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Dîner informel du Conseil européen : ce qui se trame en coulisses sur le choix du président de la Commission
©REUTERS/Charles Caratini

Jeu de go

Le choix du futur président de la Commission européenne a été au centre des discussions qui ont animé le dîner informel de mardi soir entre les dirigeants européens. Herman Van Rompuy a reçu mandat pour tester la candidature de Jean-Claude Juncker. Mais un favori peut en cacher un autre.

Olivier Costa

Olivier Costa

Olivier Costa est directeur de recherche au CNRS au Centre Emile Durkheim de Bordeaux et directeur d’études au Collège d’Europe. Il a publié avec Nathalie Brack Le fonctionnement de l’Union européenne aux Editions de l’Université de Bruxelles, 2° édition, 2013

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Atlantico : Que sait-on sur les intentions des chefs d'Etat après ce dîner ?

Olivier Costa : Peu de choses ont filtré. Ce que l'on peut dire, c'est que nous sommes dans une configuration complexe. Il y a quatre paramètres qui jouent : les résultats des élections européennes, les positions politiques de chacun y compris des responsables des groupes politiques au Parlement européen, les positions des différents Etats membres qui renvoient à la fois à des questions de personnes et d'orientations de l'Europe, et en dernier lieu des équilibres plus généraux notamment la nomination du Haut représentant de l'Union Européenne pour les Affaires étrangères et du président du Parlement européen.

C'est une équation où l'on cherche un équilibre politique et géographique. Autre facteur, les ambitions personnelles des uns et des autres comme la Première ministre danoise qui est opposée à la candidature de Jean-Claude Juncker car elle se verrait bien à sa place. David Cameron s'est lui aussi opposé fortement à la candidature de Jean-Claude Juncker car il le considère comme trop pro-européen et trop fédéraliste. Il a rallié à sa position les Premiers ministres néerlandais, finlandais, suédois, danois et hongrois. Il n'y a pas encore toutefois de minorité de blocage.

Qu'en pense Angela Merkel ?

Cela fait plusieurs mois que Bruxelles bruisse de rumeurs. Un coup on l'a décrit comme très hostile à Martin Schulz mais en fait elle est capable de s'accommoder de sa candidature car il est Allemand. Angela Merkel est moins hostile à Jean-Claude Juncker qu'au début et elle a dit qu'elle le soutenait. Elle a une voix prépondérante car l'Allemagne est le pays le plus peuplé en Europe, on vote à la majorité qualifiée et ce pays est bien pourvu en voix. Elle sort très renforcée de cette élection avec son très beau score et elle a plus la voix au chapitre que François Hollande ou David Cameron. Angela Merkel a une conception de plus en plus intergouvernementale du fonctionnement de l'Union européenne et elle n'est pas contente à l'idée de se contenter d'évoquer uniquement la question du nom du futur président de la Commission. C'est une logique qui convient à peu de gens au Conseil européen.

Les chefs d'État et de gouvernement des 28 États membres de l'Union européenne ont donné à Herman Van Rompuy un mandat pour effectuer une série de consultations avec les dirigeants européens et les groupes politiques. Le but est de tester la candidature de l'actuel favori, Jean-Claude Junker. Mais a-t-il autant d'appuis qu'il n'y paraît ? Faire le choix d'une consultation pourrait-il finir par le mettre hors jeu ?

Ce mandat confié à Herman Van Rompuy est un peu curieux... On devrait être dans une configuration à la Belge avec le roi qui donne au vainqueur des élections le rôle d'essayer de trouver une majorité au Parlement et s'il y arrive cette personne devient le Premier ministre. Au Parlement européen Jean-Claude Juncker aurait dû être chargé de ce rôle mais le Conseil européen a refusé ce type de fonctionnement. On a donné à Herman Van Rompuy le mandat de prendre des contacts avec Jean-Claude Juncker et avec les autres responsables politiques mais aussi de garder le lien avec les autres membres du Conseil européen pour voir s'il y a un consensus. C'est une façon de renvoyer la décision à plus tard et de refuser la logique institutionnelle que le Parlement européen essaye d'imposer. Il y a derrière l'idée de se débarasser de Jean-Claude Juncker.

