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Donald Trump à Davos : ce populisme ploutocratique qui conquiert la planète et menace nos démocraties
©Fabrice COFFRINI / AFP

Inégalités

Alors que s'ouvre ce weekend le Forum de Davos, les chiffres du World Inequality Report 2018 montrent qu'entre 1980 et 2016, les 1% les plus riches ont capté 28% de la croissance des revenus réels alors que les 50% du "bas de l'échelle" n'en ont capté que 9%.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Alors que le Forum de Davos commence ce week end, et accueillera Donald Trump, l'éditorialiste du Financial Times, Martin Wolf, alerte nos démocraties sur la question des inégalités. Selon les chiffres du World Inequality Report 2018, aux Etats Unis, au Canada, et en Europe occidentale, entre 1980 et 2016, les 1% les plus riches ont capté 28% de la croissance des revenus réels alors que les 50% du "bas de l'échelle" n'en ont capté que 9%. Cette concentration progressive des richesses se combine avec une même concentration du pouvoir, ce qui pourrait avoir pour effet de voir émerger un "populisme ploutocratique" ayant pour objet de faire perdurer cette croissance des inégalités en s'appuyant sur la division de la population, en citant Donald Trump en exemple. Quelles sont les menaces qui pèsent sur nos démocraties en raison de la progression des inégalités ? La menace d'un "populisme ploutocratique" est-elle à prendre au sérieux ? 

Jean Petaux : L’expression « populisme ploutocratique » peut sembler paradoxale et laisse à penser qu’il y aurait là une forme d’oxymore. Il faut peut-être donner une définition simple de la « ploutocratie » : il s’agit d’une forme de gouvernement (on retrouve le suffise « cratie » issu du grec « ktratia » qui signifie « gouvernement par ») parmi d’autres : celle de ceux qui détiennent la « richesse » (« ploutos » en grec). Dans l’entre-deux guerres Joseph Caillaux, redevenu ministre en 1922, dénonçait les « ploutocrates qui menaçaient, disait-il déjà, l’organisme européen ». Aristide Briand, l’un de ses plus fidèles adversaires, le traitait à son tour de « ploutocrate démagogue ». Le terme « ploutocrate » est communément admis comme une insulte et figure d’ailleurs à ce titre dans le répertoire lexical du capitaine Haddock, chez Hergé, au même titre qu’ « anachorète » et « bachi-bouzouk » ou « philactère ». Il a aussi connu sa fortune (c’est le cas de le dire) dans le vocabulaire antisémite à la fin du XIXè siècle associé à « cosmopolite » et « apatride ».

Reste qu’aujourd’hui, et vous le précisez fort bien dans les termes de votre question, les inégalités salariales ou plus largement financières semblent avoir atteint un niveau inconnu jusqu’alors. N’étant pas économiste et n’ayant aucune espèce de compétence à faire valoir en la matière je m’en remets moi-même aux travaux de référence d’Anthony Atkinson et Emmanuel Saez, magistralement repris et augmentés dans le livre de Thomas Piketty qui a connu un succès mondial à sa sortie : « Le capital au XXIè siècle » (Seuil, 2013). Ce gros ouvrage a donné lieu de vifs débats et polémiques serrées entre économistes en fonction de leur appartenance à telle ou telle chapelle. La question n’est pas ici de trancher sur les conclusions portées par l’ouvrage, elle consiste simplement à reprendre les chiffres (incontestés quant à eux) cités par l’auteur et contenus dans les travaux de ses collègues. Pour faire simple disons ceci : sur un graphique montrant le  niveau des richesses accumulées par les individus, la tranche des plus riches dans le monde s’allonge considérablement, elle devient de plus en plus fine et pointue (il y en a de moins en moins) et elle monte à des  niveaux inégalés. Quant aux barreaux de l’échelle des revenus s’ils sont peu écartés quand on est au bas de l’échelle (et de plus en plus larges), ils deviennent quasiment infranchissables quand on est dans le dernier décile des fortunes les plus élevées. Le constat est donc évident : à l’échelle de la planète les inégalités se creusent et si certains tels Warren Buffett (2ème fortune mondiale en 2017  avec $75,6 milliards selon le classement annuel de « Forbes »)  fustigent le système libéral qui a généralisé la rente aux dépens de l’investissement on voit mal ce qui pourrait provoquer une inversion de la tendance.

