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Gabriel Attal a prononcé ce mardi son discours de politique générale, lors duquel il a dévoilé son cap et ses chantiers prioritaires.
Gabriel Attal a prononcé ce mardi son discours de politique générale, lors duquel il a dévoilé son cap et ses chantiers prioritaires.
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Discours de politique générale

Gabriel Attal a prononcé ce mardi son discours de politique générale, lors duquel il a dévoilé son cap et ses chantiers prioritaires.

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Gabriel Attal a prononcé ce mardi son discours de politique générale, lors duquel il a dévoilé son cap et ses chantiers prioritaires. Avec ses annonces sur les travaux éducatifs pour les délinquants, le SMIC, le RSA, la “fierté française”, les mesures sur le chômage, Gabriel Attal met-il vraiment le cap à droite toute ? Au regard des mesures annoncées et de ce discours, Gabriel Attal est-il vraiment autant de droite que la plupart des commentaires le disent ou est-ce un trompe-l'oeil partiel ?

Maxime Tandonnet : « La droitisation » qui s’exprime dans le discours de politique générale de M. Attal doit s’analyser au regard du contexte politique. Le parti présidentiel est engagé dans une course avec le RN en vue des élections européennes de juin prochain. Pour le Premier ministre, comme pour la macronie en général, l’enjeu essentiel et de coller le plus possible à la « droitisation » de la société française, sa demande d’ordre et de sécurité pour limiter les dégâts face au RN.

Et puis, la macronie caresse l’objectif d’absorber entièrement la droite classique (Les Républicains) dont elle prendrait la place. Le rêve macronien est de recomposer la vie politique française autour d’une force centrale – le macronisme – entouré de deux extrêmes, à droite lepénisée et à gauche mélenchonisée, ce qui lui permettrait de se perpétuer indéfiniment.

Alors oui, les appels du pied à l’électorat de droite jalonnent le discours de politique générale. On n’a jamais autant entendu, de la part d’un Premier ministre venu de la gauche les mots souveraineté nationale, autorité et identité. Cette droitisation n’est même pas une main tendue à la droite libérale mais plutôt sur certains points à une droite autoritaire. Le retour d’une service national universel – ersatz du service national – comme de l’uniforme à l’école, reprennent des éléments du programme de Mme le Pen en 2017 par exemple.

Ce sont des mesures totalement illusoires et horriblement coûteuses si elles étaient mises en œuvre mais peu importe : elles servent de leurre pour faire croire à un retour à l’ordre. D’autres annonces sont aussi des appels du pied à l’électorat de droite. Il en est ainsi pour les travaux d’intérêt éducatifs qui doivent sanctionner la délinquance des mineurs – un projet tout aussi flou et illusoire – ou sur l’affirmation du droit des Etats à maîtriser leur immigration.

En parallèle, M. Attal fidèle au « en même temps » qui est la marque de fabrique du macronisme, donne des gages sérieux à la gauche : la semaine de 4 jours dans la fonction publique est un clin d’œil appuyé à la gauche de la gauche qui en a fait un thème politique fort, comme la confirmation de l’inscription de l’IVG dans la Constitution.

Christophe Bouillaud : Il est difficile de nier que Gabriel Attal reprend toute une série d’idées ou de propositions typiques de la vision la plus libérale du marché du travail. Idéalement, pour certains libéraux, il ne devrait pas y avoir de salaire minimum, et encore moins un salaire minimum indexé sur l’inflation, afin de permettre  à tous les prétendants au salariat de trouver un employeur, y compris au prix le plus bas. Il ne devrait pas y avoir d’indemnisation du chômage, en dehors de quelques mois pour un montant très bas, et un dispositif comme le RSA ne se comprend que comme devant être extrêmement punitif pour ceux qui y sont soumis. En bonne logique de pur marché, en réalité, sous cette forme d’encadrement obligatoire des allocataires du RSA pendant 15 heures par semaine telle que Gabriel Attal se propose de la mettre en place à compter du 1er janvier 2025, il n’aurait même pas lieu d’être. En effet, si l’on l’envisage à la Milton Friedman, il s’agit juste d’un revenu différentiel permettant aux individus les moins productifs de ne pas mourir de faim, l’Etat ne s’encombrerait pas d’autre chose que d’un service fiscal pour le calculer et le verser.

