut faire apparaître la surveillance civile comme un fardeau inutile. Notre analyse montre en effet comment ce « fossé civilo-militaire » résulte de la formation d'une communauté homogène de conscrits, aux valeurs uniformes.

Le président français Emmanuel Macron a mis en place le Service national universel (SNU), le Service national général, d'après votre étude, est-il probable que le soutien aux institutions démocratiques faiblisse ?

Force est de constater quelques similitudes entre les dynamiques relatées au sein du SNU et une journée type de conscrit : uniformes, activité physique, règles et horaires à respecter. Pourtant, le SNU de Macron présente plusieurs différences avec les programmes de conscription « standard » que nous avons étudiés. Bien que l'intention semble être de rendre le SNU obligatoire, l'adhésion a été jusqu'à présent volontaire et sa durée plus courte que la période de rédaction traditionnelle. Les hommes et les femmes sont éligibles pour participer et, plus important encore, plusieurs options d'engagement non militaire sont proposées à ceux qui choisissent de le faire. Tous ces facteurs peuvent réduire considérablement le «fossé civilo-militaire» que nous identifions, atténuant ainsi l'effet négatif sur la confiance envers les institutions démocratiques.

Si la conscription ne fonctionne pas pour renforcer le lien entre les institutions et les citoyens, qu'est-ce qui pourrait ?

C'est une question assez difficile à répondre, mais cruciale. En période de faible taux de participation, d'insatisfaction à l'égard de la démocratie et de scepticisme à l'égard des élites gouvernantes, les décideurs politiques doivent de toute urgence envisager de nouvelles approches pour promouvoir les devoirs civiques et favoriser l'inclusion des jeunes au sein du régime. Pourtant, pour citer un suspect habituel, il a été démontré que l'accès à l'enseignement supérieur est associé à une plus grande confiance sociale et institutionnelle. On peut soutenir que le système éducatif, l'une des rares expériences partagées qui subsistent dans les sociétés atomisées d'aujourd'hui, peut jouer un rôle clé dans la recomposition du tissu social.

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