Faut-il pour autant, face à un tel constat et à cette concentration accélérée de la richesse dans les mains de quelques uns, considérer d’une part que le monde est devenu une ploutocratie et que celle-ci dès lors qu’elle s’incarnerait dans des leaders considérés comme populistes, bénéficierait d’une forme de légitimité populaire. Cela serait nettement exagéré serait même tout à fait faux. Faux parce que tous les dirigeants, au moins des Etats les plus importants de la planète (évoquons le G20 par exemple) ne sont pas forcément les citoyens les plus riches de leur pays. Certes, depuis un an désormais, la présence du milliardaire Trump à la Maison-Blanche peut encourager un tel raisonnement. Le fait qu’il ait été élu par le « peuple américain » (en réalité il a été minoritaire en voix dans une élection qui n’a mobilisé que 50% des inscrits sur les listes électorales dont on estime qu’elles ne concernent elles-mêmes qu’un Américain sur deux…) et qu’il tienne un discours populiste ne permet pas de dire que tout le peuple américain le soutient. Un article récemment publié dans « Le Figaro » montre précisément que la cote de popularité de Trump, un an après son arrivée au pouvoir, se situant entre 35% et 40%, est la plus basse de tous ses prédécesseurs depuis George Bush père même si elle est très stable et ne descend plus. Quant aux autres dirigeants des pays les plus riches et les plus développés du globe ils ne sont pas milliardaires en dollars et ne sont d’ailleurs pas les plus fortunés de leurs concitoyens. Nombre de milliardaires chinois dépassent largement, en fortune, M. Xi Jinping. Monsieur Poutine est bien moins riche que nombre d’oligarques russes qui le soutiennent d’ailleurs plus ou moins. Et d’Angela Merkel à Teresa May ou à Emmanuel Macron on peut multiplier les exemples. Sans compter que tous ne font pas « profession politique » de caresser leur peuple dans le sens du poil. Loin de là par exemple pour ce qui concerne la chancelière allemande ou le président de la République française.

Si le développement à l’échelle des démocraties de la planète d’un « populisme ploutocratique » n’est pas une hypothèse sérieuse et si un Trump à la Maison-Blanche ne saurait tenir lieu de modèle appelé à se répéter, il n’en demeure pas moins que les inégalités profondes qui se creusent de plus en plus au sein des sociétés régies par les règles de la démocratie et dirigées par des Etats de droit sont particulièrement dangereuses pour les fondements-mêmes de l’esprit démocratique. Les sentiments croissants d’injustice, d’inéquité, plus prosaïquement aussi d’ailleurs d’impossibilité de « s’en sortir » et de rejoindre la « caste » des privilégiés, elle-même de plus en plus réduite en nombre, ne peuvent qu’encourager les apparitions de discours et de pratiques « anti-système » motivés par un ressort historiquement immuable : puisque le système interdit toute forme de progression personnelle et semble condamné à ne reproduire que les richesses acquises en les développant selon une courbe exponentielle, seule une destruction de ce système permettra de redistribuer réellement les parts du gâteau. Comme l’écrit le vieux Chateaubriand peu de temps avant sa mort en 1848 : « En vain les champs se couvrent de moissons, en vain un peuple paie l’impôt. Soudain éclate l’a révolte puis la révolution. Il manquait au peuple un supplément d’âme ».