En fait, sur cet exemple du RSA où l’on ne fait pas vraiment confiance aux forces du marché pour mettre ou non certaines personnes au travail, on voit pointer le côté, si j’ose dire, « populiste » ou « punitif » du virage actuel du macronisme.  Les personnes au RSA et les chômeurs en général sont considérés comme des coupables qu’il faut punir de plus en plus pour leurs défauts (paresse, etc.), en niant totalement que, en réalité, c’est avant tout le contexte économique qui fait le chômeur. De fait, c’est surtout l’idée générale d’encadrement de la population qui me semble ressortir de ce discours. C’est particulièrement net sur la jeunesse, qui se voit gratifier d’une généralisation à terme du SNU et d’une probable imposition de l’uniforme dans le cadre scolaire. Du point de vue de la socialisation de la jeunesse et de la performance scolaire, je ne prends pas grand risque, prenant appui sur le savoir sociologique, à affirmer que ces deux innovations n’auront aucun effet. C’est là, comme on dit, pisser dans un violon. Si l’on admet que la droite libérale connait le souci de ne pas dépenser à tort et à travers l’argent du contribuable, on dispose là de deux magnifiques exemples d’une belle gabegie en cours et à venir. La volonté de séduire un électorat, sans doute âgé et de droite, à travers des mesures tout de même bien couteuses qui symbolisent le retour de l’autorité, mais qui ne s’appliquent pas à lui en plus, est-ce de droite ? En tout cas, ce genre de mesures font partie plutôt de la tradition « légitimiste » de la droite, celle qui considère l’ordre social comme immuable et hiérarchique. Quand on se rappelle que Gabriel Attal a commencé sa carrière de professionnel de la politique dans les eaux socialistes, le voir jouer avec tous les poncifs d’une sorte de « pétainisme » de caricature pour son discours de politique générale, avec tout son passage sur la France qui sera toujours une puissance, il y a de quoi sourire. Croit-il même lui-même à toutes ces billevesées patriotardes qui ne correspondent à aucune stratégie réelle de puissance de la part de la macronie depuis 2017 ?

De nombreuses personnalités à gauche comme Mathilde Panot et Jean-Luc Mélenchon ont estimé que le discours de Gabriel Attal était “le plus réactionnaire depuis un siècle”. Le discours de politique générale du Premier ministre était-il si marqué à droite ? Comment expliquer que l’opposition, à gauche, soit si véhémente ?

Maxime Tandonnet : Plus que jamais, on baigne dans le double langage. Le discours de M. Attal est une sorte d’apothéose macronisme que nous connaissons depuis sept ans. Il martèle « souveraineté nationale » mais « en même temps » fait le panégyrique de l’intégration européenne et en appelle à son renforcement. Il ne semble pas voir qu’en transférant des compétences à Bruxelles, à la Commission, au Parlement européen et à la cour de Justice, dans le cadre de la majorité qualifiée qui prive les Etats du droit de veto, il en dépossède la démocratie nationale – donc affaiblit la souveraineté nationale. Mais cette contradiction, tellement flagrante, est loin de l’arrêter…

De même il est parfaitement contradictoire de fustiger les normes européennes sur l’environnement et l’agricultures, qui sont en cœur de la révolte du monde agricole, et de prôner davantage de « souveraineté européenne ».

