Dictionnaire renseigné de l'espionnage : Barbouze, cabinet noir, Matra Hari, taupe, transfuge<!-- --> | Atlantico.fr
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Photo non datée de la danseuse et espionne néerlandaise Margaretha Geertruida Zelle, mieux connue sous le nom de Mata Hari. Danseuse et courtisane exotique à Paris, elle devient espionne pendant la Première Guerre mondiale.
Photo non datée de la danseuse et espionne néerlandaise Margaretha Geertruida Zelle, mieux connue sous le nom de Mata Hari. Danseuse et courtisane exotique à Paris, elle devient espionne pendant la Première Guerre mondiale.
©STR / AFP

Bonnes feuilles

Michel Guérin a publié le « Dictionnaire renseigné de l’espionnage, De Sun Tzu à James Bond » chez Mareuil éditions. Cet ouvrage explore le monde du renseignement et celui de l'espionnage, grâce à l'évocation d'affaires célèbres et historiques. Extrait 2/2.

Michel Guérin

Michel Guérin

Michel Guérin est l'auteur de nombreux ouvrages sur le cyclisme.

Il a publié récemment, Les grands mots de la Petite Reine (Mareuil Éditions), dans lequel il raconte à partir de citations célèbres de coureurs ou de journalistes sportifs, la grande histoire du vélo.

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Barbouze

Ah ! Le terme magique et si typiquement français ! Emblématique de l’image qu’ont les Français de l’espionnage en général, et des officiers de renseignement qui sont censés le pratiquer en particulier…

Ce mot de barbouze doit sa notoriété à un groupe qui avait été monté durant la guerre d’Algérie pour lutter contre l’OAS (Organisation armée secrète) en utilisant ses méthodes, c’està-dire celles que ni l’armée ni la police ne pouvaient employer. Ce groupe composé de 300 personnes environ avait reçu le nom très officiel de «  Mouvement pour la coopération  ». En raison de ses méthodes si peu académiques, ses adversaires exhumèrent rapidement un mot argotique, apparu dans la première moitié du XXe siècle, pour désigner ses membres. Barbouze ? Un vocable dépréciatif dérivé de « barbe », utilisé sans doute parce que ces gens-là agissaient dans une semi-clandestinité avec de fausses barbes. 

Toujours est-il que le terme passa dans le langage courant avec son corollaire : les « barbouzeries », des actions très limites, louches, voire carrément illégales. Si les « barbouzes » amenèrent le concept et consacrèrent le mot, celui-ci fut définitivement popularisé quelques années plus tard par le film éponyme de Georges Lautner, avec des dialogues de Michel Audiard. Avec Lino Ventura, Bernard Blier et autre Francis Blanche comme parrains, une telle appellation était condamnée à la postérité.

Devenu synonyme d’espion, et abondamment employé par les médias dans un sens péjoratif, ce mot de «  barbouze  » est une bonne indication de l’estime portée en France à ceux qui sont censés protéger le pays. À l’opposé de la mentalité d’outre-Manche, où le renseignement est considéré comme une tâche noble.

Après tout, ce mot correspond bien au marigot de l’espionnage. Il comporte lui aussi son lot de secrets et d’interrogations : on ne connaît pas ses origines, on ignore la raison de son emploi et il est si iconoclaste que l’on est incapable de déterminer s’il appartient au genre masculin ou féminin… La pratique hésite, nous dit le dictionnaire ! Vu son utilisation, assurément un genre louche !

Cabinet noir

Voilà un terme qui a fait fantasmer et provoque encore des hoquets de rejet chez tous ceux qui considèrent que, décidément, l’espionnage a une face bien noire…

À l’origine, ce mot désignait les officines chargées d’ouvrir le courrier. Une pratique presque aussi vieille que le monde, ou à tout le moins depuis que la correspondance écrite existe. Toujours dénoncés, parfois supprimés, jamais disparus, renaissant sans cesse de leurs cendres tel le phénix, de Louis XI à Napoléon III, en passant par Louis  XV, Bonaparte et beaucoup d’autres, les cabinets noirs n’ont jamais cessé d’œuvrer. Il faut dire que l’on apprend tellement de choses en lisant le courrier d’autrui…

Bien entendu, les cabinets noirs firent des émules à l’étranger. Certains laissèrent même une trace dans l’Histoire, comme la Chancellerie secrète de Pierre le Grand (v), dirigée par le comte Piotr Tolstoï, ou la Geheime Kabinettskanzlei (Chancellerie secrète du Cabinet impérial) autrichienne au XVIIIe siècle, sans parler des officines qui existaient à l’époque chez l’électeur de Saxe ou la tsarine Catherine  II. Les techniques d’alors étaient très au point, puisqu’elles permettaient d’enlever sans le casser le sceau fermant la lettre et de le remettre après la lecture faite, comme si de rien n’était. Aux États-Unis, au début du XXe siècle, le cabinet prit le nom de chambre, avec la Black Chamber.

De nos jours, plus grand monde ne lit la correspondance, puisque le courrier est en situation de mort annoncée. Le numérique l’a remplacé et fait maintenant l’objet de toutes les attentions des services… Mais le terme de « cabinet noir » est resté et désigne toute structure supposée secrète qui, par voie de conséquence, est fortement soupçonnée de s’occuper de choses peu recommandables.