Christophe Bouillaud : Oui, tout à fait. D’une part, il faut bien se rappeler que la disponibilité de moyens économiques importants constitue généralement un atout dans la compétition électorale. Avoir des riches donateurs de son côté ou être soi-même très riche permet à tout compétiteur de disposer d’un avantage comparatif sur les autres compétiteurs. Cet avantage s’est récemment renforcé aux Etats-Unis avec la suppression en pratique par la Cour suprême de toute limite aux dons. Cette prime donnée à l’argent dans la compétition électorale se renforce par ailleurs, parce qu’une part de plus en plus grande des électeurs ne sont plus encadrés par des partis politiques, des associations, des Eglises ou des syndicats. Ils sont donc plus disponibles pour être sensibles aux messages élaborés par des spécialistes de la communication politique. D’autre part, les compétiteurs qui peuvent revendiquer devant leurs concitoyens le statut d’homme d’affaires qui a réussi sont avantagés dans le cadre d’une vision plus individualiste, néo-libérale et anti-étatiste partagé par de nombreux citoyens – dont je suppose la plupart des lecteurs réguliers d’Atlantico vu les réactions à mes interventions « gauchistes » dans ses colonnes. C’est « l’effet Berlusconi », en quelque sorte : « Citoyens, donnez-moi le pouvoir d’Etat, car je suis un des plus grands créateurs d’entreprises du pays, je suis un entrepreneur qui saura agir pour le bien de tous ». Ce second aspect ne fonctionne pas toujours électoralement : la Team Stronach lancé il y a quelques années en Autriche par un vieux milliardaire n’a pas percé. Il n’est pas non plus nécessaire non plus d’avoir vraiment réussi dans les affaires, il suffit de le faire croire, comme l’exemple de Trump le montre. Cela peut tout de même être utile, comme le montre le succès électoral de la première fortune du pays en République tchèque aux deux dernières élections.

Quoiqu’il en soit, lorsque vous êtes arrivé au pouvoir porté par une propagande bien dotée en moyens économiques venu du privé, ou que vous êtes vous-mêmes un riche entrepreneur, vos décisions en matière économique et fiscale vont en général dans le sens de vous aider vous-mêmes, même si, bien sûr, vous avez promis monts et merveilles à vos électeurs modestes pour l’emporter. On avait ainsi remarqué en Italie que l’un des premiers bénéficiaires de la réforme de la fiscalité sur l’héritage menée par le gouvernement Berlusconi n’était autre que la famille Berlusconi elle-même. Ces décisions tendent alors à accentuer encore les inégalités.

Si l'Europe occidentale voient "ses" 1% capter la même proportion de richesses que 51% de la population, les 1% américains en captent autant que 88% de la population. Malgré ce différentiel, quels sont les enjeux spécifiques en Europe ? Quelles sont les formes de "dérives" pouvant prendre forme sur le vieux continent ?