Le macronisme se caractérise par la déconnexion entre la sphère du discours, de la communication, de l’apparence, et celle des réalités. Le discours de M. Attal était un formidable numéro d’autosatisfaction sur la politique macroniste depuis sept ans. Mais enfin, le décalage entre la droitisation du discours et la réalité est vertigineux. En matière d’immigration, l’année 2023 fut celle de tous les records d’accueil en France des migrants avec 323 000 premiers titres de séjour accordés et 140 000 demandeurs d’asile. Le déficit public atteint 4,9% du PIB et la dette publique bat tous les records avec 3000 milliards, elle s’est accrue de 800 milliards depuis l’arrivée au pouvoir de M. Macron. En matière de sécurité les chiffres de 2022 sont désastreux :  homicides (+8%) ; coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus (+15%) ; les violences sexuelles (+11%). La politique de nivellement par le bas, incarnée par les réformes Blanquer poursuit ses ravages dans l’Education nationale avec l’effondrement du niveau en mathématique et en orthographe, attestés par les études internationales ou nationales, ou la destruction systématique du peu de crédibilité qui restait au baccalauréat avec le contrôle continu.

Est-ce bien cela, une politique de droite ? Le macronisme, à travers M. Attal, se livre à une course éperdue à la droitisation du discours tandis que dans les faits, il accentue fortement les travers de la politique qui était déjà à l’œuvre sous le quinquennat de François Hollande. Alors en effet, la gauche a beau jeu de dénoncer la droitisation du discours macroniste. Elle prend appui sur ce discours pour tenter de se reprendre des couleurs. Mais ce faisant, elle s’attaque à l’écume des choses. Au fond la mystification est totale : par un tour de baguette magique invraisemblable, l’échec du macronisme, dans la bouche de la gauche, devient un échec d’une politique de droite. En vérité, cet échec est celui d’une très mauvaise politique de gauche déguisée en politique de droite.

Christophe Bouillaud : Un siècle, cela fait beaucoup tout de même. Ces personnes en viennent à oublier le régime du Maréchal Pétain. En tout cas, je comprends que ces personnalités de gauche puissent voir dans ce discours une forte régression des droits sociaux, en particulier sur l’indemnisation du chômage ou sur la remise en cause du SMIC. Le pouvoir macroniste leur semble totalement aveugle aux difficultés actuelles du salariat.

Surtout, sur le fond des équilibres politiques, ce discours de Gabriel Attal marque la volonté de séduire exclusivement ceux qu’Emmanuel Macron pense être l’électorat qu’il doit séduire, les électeurs de la droite républicaine, voire ceux de l’extrême-droite. Or, en 2022, Emmanuel Macron a tout de même été réélu grâce à l’apport de voix venus de la gauche. Si c’est pour en 2023 faire une politique, au moins dans certains domaines, qui ressemble à du sous-Zemmour ou du mauvais-Le Pen de comptoir, il y a de quoi tout de même être quelque peu irrité à gauche, et il y a une logique à le faire savoir le plus fort possible aux électeurs. En effet, en se positionnant aussi à droite, qu’il le fait, ne serait-ce que symboliquement, E. Macron peut certes étouffer la droite LR, mais surtout il ouvre un large front dégarni à sa gauche. Il se pourrait donc que, même si comme il s’en félicite Gabriel Attal est le premier homosexuel assumé Premier ministre, des électeurs venus par la gauche à Emmanuel Macron finissent enfin par revenir au bercail. Il y a un moment où l’électeur de centre-gauche va trouver le « en même temps » bien saumâtre à son goût.

Quid de l’avenir de Gabriel Attal et de sa future politique au regard de son discours de politique générale ? Peut-il capter l’électorat de la droite ? Aura-t-il les moyens d’appliquer les priorités, le cap fixé et les mesures énoncées ? Cela laisse-t-il planer aussi un espoir pour la candidature de Gabriel Attal à l’Elysée en 2027 ?

Christophe Bouillaud : Il faudrait regarder mesure par mesure ce qui a été annoncé. Quand j’ai vu que Gabriel Attal se propose de réviser une nouvelle fois le DPE (Diagnostic de performance énergétique) et Ma Prim’Renov, je me suis demandé s’il s’agissait juste d’annoncer que l’on allait mettre en œuvre la dernière révision en date, qui date de 2023, ou qu’on en ferait encore une autre, juste pour compliquer encore la vie des acteurs de terrain. De même, quand j’ai entendu l’annonce d’une nouvelle réforme de la formation des enseignants, j’ai compris que l’incapacité à prendre le temps de la réflexion et de consulter les personnes concernées allait continuer. De fait, on peut se demander comment un pouvoir aux affaires depuis 2017 pourrait changer sa façon de procéder en 2023. Il ne faut pas se bercer d’illusion, rien ne changera.

