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Diesel, fioul, panneaux solaires et compagnie :  petit historique des (nombreux) échecs de l’Etat stratège
©DAMIEN MEYER / AFP

Volte-faces en série

Plusieurs choix politiques des dernières décennies se sont révélées être des catastrophes, dont la promotion effrénée du diesel et du chauffage au fioul, jusqu'à leur condamnation récente. Ces échec peuvent expliquer le manque de confiance de la population envers l'Etat stratège, vu comme une machine à promouvoir les lubies du moment, sans réflexion à long terme.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : De la promotion gouvernementale du diesel à sa condamnation, la séquence de ces dernières années semble parfaitement paradoxale. Quels seraient les autres exemples à donner de ces revirements sur des choix techniques, objectifs et rationnels, qui sont aujourd'hui moqués par les réseaux sociaux sous l’intitulé "État Stratège" ? 

Alexandre Delaigue : Concernant les politiques d'incitation, il est possible de citer le cas des chaudières à fioul, qui sont passées du statut d'instrument moderne permettant de lutter contre le réchauffement climatique à un statut de pollueur. De façon générale, l'utilisation du diesel et du mazout était, jusqu'il y a très peu de temps, la piste principale pour réduire nos émissions de CO2 dans les transports et dans le chauffage, tout simplement parce que le diesel consomme moins d'énergie que l'essence. On voit comment cet argumentaire a évolué au cours de ces derniers mois. 

On pourrait également ajouter, dans une période un peu plus ancienne, le moment ou nous avons subventionné de façon très importante les panneaux solaires. Nous l'avons fait avec des aides fiscales considérables qui ont été données aux ménages pour qu'ils puissent s'équiper, avant de revenir en arrière d'un seul coup lorsque nous nous sommes rendus compte que cela risquait de coûter très cher à EDF, et que l'essentiel des panneaux solaires que les ménages achetaient étaient ceux qui étaient les moins chers, c'est à dire fabriqués en Chine.

Mais il y a surtout, et bien sur, la question du nucléaire qui est passée du statut de la technologie française d'avenir à un statut de technologie qui doit absolument disparaître. Mais dans ce domaine, nous n'en sommes pas à un seul revirement, parce que l'on peut considérer qu'il y a un revirement en la matière à chaque nouveau ministre. En définitive, il est bien difficile de savoir ce qu'est la politique française vis-à-vis de ces filières. On a l'impression que l'on voudrait avoir le nucléaire tout en ne l'ayant pas.

Quelles sont les recettes habituelles de ce type de revirements ? Quelles sont les sources d'erreur habituelle ? 

En réalité, nous sommes dans une situation ou nous refusons de faire des choix. Le premier problème est celui d'une contrainte budgétaire qui est extrêmement importante, le résultat étant que nous faisons des choix industriels avec des bouts de ficelles. Nous ne nous donnons pas les moyens de faire ces choix, ce qui, forcément, nous oblige à insister sur l'aspect "affichage" mais sans se donner les capacités financières - parce que les finances publiques sont ce qu'elles sont – de pouvoir investir dans une direction claire qui aurait été décidée. 

L'autre problème est celui qui est bien connu en matière managériale, qui est le problème de l'innovation de rupture. Nous savons très bien que les innovations de rupture ne sont pas inventées par les entreprises qui sont leaders dans leurs secteurs. Kodak avait inventé la photo numérique, mais ce n'est pas cette entreprise qui a développé ce marché. Ce problème est assez fréquent; lorsqu'une nouvelle technique apparaît, les entreprises en place voient d'abord comment ces techniques vont nuire à leur business habituel avant de voir que celles-ci pourraient leur bénéficier. Par conséquent, elles ne vont pas développer ces marchés et ce sont des nouvelles firmes, qui elles n'ont rien à perdre, qui vont développer ces nouvelles technologies L'exemple classique étant IBM avec l'ordinateur personnel. Et dans ce cadre-là, la politique industrielle rencontre exactement les mêmes problèmes parce que si de nouvelles techniques apparaissent, elles risquent de nuire aux choix qui ont été faits antérieurement. Et de ce point de vue-là, et quelle que soit la direction prise, il y aura des perdants. On le voit par exemple pour la politique énergétique. D'un côté, nous avons un objectif qui est l'environnement et la transition énergétique, mais de l'autre côté, et par définition, la transition énergétique va nuire à certaines techniques existantes. Et en particulier, cela posera un problème pour les business models d'Orano (Areva) ou d'EDF. 

pourtant, il n'y a même pas de bon ou de mauvais choix dans cette direction, il y a simplement l'idée qu'à partir du moment ou vous avez les deux, si vous en privilégiez un, vous allez nuire à l'autre. Mais on ne veut pas choisir. La politique consiste à ne pas choisir parce que cela implique de faire en sorte qu'il y aura des perdants et des gagnants. Dans un marché compétitif, on accepte qu'il y ait des perdants et des gagnants à l'innovation, que celle-ci cause la disparition de certaines entreprises et pas d'autres. Mais lorsque l'on est dans le domaine des politiques publiques, personne n'a envie d'être le ministre dont les décisions ont causé la ruine de toute une série d'entreprises. Donc, d'un côté, nous faisons des choix limités et ensuite nous faisons des choix visant à ne surtout rien perdre. Logiquement, nous ne prenons, en définitive, aucune véritable décision et nous sommes toujours dans la valse-hésitation ; on fait un choix sans le faire de manière franche. Le résultat est cette apparence d'indécision d'une politique du chat crevé au fil de l'eau.

Existe-t-il des politiques en cours qui pourraient être abandonnées dans les années à venir ? 

En ce moment il y a un choix dont on parle très peu, sauf de manière très positive, qui est le choix fait par Bercy de faire en sorte que Paris devienne la nouvelle Londres concernant le secteur financier. Avec le Brexit, la place de Londres va perdre toute une série des activités qui faisaient -bien que le Royaume-Uni n'était pas dans la zone euro- de Londres la principale place financière européenne. Et aujourd'hui, on observe une politique extrêmement active, avec un ancien président de la Banque de France pour la piloter, qui consiste à espérer attirer à Paris le plus possible de sièges sociaux de l'industrie financière. En réalité, cela n'est pas tout, d'autres secteurs sont également concernés, certains rêvent que la France puisse faire venir la construction automobile dans le pays, les usines Nissan et Toyota par exemple qui se trouvent en Grande Bretagne. Parce que l'on se dit que si le Brexit était vraiment dur, on pourrait obtenir le rapatriement de ce type d'industries.

Mais, premièrement, avoir beaucoup d'industries financières, quand on en voit les effets sur Londres, on peut avoir quelques raisons de s'inquiéter sur l'avenir. Certes, cela attire des gens qui gagnent beaucoup d'argent, mais d'un autre côté, cela attire aussi un secteur d'activité qui a été à l'origine de crises et sur lequel on pourrait tout à fait avoir des revirements très importants. De la même manière, dans le domaine automobile, on constate que ce secteur est sur le point de connaître des ruptures technologiques et des changements majeurs, et chercher maintenant à attirer ce type de secteur manufacturier se fait avec d'énormes points d'interrogation. Tout cette politique visant à faire de la France la future Grande Bretagne juste au moment ou celle-ci revient sur ses décisions est l'exemple typique de ce genre de choix que l'on pourrait bien être à même de regretter plus tard. 

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