Plus haut, plus fort, plus tordu... : le dopage génétique va-t-il tuer les Jeux olympiques ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des tests génétiques ont déjà révélé que certains sportifs possèdent des dons de la nature...
Des tests génétiques ont déjà révélé que certains sportifs possèdent des dons de la nature...
©Reuters

Trafic d'allèles

Ceux à qui Mère nature n'a pas donné de gènes permettant de courir vite ou de sauter haut pourraient tenter de se rattraper en manipulant leur ADN.

Le génie génétique va-t-il changer la face du sport ? La question devient brûlante alors que débutent ce vendredi les Jeux Olympiques, et les scientifiques s'inquiètent. Au même moment, plusieurs articles publiés dans le magazine scientifique Nature soulèvent cette problématique.

A quoi sert de courir, lorsque vous pouvez connaître à l'avance le profil génétique d'un sprinter ou d'un coureur de fond, et prédire à partir d'un génome qui sera un futur champion de ski alpin ? L'idéal de la compétition sportive qui récompenserait les athlètes au mérite s'efface peu à peu au profit d'une vision scientiste de la pré-sélection génétique.

"Lorsque vous commencez à séquences les gènes de très très larges populations d’êtres humains, vous découvrez que les êtres humains sont bien plus différents les uns des autres que ce que l'on pensait auparavant ", explique Steve Gullans, un des responsables de Excel Venture Management à Boston, et co-auteur d'un article d'opinion paru dans Nature avec son collègue Juan Enriquez.

Les tests génétiques ont déjà révélé que certains sportifs possèdent des dons de la nature. Par exemple, le skieur Eero Mäntyranta, détenteur de sept médailles olympiques possède une mutation naturelle d’un gène très utile, codant pour le récepteur de l'érythropoïétine (EPOR). L’érythropoïétine est une hormone de croissance qui contrôle la production de globules rouges. Cette mutation lui permet de produire naturellement 25% plus de globules rouges que la normale. Cette polyglobulie et ce taux d'hématocrite naturellement très élevé augmentent la capacité sanguine de transport d’oxygène jusqu’à 50%.  Un grand avantage pour les épreuves d’endurance.

Or, ce genre de bénédiction naturelle peut faire des jaloux : "Si quelqu’un possède la mutation du gène de l’EPOR, et pas moi, pourquoi ne pourrais-je pas me la procurer pour jouer sur un pied d’égalité ?" résume Gullans. Mais ce n’est pas tout : pratiquement tous les sprinters masculins portent l’allèle 577R allele, une variante du gène ACTN3. Environ la moitié des Eurasiens et 85% des Africains portent au moins une copie de ce « power gene ».

Un autre article de Nature, signé de la plume de Daniel Cressey explique que les Jeux Olympiques sont devenus le théâtre d'une expérience scientifique à grande échelle. Cette compétition permet en effet d'étudier les limites des performances du corps humain, mais aussi de développer la technologie du sport : combinaisons, matériel, prothèses...

En général, les thérapies géniques sont utilisées pour corriger un gène déficient chez un malade. Mais en principe, la même technologie peut être utilisée chez les individus sains, pour améliorer des gènes déjà performants. "Vous pouvez prendre un athlète parfaitement constitué et bidouiller dans ses gènes pour le rendre encore plus fort", précise Don Catlin, l'ancien directeur du Laboratoire antidopage de Los Angeles. Ce procédé peut permettre d’augmenter l’endurance d’un athlète en multipliant sa production naturelle d'érythropoïétine (EPO), ou encore de booster la concentration d’hormone de croissance présente dans on organisme, afin de décupler sa masse musculaire.

Cette méthode d’amélioration des performances est évidemment bien peu fair-play, et ce sont logiquement les autorités antidopages qui ont pris le problème en mai, en anticipant d’éventuelles dérives. L’utilisation des thérapies géniques est donc interdite par le Comité International Olympique depuis 2003. Les chercheurs tentent déjà de développer des tests permettant de repérer ce type de « dopage génétique ». L'Agence mondiale antidopage (AMA) a investi des millions de dollars dans la recherche scientifique pour mettre au point une méthode de détection. "Nous avons approché les grands spécialistes de la thérapie génique dans le monde, avec lesquels nous travaillons depuis 2002", explique David Howman, le directeur général de l'AMA. Mais aucun test ne sera prêt pour les Jeux de Londres qui débuteront le 27 juillet, regrettent les observateurs de la lutte antidopage.

Car il est parfois très difficile, voire impossible de repérer de telles manipulations. Les chances actuelles de détecter de l'ADN étrangère sont "probablement égales à trouver une aiguille dans une botte de foin", estime Alun Williams, spécialiste de génomique dans le sport, selon qui il faudra encore quelques années de recherches avant d'y arriver.

Alun Williams croit qu'un gène d'hormone de croissance injecté directement dans le muscle serait quasiment impossible à détecter dans l'urine ou le sang, les deux échantillons prélevés lors des contrôles antidopage actuels."Il faudrait faire des biopsies à un athlète pour avoir des meilleures chances de trouver quelque chose, mais c'est une procédure bien trop intrusive... Et en plus, il faudrait le faire dans chaque muscle", explique ce professeur de l'Université de Manchester. 

Pour l’instant, tout ceci n’est peut-être que de l’ordre du fantasme. Certains athlètes ont-ils déjà recours à cette technique médicale ? Personne n’a vraiment la réponse. Un ancien entraîneur d'athlétisme est-allemand a été soupçonné d'avoir tenté de se procurer du Repoxygen, un traitement génétique alors en cours de développement, avant les jeux Olympiques de Turin de 2006. Ce médicament contre l'anémie contenait un virus synthétique portant le gène de l'EPO, une hormone responsable de la production de globules rouges. Mais selon David Howman,  il n'existe "pas de preuve" que des athlètes aient recours à des manipulations génétiques.

Don Catlin est plus prudent : "Je n'en connais pas, mais en même temps personne ne va m'appeler pour me dire qu'il l'a fait. Ce sujet nous préoccupe car c'est une possibilité théorique. Nous savons que des personnes essaieront ou probablement sont en train d'essayer".

Mais le jeu en vaut-il la chandelle pour les sportifs ? Sont-ils prêts à courir le risque de subir de graves effets secondaires pour améliorer leurs performances ? Les patients malades, traités de façon légale ont fait les frais des risques liés à ces thérapies encore balbutiantes : "selon plusieurs études, des patients ont connu de graves effets secondaires et plusieurs sont morts", témoigne Théodore Friedman, directeur du programme de thérapie génique à l'Université de Californie. De graves complications sont parfois provoquées par ces traitements, dont certains ont entrainé des cancers, des leucémies et des maladies auto-immunes.Un athlète ayant reçu des gènes présenterait définitivement des constantes sanguines augmentées, avec les risques connus d’infarctus et d’accidents cérébraux.

Julie Mangematin

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