Jean Petaux : Le populisme produit dans la « vieille Europe » par des leaders qui, à défaut d’être fortunés comme Trump, peuvent apparaître comme charismatiques, porte essentiellement sur le refus de l’ouverture au monde, sur un repli dans le pré-carré national (logique des « Brexiters ») et sur une peur exacerbée de toutes les immigrations massives ou non d’ailleurs. Comme si, dans un réflexe d’une totale absurdité, les « petits blancs » hongrois, slovaques mais dans une certaine mesure allemands voire français quand ils votent FN ou qu’ils écoutent Laurent Wauquiez brandir la menace migratoire, considéraient, chacun dans leurs Etats, que l’arrivée de migrants d’Erythrée ou de Syrie allait participer de leur appauvrissement et accroître les différences économiques, sociales, financières au sein d’une même société. Comme si le 1% d’Européens captant 51% des richesses de la population allait être encore plus riche du fait de l’arrivée sur tel ou tel sol national de tels ou tels migrants. On est en droit ici de se poser une question simplissime : « Quel rapport entre inégalités croissantes critiquées et immigration refusée ? ». Pourquoi trouver dans les migrants les responsables d’une hiérarchisation sociale de plus en plus inégalitaire ? Il n’y aucune explication rationnelle à cela et c’est bien la raison pour laquelle la théorie du bouc émissaire trouve ici, une fois encore, sa raison d’être tout comme le « Juif » de la fin du XIXè siècle et du début du XXè était identifié comme le responsable des inégalités sociales, salariales, financières de l’époque. C’est ainsi que le populisme connait de belles heures de croissance à venir. Soufflant sur les braises d’un refus de l’autre, d’une autarcie revendiquée, les tenants d’un discours populiste remettent en cause tout ce qui a pu conduire à l’enrichissement accru des plus riches : le néo-libéralisme, la mondialisation des échanges, la libre-circulation des individus, etc. Le cynisme n’est d’ailleurs jamais loin puisque ce sont souvent les plus nantis qui eux-mêmes poussent en avant les plus frustrés de la société pour satisfaire leurs bas instincts politiques. A cet égard le discours d’un Nigel  Farage ou d’un Boris Johnson appelant à voter « Yes » lors du référendum sur le Brexit, est un exemple frappant. Johnson, pur produit de l’establishment anglais, totalement « acteur du système », ancien maire de Londres dont la ville avec la City a été la grande gagnante de la dérégulation financière internationale de ces vingt dernières années, flatte l’électorat britannique le plus sacrifié par le libéralisme thatchérien et tire à boulets rouges sur l’Europe qui devient ainsi l’autre exutoire des catégories sociales les plus pauvres du Royaume-Uni.

En matière de « dérives » potentielles, pour reprendre les termes de votre question, la responsabilité des acteurs politiques en Europe est de plus en plus grande. Soit, pour ceux qui ont déjà entonné le grand air de la xénophobie, ils continuent dans leur répertoire et porteront alors la lourde culpabilité d’avoir ramené la guerre entre les peuples là où régnait, depuis au moins 60 ans la paix et le « doux commerce » pour parler comme Montesquieu. Soit, pour les plus censés d’entre eux, ils remettent en cause le creusement accéléré des inégalités sociales et osent conduire une politique décente à l’égard des nouveaux parias qui arrivent en Europe.

Christophe Bouillaud : La différence avec les Etats-Unis  tient d’abord au poids moindre des très riches dans le financement de la vie politique dans la plupart des pays européens. Il y a souvent des limites à ce que les très riches peuvent apporter à une force politique et à l’utilisation que l’on peut faire de cet argent.  Par ailleurs, sur le Vieux continent, le discours purement libertarien de la droite américaine reste minoritaire dans l’espace public. En effet, dans l’idéal de la droite américaine, il ne devrait y avoir aucune forme de solidarité entre citoyens – « chacun pour soi, et Dieu pour tous » -, d’où leur haine fanatique de l’ « Obamacare », et, idéalement, tous les impôts devraient tendre vers zéro et l’Etat en dehors du régalien « pur » (police, justice, armée) disparaitre. Cette haine tient d’abord au fait qu’il faut tout faire à leurs yeux pour empêcher que la solidarité ne profite aux Noirs. Des chercheurs ont ainsi pu montrer que les Etats américains sont d’autant moins « sociaux » dans leurs politiques publiques qu’il existe en leur sein une minorité noire plus importante. Au contraire, en Europe, personne n’ose tenir ce discours dans toute sa pureté. Ainsi, rappelons qu’au Royaume-Uni – le pays culturellement le plus proche des Etats-Unis -,  l’un des arguments des « Brexiters » pour justifier leur choix était les 350 millions de livres annuel supplémentaire pour le NHS, en cas de sortie de l’Union européenne, donc la promesse  de plus d’Etat social.

De fait, les forces dites populistes en Europe ont d’autant plus de succès électoral qu’elles prennent un positionnement plus social – souvent combiné à une bonne dose de xénophobie. Le cas le plus emblématique de cette réalité n’est autre que le succès du PiS en Pologne, parti national-conservateur et social. Sur le Vieux Continent, la montée des inégalités tend à favoriser des forces de droite conservatrice qui promettent plus ou autant de social pour les « natifs ».