Plusieurs conclusions sont possibles après les consultations d'Herman Van Rompuy : soit il n'y a pas de majorité au Parlement européen mais ça ne devrait pas être le cas car les groupes vont accepter de jouer le jeu et a priori Jean-Claude Juncker ne devrait pas avoir de mal à trouver une majorité au sein du Parlement européen. Herman Van Rompuy peut aussi constater qu'il n y aura pas de majorité qualifiée et donc revenir au Conseil européen avec ce constat d' échec de la candidature de Jean-Claude Juncker. Il faudra alors envisager une autre candidature. Certains sont dans une démarche symbolique très parlementariste mais d'autres espèrent que la candidature de Jean-Claude Juncker sera disqualifiée, notamment les eurosceptiques car Jean-Claude Juncker n'a jamais caché sa volonté d'intégration européenne.

Le prochain président de la Commission européenne peut-il ne pas faire partie du groupe majoritaire issu des élections au risque de ne pas tenir compte du résultat des électeurs et d'aggraver la défiance envers l'Europe ?

Lors des dernières élections législatives au Luxembourg Jean-Claude Juncker était le leader du parti qui a eu le plus de voix mais il n'est pas redevenu Premier ministre car il n'a pas réussi à trouver une majorité qualifiée et une coalition gagnante. On peut aussi imaginer que Martin Schulz ou Guy Verhofstadt peuvent devenir président de la Commission si les socialistes et les libéraux trouvent un terrain d'entente. Cela n'aurait rien de choquant dans une logique européenne que ce soit un libéral ou un socialiste. Il y a une volonté de trouver un président qui fasse relativement consensus même si on peut se contenter d'une majorité qualifiée. Quel que soit le candidat investi par le Parlement européen ce sera un candidat qui donnera satisfaction aux différents groupes.
Angela Merkel a fait allusion à l'importance de nommer une femme pour la présidence de la Commission. Christine Lagarde a souvent été citée. Qui a intérêt à ce qu'elle soit candidate et qui ne le veut pas ?

On sait que Christine Lagarde serait une candidate de consensus pour un certain nombre de personnes. Elle a une image de femme politique modérée. Mais s'il s'agit de montrer le changement et la rupture prendre la patronne du FMI serait maladroit. Christine Lagarde a par ailleurs encore potentiellement quelques ennuis avec la Justice en France.

Angela Merkel aime bien Christine Lagarde. Peut être que ça serait une candidate plus acceptable pour David Cameron qui a dit qu'il ne voulait pas ni de Martin Schulz, ni de Jean-Claude Juncker ni de Guy Verhofstadt. Christine Lagarde est une candidate plus acceptable pour les leaders les plus eurosceptiques. Elle a plutôt l'image d'une technocrate. En fait, les uns voient la Commission comme une sorte de gouvernement avec une position politique, les autres voient ça comme une agence donc dans ce cas on préférerait un profil plus technocrate comme Christine Lagarde ou Pascal Lamy.

Peut-être aussi qu'on considère que c'est quelqu'un qui ne bousculera pas forcément les choses, elle n'est pas dans le conflit alors que Jean-Claude Juncker sous ses airs d'homme de consensus a un certain tempérament et beaucoup d expériences. Il ne se laisserait pas compter par les leaders des grands Etats tout comme Martin Schulz et Guy Verhofstadt qui sont aussi des personnalités au caractère bien trempé.

François Hollande semble plutôt discret. Comment analyser l'attitude du président français ? Est-il affaibli par les résultats des élections en France au point de ne plus avoir son mot à dire ?

François Hollande est le seul à avoir dit avant l'élection que par principe il soutiendrait le candidat proposé par le Parlement. Il a appelé à une réorientation de l'Union européenne et Jean-Claude Juncker n'est pas forcément le plus qualifié pour faire cette réorientation. Il y a dès le départ un manque de lisibilité politique sur sa ligne européenne. L'une de ses promesses de campagne était de renégocier le Traité de Lisbonne qui est devenu une promesse en l'air. Il n'est pas arrivé en position de force à Bruxelles. Il est par ailleurs affaibli car son parti a fait un mauvais score aux européennes. François Hollande a une stratégie à double tranchant qui est nationale. Il fait porter la réalité du score du FN sur l'Union européenne en demandant sa réorientation alors que pour moi, il faut plutôt analyser ce score sur des considérations nationales. Le FN a surtout fait campagne sur des thèmes français comme le rejet des élites, de l'immigration et du gouvernement socialiste en place, pas beaucoup sur des thématiques européennes. Il y a un peu d'enfumage de la part du président français suivi par David Cameron mais je ne suis pas certain que les autres dirigeants européens ont apprécié cette façon de se défausser.

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