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Dis moi ton âge et je te dirai pour qui tu votes : la fracture générationnelle a rarement été aussi profonde dans le pays
©Reuters

Les clés de 2017

Alors que les inégalités générationnelles ont commencé à se creuser entre les jeunes et les personnes âgées en France à partir de la fin des années 1990, celles-ci ont largement explosé depuis la crise de 2008. Un phénomène qui a des conséquences politiques et économiques préoccupantes.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
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Atlantico : Ces dernières semaines, plusieurs sondages ont révélé un clivage générationnel important, notamment au sujet de la loi El Khomri ou du soutien à la CGT. ​Ainsi, la question du recours au droit de grève par la CGT ​a pu ​divise​r​ la France en deux camps très distincts : d'un côté, les moins de 25 ans sont à 60 % favorables au syndicat, tandis que de l'autre, les plus de 65 ans y sont à 88% défavorables​. En quoi cette fracture est-elle signifiante politiquement ? ​Quelle a été l'évolution de ce phénomène au cours des dernières années ?

Yves-Marie CannCes résultats illustrent l'existence d'une fracture générationnelle, largement sous-estimée par nos responsables politiques ; elle porte en particulier sur les thématiques économiques et sociales. Si la jeunesse est par définition un état transitoire, les jeunes générations ne s'en trouvent pas moins au point de rencontre d'un grand nombre d'enjeux qui structurent aujourd'hui le rapport au monde de la société française : chômage élevé et précarisation des contrats rendent particulièrement difficile l’accès au marché du travail pour les plus jeunes, avec toutes les difficultés que cela induit dans leur vie quotidienne.

Il serait toutefois simpliste de réduire cette fracture générationnelle à une opposition entre les plus jeunes et les plus âgés. Celle-ci s'avère en pratique nettement plus diffuse et tend plus globalement à opposer les actifs, ou du moins ceux en âge de travailler, aux retraités parmi lesquels nous retrouvons aujourd'hui la plupart des individus appartenant à la génération dite du "baby-boom". Alors que ces derniers ont connu les Trente Glorieuses, le plein emploi et l'accès au CDI dès le premier emploi, un accès d'autant plus facile à la propriété que l'inflation atténuait rapidement le poids des emprunts immobiliers dans le budget des ménages, la situation des générations qui les ont suivies s'avère autrement plus difficile, en particulier pour les plus jeunes.
Evidemment, de telles fractures ne sont pas sans incidences d’un point de vue politique. Ainsi, c’est parmi les actifs que le Front national a le plus progressé ces dernières années, tandis que les retraités votent davantage pour les partis traditionnels de gouvernement comme le PS ou LR. Ces derniers le leur rendent d’ailleurs plutôt bien en les épargnant d’une grande partie des efforts demandés aux Français pour contribuer à la réduction des déficits publics. Reste que la défiance à l’égard des grands partis de gouvernement et de leurs représentants atteint désormais des niveaux très élevés chez les personnes âgées de moins de 50 ans. Il y a bien entendu les difficultés sociales, les incertitudes pour l’avenir dans un contexte économique incertain, mais aussi le sentiment dominant d’une classe politique peu à l’écoute des jeunes générations, pourtant fortement mises à contribution pour financer notre modèle social au nom du principe de solidarité entre générations.

Au regard de ce clivage, comment expliquer que le taux d'abstention soit si élevé au sein de la jeunesse ? S'agit-il avant tout d'un désintérêt général envers la politique, ou d'une inadéquation entre une demande exprimée par la jeunesse et l'offre politique actuelle ?

Yves-Marie CannEn matière d’abstention, il est important de distinguer l’élection présidentielle des autres scrutins. L’élection phare de la Vème République mobilise fortement les Français, y compris les jeunes, surtout lorsqu’il s’agit du premier scrutin auquel ils sont appelés à participer. L’abstention des jeunes atteint en revanche des niveaux records aux autres élections, comme nous avons encore pu le vérifier lors des élections régionales de décembre 2015.

Les jeunes se mobilisant tout aussi massivement que les autres catégories de population lors de l’élection présidentielle, les forts taux d’abstention observés lors des autres scrutins ne peuvent s’expliquer par un désintérêt général envers la politique mais plutôt par les difficultés à identifier les enjeux des propres à certains scrutins. Le mille-feuille administratif s’avère de ce point de vue très contreproductif et peu incitatif à la participation des jeunes et plus globalement des Français aux élections locales. S’ajoute à cela une offre politique souvent vieillissante et en mal de renouvellement… Difficile dans ces conditions de mobiliser et d’attirer dans ses filets une jeunesse qui a bien souvent d’autres priorités, notamment accéder à un emploi stable et se faire une place dans la société.