La dérive de ce côté-ci de l’Atlantique tient surtout au fait que l’existence de la libre circulation des capitaux depuis les années 1980 a été instrumentalisé par toute une série d’acteurs qui ont choisi de ne pas payer d’impôts, que ce soit des particuliers ou des entreprises. De ce fait, le débat fiscal dans chaque pays membre est biaisé par cette inégalité entre citoyens et entreprises. Aux Etats-Unis, c’est aussi le cas, mais ce pays a pris pas mal de mesures ces dernières années pour maîtriser son évasion fiscale. En Europe, l’inégalité fiscale créée par la libre circulation des capitaux constitue un thème sur lequel les partis extrémistes peuvent s’appuyer. 

Concernant plus spécifiquement la France, qui a mieux résisté à la tendance inégalitaire au cours de ces dernières décennies, quelles sont les variantes politiques qui pourraient voir le jour en cas d'une tendance inégalitaire qui se renforcerait ? 

Jean Petaux : De fait la France, c’est du moins ce que montre dans son ouvrage Thomas Piketty, est un pays où toute une série d’amortisseurs sociaux ont ralenti l’accroissement des inégalités. Le fait que le système de santé conjugue à la fois la qualité et des coûts tout à fait supportables par les bénéficiaires ; l’existence d’un système indemnitaire du chômage encore favorable (au moins en comparaison avec d’autres Etats) ; la présence de minima sociaux ; tout cela participe à faire en sorte que les plus pauvres ne sont pas littéralement « à la rue » comme ce fut le cas aux USA après la crise des subprimes de 2008 par exemple. Pour autant les inégalités s’accroissent aussi en France. Et en France comme ailleurs le discours populiste critiquant cet état de fait trouve une large audience. Il est d’ailleurs frappant de constater que tant du côté de l’extrême-droite que de la « France Insoumise » les leaders de ces formations politiques connaissent une situation personnelle plus que florissante. Milliardaire parce qu’héritier du cimentier Hubert Lambert, Jean-Marie Le Pen le fut assurément. Habiter avec une partie de son clan familial Saint-Cloud et le parc de Montretout désigne un niveau de vie que confirme les déclarations de patrimoine telles qu’on a pu les connaitre lors des différentes candidatures du père ou de la fille aux élections présidentielles depuis au moins 1988. Ces mêmes déclarations ont permis de constater que Jean-Luc Mélenchon, autre chantre du « populisme à la Française » était, de tous les candidats à l’Elysée en mai 2017, celui qui disposait du patrimoine le plus important. Pas hérité pour ce qui le concerne mais durement gagné à la sueur de son front de sénateur de la République qu’il fut dès  1986 (première élection à 35 ans et 19 ans de mandat sénatorial avant d’être élu parlementaire européen puis député depuis français en juin 2017).  Bénéficiant, pour ses différentes acquisitions immobilières, du complexe système de prêts offert par le non moins complexe et obscure règlement intérieur du Sénat, Jean-Luc Mélenchon s’est constitué une solide petite fortune personnelle que ni ses origines ni son activité professionnelle initiale ne le laissaient espérer. Les plus riches des leaders politiques français sont des adeptes du populisme, en cela ils ne dérogent pas de certains autres responsables politiques en Europe. Mais, encore une fois, cela n’en fait pas pour autant des ploutocrates débridés.

