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Donald Trump ou la deuxième mort de Franklin D. Roosevelt
©SAUL LOEB / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Hughenden,

Le 15 juillet 2018

Quand Trump fait de la politique, les bureaucraties sont terrifiées

Mon cher ami,

Il y a panique à bord dans toutes les organisations internationales. Il m’arrive de passer à la Banque Mondiale, dont les bâtiments sont situés à quelques centaines de mètres de la Maison Blanche.  On n’y nomme jamais Donald Trump: il s’agit toujours de « l’autre, là-bas » ou bien d’un simple geste de la main dans la direction géographique appropriée. Tout se passe comme s’il s’agissait d’effectuer des rituels magiques pour détourner le mauvais oeil d’un démon dont on ne prononce pas le nom. Il est vrai qu’au cours de la semaine qui vient de s’écouler, nous avons eu droit à un festival de la part du dit bureaucrativore. L’OTAN se demande désormais à quoi elle sert. Et il se peut qu’un doute similaire s’insinue progressivement chez les acteurs de l’Union Européenne - il faut dire qu’ils sont en partie les mêmes que ceux de l’OTAN.

Pourquoi les Etats-Unis paieraient-ils pour leurs alliés de l’OTAN quand ceux-ci n’ont pas l’air d’être vraiment préoccupés de leur défense? Donald Trump a insisté sur le cas de l’Allemagne, parce qu’il est caricatural: le pays dépense très peu pour sa défense tout en affichant, au moins au niveau gouvernemental, une grande crainte de la puissance russe rétablie. En même temps, comme l’a souligné le président américain, l’Allemagne achète beaucoup de gaz russe. Où est la cohérence? A peine les pays européens pensaient-ils avoir apaisé l’imprévisible hôte de la Maison Blanche qu’une autre bombe médiatique éclatait: Donald Trump affirmait au Sun juger très mauvaise la stratégie de Theresa May pour négocier le Brexit. La question commerciale surgit régulièrement chez Donald Trump: jeudi il menaçait Theresa May de ne pas signer d’accord commercial avec la Grande-Bretagne si celle-ci restait trop dépendante des traités commerciaux qui régissent l’Union Européenne. Et voici que, depuis vendredi circule un document de travail de la Maison Blanche qui prévoirait de demander au Congrès la sortie des Etats-Unis de l’Organisation Mondiale du Commerce. Lundi, le président américain se rend en Finlande pour rencontrer Vladimir Poutine; il reviendra aux sujets de défense, on imagine. Mais pourquoi ne parlerait-il pas aussi levée des sanctions économiques contre la Russie?

Ce qui surprend le plus les observateurs, c’est la manière dont Donald Trump établit des liens entre les dossiers.  En fait, mon cher ami, ce qui les surprend, c’est que Donald Trump fasse de la politique: il établit le lien entre les différents dossiers de la nation et de la politique internationale. Il a une vision d’ensemble pour construire une stratégie. Quand l’OTAN rencontre l’Ukraine et la Géorgie pour parler de leur adhésion à l’OTAN, Donald Trump, qui va lui rencontrer le président russe lundi, fait exprès d’arriver en retard, et ensuite il demande la sortie des deu xpays pour les discussions internes! Cela s’appelle faire de la politique. On a le droit de combattre cette politique; mais on n’a aucune chance contre elle si on cherche à l’enfermer dans des schémas technocratiques.

Nous avons été habitués au règne des experts et au traitement en silo des questions par les grandes organisations bureaucratiques, nationales et internationales. C’est de cela que Donald Trump voudrait déshabituer les Américains et le monde. On entend dire que ce pourrait être terrible, le président américain pourrait proposer à Poutine de retirer les troupes de l’OTAN de l’Est européen en échange de concessions russes dans d’autres dossiers. La baisse des tensions et une chance de se rapprocher de la paix, c’est cela qui est terrible? Non, mais imaginons que, par la faute de Trump - comme par celle de Reagan autrefois - l’OTAN ait moins à faire, cette organisation connue, par exemple, pour le succès de sa campagne d’Afghanistan depuis 2001......

La fin du rooseveltisme

En fait, le président américain suggère que les Etats-Unis pourraient revenir à une manière de fonctionner dans les relations internationales qui avait cours avant 1945 - ou 1914. Il juge que les organisations inter- et supranationales sont inefficaces, qu’elles ne servent qu’à sécréter de la bureaucratie et des tonnes de papiers blancs, jaunes, bleus ou verts qui servent à fixer des objectifs mais non à les atteindre. Donald Trump imagine le monde d’avant l’ONU et Bretton Woods, d’avant la SDN même. Un monde où les Etats construisent directement leurs relations internationales avec qui ils veulent, sur une base bilatérale. Il explique aux Européens qu’ils pourraient se passer de l’OMC, de l’OTAN et, même, de l’Union Européenne! C’est effectivement la seconde mort de Franklin Delano Roosevelt, qui a conçu et légué à ses successeurs tout un ordre d’après-guerre où le multilatéralisme se traduit dans des organisations internationales.

Evidemment, la position de Trump est poussée à la limite, pour ébranler ses interlocuteurs. L’Europe du XIXè siècle n’avait pas de Société des Nations mais elle avait les mécanismes des Congrès, qui se réunissaient régulièrement pour désamorcer ou régler les conflits. En matière commerciale, il y a sans doute beaucoup à perdre à jeter par-dessus bord la clause de la nation la plus favorisée. En matière militaire, il faudra toujours disposer des moyens de monter des coalitions. Je crois d’ailleurs que l’objectif du président américain est de secouer les organisations internationales plutôt que de les jeter par-dessus bord. En tout cas, au moment où la Russie et la Chine construisent l’Organisation pour la Coopératioin de Shanghai, il serait dangereux de se priver de toute instance de concertation multilatérale en Occident.

Il n’empêche qu’il y a un point sur lequel les faits pourraient donner raison à l’actuel hôte de la Maison Blanche: Les « machins », comme les appelait le Général de Gaulle, sont des organisations imaginées au milieu du XXè siècle. Ils sont dépassés par la révolution de l’information.  Regardez la lenteur de décision de l’Union Européenne, absolument inadaptée à l’instantanéité et l’abondance des communications de notre époque. Quand j’entends les récits de certains collaborateurs de la Commission, j’ai envie de leur suggérer d’ouvrir des pages Facebook sur les sujets qu’ils ont à traiter......Plus sérieusement, nous avons encore à inventer les organisations internationales du XXiè siècle. Un monde comme l ‘imagine Donald Trump aurait un côté Far West. Mais nous serons bien d’accord avec lui que les bureaucraties du XXè siècle sont devenues des dinosaures. Et ne s’en sortiront que les Etats qui sauront les quitter ou bien les réformer profondément.

Je vous souhaite une bonne semaine. Elle m’amènera certainement à vous donner des nouvelles de notre Premier ministre et du parti conservateur.

Bien fidèlement à vous

Benjamin Disraëli

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