De même, j’ai l’impression que Gabriel Attal et son mentor élyséen sont partis du principe que l’économie française va continuer à aller relativement bien en 2024 et au-delà, d’où le discours très punitif à l’encontre des chômeurs. Si la situation économique se renverse vraiment et que le chômage augmente, voire explose, G. Attal se verra facilement reprocher de n’avoir rien vu venir. Plus généralement, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire selon lequel tout va toujours très bien depuis 2017 peut finir par se heurter au mur de la réalité économique du pays. On dispose quand même de quelques signaux alarmants. Dans cette hypothèse, Gabriel Attal sera bien grillé d’ici 2027, auprès de tous les électorats, de droite, de centre et de gauche.

Plus généralement, je vois très difficilement comme n’importe quel candidat sortant, qui ne se différentie pas fortement de la vie et de l’œuvre d’Emmanuel Macron, pourra avoir une chance de l’emporter en 2027. Vu l’état du pays en 2023, sauf miracle lié à une révolution dans la révolution macroniste, je doute qu’Attal puisse prétendre à quoi que ce soit. Il y a tout de même un moment où les conséquences de toutes les erreurs du macronisme vont finir par être trop évidentes pour être occultées par l’activisme d’Emmanuel Macron. On devrait déjà voir le résultat des prochaines européennes de l’opération Attal.

Maxime Tandonnet : La vraie question est de savoir si cette mystification – celle d’une très mauvaise politique de gauche déguisée en politique de droite – réussira ou si elle échouera. Dans quelle mesure l’électorat se laissera-t-il ainsi duper ? La politique devient de plus en plus une affaire d’émotion, de sensation, et d’influences. M. Attal bénéficie d’une relative popularité. Il se présente sur bien des points comme un clone du président Macron mais jusqu’à présent sans le jupitérisme ou l’image d’arrogance qui dessert ce dernier. Les sondages le trouvent « sympathique ». Mais cela suffira-t-il ? Existe-t-il, dans ce pays, des ressources d’esprit critique ou d’intelligence politique pour opérer une distinction entre l’affectif, l’émotionnel, la manipulation médiatique et la réalité d’une politique et ses résultats ? A voir…

La stratégie qui consiste à asphyxier la droite classique pour prendre sa place, au moyen d’une pseudo droitisation et du débauchage de personnalités emblématiques fonctionne plutôt bien en définitive. Dès lors, l’objectif macroniste d’incarner seul le camp du bien ou de la raison contre une gauche radicalisée ou mélenchonisée et la droite lepéniste, pourrait bien réussir. Alors, il pourrait s’incarner dans une candidature à la présidentielle de M. Attal à travers lequel se prolongerait le macronisme.

Tout cela est possible évidemment, mais pas du tout certain. En trois ans, beaucoup de choses peuvent se passer. Le pays peut se réveiller. L’exaspération envers le macronisme, déjà considérable peut prendre encore plus d’ampleur dans les années qui viennent et forcément entraîner comme un boulet l’image encore plutôt favorable de M. Attal aujourd’hui (jusqu’à quand ?). 2027 pourrait bien être un gigantesque défouloir contre le souvenir de 10 ou 15 années maudites. Dès lors selon ce scénario toutes les possibilités sont à envisager. L’émergence d’une candidature crédible de gauche n’est pas à exclure. Mais la clé de l’avenir tient surtout dans la survie et le retour au-devant de la scène de la droite classique. Si elle parvient à rompre avec la fatalité de son absorption par la macronie, si elle parvient à déjouer cette mystification, à faire émerger un projet cohérent, de nouvelles équipes et un leader charismatique, à retrouver la confiance de l’opinion en s’adressant à une immense majorité de Français rongée par l’écœurement, elle peut aussi avoir son mot à dire.  

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