En revanche leur fond de commerce politique et électoral ne peut que trouver matière à croître et embellir dans une exacerbation des inégalités sociales. D’ores et déjà les accusations portées contre Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle (« Banquier chez Rothschild », « candidat financé par des forces occultes et cachées ») fleuraient bon la vulgate antisémite aseptisée pour ne pas tomber sous le coup de la loi. La principale critique formulée après l’élection, « président des riches », souligne bien, à son tour, l’association entre niveau de vie et responsabilité politique. Aux Etats-Unis on dirait : « Riche président ». La différence est encore là. Mais la petite (et stupide) polémique lancée à l’occasion de la soirée anniversaire qu’a organisé Emmanuel Macron pour ses 40 ans à Chambord a bien montré que l’argument de la richesse peut être très vite « libéré » en guise de critique. On raconte qu’apprenant les soucis de Georges Pompidou mêlé à l’affaire Markovic, le général de Gaulle (qui payait lui-même les réparations de sa voiture personnelle) aurait dit : « Quand on veut être président de la République on n’est pas ami et on ne sort pas en ville avec des artistes ». On dit aussi que Pompidou, apprenant que son « fils politique », Jacques Chirac, s’était fait épinglé par « Le Canard » pour l’achat du château de Bity en Corrèze, vite classé monument historique après l’achat, aurait dit à son tour : « Les Français n’apprécient pas les politiques qui vivent dans des châteaux, depuis la Révolution française au moins ». Ajoutez à cela le fameux aphorisme du Général : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille » (comprendre la « Bourse de Paris ») et vous aurez compris que la méfiance à l’égard des possédants (capital financier, capital social) ne date pas d’hier et a été cultivée par certains prédécesseurs d’Emmanuel Macron eux-mêmes. Voilà qui distingue largement la situation française de celle que l’on connait dans le monde anglo-saxon, essentiellement aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, où la réussite sociale et financière est totalement assumée voire revendiquée.

Le « populisme à la française » cultive volontiers le « refus du riche ». Le riche est une catégorie pour le moins imprécise et mal définie dont on découvre, au gré des sondages d’opinion réalisés sur cette notion, qu’est considéré comme riche celui qui gagne plus que celui qui répond à la question « qui est riche ? ». En conséquence de quoi le « peuple » (catégorie tout aussi imprécise que le « riche ») va être mobilisé pour récupérer aux riches ce qui lui manque. Tout cela participe bien évidemment d’une rhétorique politique parfaitement huilée et dûment instrumentalisée par des leaders qui convoquent le peuple en semaine pour leurs discours politiques et tendent à le mettre entre parenthèse le week-end venu, hormis s’ils sont invités sur les plateaux de télévision ou dans les studios de radio. « Ainsi passe la gloire du monde ! » disaient déjà les Romains , qui en matière d’opposition entre « plèbe » et « patriciens » avaient déjà tout vécu… voire tout compris.

Christophe Bouillaud : Il faut tout de même rappeler qu’une population qui s’appauvrit, ou pire qui devient miséreuse, a tendance à moins participer électoralement – et donc, peut être négligée par le pouvoir en place. La hausse des inégalités devrait d’abord avoir cet effet. C’est déjà ce qu’on observe en France : les secteurs de la population les plus désavantagés socialement et économiquement participent moins à la vie politique. De ce fait, les secteurs avantagés, qui sont donc surreprésentés parmi les électeurs, vont demander plus d’avantages pour eux-mêmes, et donc renforcer les inégalités. L’élection d’Emmanuel Macron, la sociologie de son cœur d’électorat (les classes moyennes supérieures), et toutes ses premières décisions en matière fiscale et sociale, vont tout à fait dans le sens de renforcer les inégalités. La suppression de l’ISF sur les seules valeurs mobilières est le symbole de ce possible renforcement des inégalités.

Ensuite, tout dépend de la capacité de concurrents électoraux de mobiliser contre cette montée de l’inégalité.  Pour ce qui est de la France contemporaine, il n’est pas évident de prédire qui réussira à investir ce créneau. Vu les tendances à l’œuvre ailleurs en Europe, le FN serait le mieux placé, mais, actuellement, il parait en grande difficulté. Vu la longue tradition française d’une demande d’égalité, il est probable que la gauche puisse s’emparer du thème. Mais il lui faudra du temps pour se reconstituer en front commun, et surtout pour faire oublier le quinquennat Hollande. 

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