En quoi cette fracture générationnelle est-elle corrélée à la question des inégalités de revenus ?​ La fracture générationnelle repose-t-elle "simplement" sur une fracture sociale ? 

Nicolas Goetzmann La notion de fracture générationnelle ne peut plus être niée. Selon les données fournies par l'INSEE, l'écart de revenus entre les 18-24 ans et les 65-74 ans était de 19,5% en 1996. Une telle différence peut parfaitement s'expliquer au regard des évolutions logiques de carrière, mais le fait est que l'écart s'est fortement élargi pour en arriver à 33,3% en 2013, et ce, sans logique apparente. De plus, cette progression ne s'est pas réalisée progressivement entre les deux périodes, car l'écart était encore de 19,8% en 2008, ce qui qui signifie que les inégalités intergénérationnelles ont explosé depuis la survenance de la crise de 2008. Pendant que le niveau de vie moyen des 65-74 ans progressait de 7,22% (2008-2013), celui des 18-24 ans baissait de 3,9%. La situation du chômage des jeunes ne s'est pas non plus améliorée au cours des dernières années, pas plus que celle des NEET (qui sont les jeunes non étudiants, sans emploi, et sans aucune activité), qui représentent plus de 18% de la jeunesse actuelle, soit un point de plus qu'en 2005. Toujours dans le même registre, le nombre de stagiaires est passé de 600 000 à 1 500 000 entre 2006 et 2012, ce qui a conduit le législateur à mettre une limite au nombre de stagiaires, à 15% des effectifs des entreprises. Pourtant, la jeunesse actuelle a atteint, dans son ensemble, un niveau de formation bien plus élevé que les générations précédentes. Seuls 6,3% des 18-24 ans n'ont aucun diplôme contre 20% de la population totale ou 50% des plus de 65 ans. Et que dire du logement ? Le simple fait d'imaginer acquérir un logement un jour est devenu hors de propos pour toute personne se présentant actuellement sur le marché de l'emploi. La société semble totalement verrouillée et sans avenir possible. 

Mais du point de vue des seniors, les jeunes d'aujourd'hui ne sont pas des victimes puisque leurs conditions de vie semblent supérieures à celles auxquelles ils ont eux-mêmes été confrontés au cours de leur jeunesse. Ce qui produit une incompréhension entre les générations, parce que, comme l'indiquait déjà Tocqueville, c'est la notion de frustration relative qui guette la jeunesse actuelle. Il ne s'agit pas de se comparer aux générations antérieures pour se satisfaire des conditions actuelles, mais de constater simplement une absence de perspectives, d'horizon. Le sociologue britannique WG Runciman affirmait en 1966 : "les attitudes, aspirations et frustrations, dépendent largement du cadre de référence dans lequel elles sont conçues", c’est-à-dire que la frustration se mesure à l'aune de ce que l'on pense pouvoir espérer, et non pas en se comparant au passé. La crise a engendré un coup d'arrêt de la réalité, alors que les aspirations ont continué de grandir. Ici, il ne s'agit pas de savoir qui a raison, mais de prendre en compte la nature humaine. 

Quels ont été les effets de la situation économique actuelle sur la jeunesse ? Dans quelle mesure cette dernière en est-elle la première victime ? 

Nicolas Goetzmann : Plus cyniquement, ce n'est pas la crise en elle-même qui est la source de cette fracture, mais la réponse politique qui a été apportée à celle-ci. D'un point de vue économique, cette crise était absorbable par une large action de relance monétaire, mais une telle action supposait une prise de risque du côté de l'inflation. Or,un tel risque, aussi minime soit-il, n'est pas considéré comme étant "acceptable" dans une démocratie où le poids des retraités est disproportionné, électoralement parlant. Il suffit de rappeler qu'aux dernières élections régionales, 67% des plus de 60 ans ont voté, alors que 65% des 18-24 ans se sont abstenus. En se basant sur un tel constat, du point de vue des dirigeants, il est préférable de suivre une politique en accord avec son corps électoral, c’est-à-dire une politique préservant à tout prix le pouvoir d'achat des plus âgés, plutôt que de soutenir une véritable politique de l'emploi par une grande action macroéconomique. De plus, le cadre européen renforce ce prisme, car le pays qui dispose du poids politique le plus important de l'Union, c’est-à-dire l'Allemagne, est également le plus vieux du continent. L’aspect le plus malheureux dans cette question est qu'il n'est évidemment pas question d'aller faire les poches des retraités pour donner aux jeunes, mais de produire un contexte économique de plein emploi, qui doit profiter à tous, et notamment permettre de sécuriser les retraites sur le long terme. Ce qui signifie qu'il s'agit d'une vision politique à courte vue qui produit un tel résultat. Une autre politique est donc possible, en intégrant la jeunesse au projet de la France de demain.

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