Mata Hari

Rarement des actions d’aussi peu d’importance auront offert à leur auteur une telle postérité… Peut-être y était-elle prédisposée ? Elle s’était choisie « Mata Hari » comme nom de scène, ce qui signifie « œil du jour » en malais. L’œil n’est-il pas l’organe essentiel d’un espion ? C’est en tout cas ce que pensaient les Perses en créant l’«  Œil du Roi  » (v) ou les souverains de Bagdad en fondant l’« Œil du calife » (v) !

Celle qui ne s’appelait encore que Margaretha Geertruida Zelle épousa, à 19 ans, un capitaine de l’armée hollandaise du nom de Rudolf MacLeod, avec qui elle partit en garnison à Java. Revenu aux Pays-Bas en 1902, le couple, qui avait perdu un fils, victime d’une intoxication, divorça. La jeune femme rejoignit alors Paris, où elle entama une fructueuse carrière de danseuse «  indienne  » dans la salle des spectacles du musée des études orientales, qui prendra plus tard le nom de son mécène, Émile Guimet. Sous prétexte de danses brahmiques et d’ethnographie, celle qui se faisait désormais appeler Mata Hari, se trémoussait quasiment dans le plus simple appareil. Comme le notait perfidement Colette : « Elle ne dansait guère mais elle savait se dévêtir progressivement… » Superbe femme de 1,75 mètre, taille importante pour l’époque, elle attirait à elle les hommes de la bonne société.

Ce genre d’exercices ne dure qu’un temps. Vieillie et passée de mode, notre danseuse rentra aux Pays-Bas, et se fit recruter par le consul général d’Allemagne, Carl Krämer, également officier de renseignement. Sa mission  : retourner à Paris pour glaner un maximum de renseignements dans les milieux politiques, diplomatiques et militaires de la capitale. Débute alors pour le nouvel agent « H 21 », son nom de code, une noria de brèves rencontres dans les suites du Plazza ou du Grand Hôtel. Ses partenaires étaient avant tout des officiers de toutes nationalités, car, comme elle le déclara lors de ses interrogatoires : « J’aime les officiers. Je les ai aimés toute ma vie… Mon plus grand désir est de pouvoir coucher avec eux, sans penser à l’argent, et puis, j’aime faire entre les diverses nations des comparaisons… » Tout un programme ! La responsable qui l’avait prise en charge lors de la formation qu’elle avait suivie en 1916, à Francfort, dit à son propos qu’« elle n’avait aucune disposition pour les choses de l’espionnage », qu’elle était « superficielle dans ses observations » et qu’elle « se montrait toujours incapable d’assimiler les données essentielles des encres sympathiques et du chiffrage ».

Reste que les Français la surveillaient. À l’occasion d’une demande de laissez-passer pour rejoindre l’un de ses amants en convalescence à Vittel et dont elle était tombée amoureuse, le capitaine russe Vadim Masloff, elle se fit recruter par le capitaine Georges Ladoux de l’État-Major des armées, chef de la section de centralisation du renseignement. Devenue agent double, elle effectua des missions au profit des Français aux Pays-Bas et en Espagne, où elle séduira l’attaché militaire allemand en poste à Madrid, le major von Kalle. C’est lui qui scella sa perte en envoyant en Allemagne des messages qui furent interceptés par les Français. De façon étonnante, il y évoquait l’agent H 21, son rôle d’agent double qu’elle prétendait avoir accepté pour tromper les Français ainsi que les fonds que les Allemands devaient lui verser… Arrêtée le 13 février 1917 par les agents de la Sûreté du commissaire spécial Albert Priolet, elle fut fusillée le 15 octobre 1917 à l’aube, dans les fossés de Vincennes.

L’attitude des services allemands à son égard apparaît étrange. Et pour cause : il semble qu’ils aient tout fait pour qu’elle soit condamnée. Plus tard, en 1936, un ancien du SR allemand déclara que tout ceci était voulu. Alors que les services d’outre-Rhin savaient depuis une quinzaine de jours que les Français avaient cassé leur chiffre, et qu’ils en utilisaient un nouveau, lors du message qui condamna Mata Hari ils s’étaient servis de l’ancien. Ils auraient voulu s’en débarrasser mais auraient préféré que les Français se chargent de son exécution. De leur côté, les Français, après trois années de combats et une vague de mutineries, se devaient de faire un exemple.

Quant à l’agent H 21, habituée à vivre dans le mensonge et en butte à de sérieux problèmes financiers, il semble qu’elle ait saisi l’opportunité de collaborer avec plusieurs services de renseignements pour continuer à vivre comme elle aimait. Pensant qu’en présentant comme des informations importantes quelques ragots saisis sous l’oreiller elle arriverait à berner des spécialistes du renseignement, elle s’était fourvoyée elle-même.

Espionne médiocre (« nulle », affirma l’ancien numéro deux des SR allemand pendant la guerre), mythomane, impulsive, vraie courtisane uniquement motivée par l’argent, Mata Hari n’a pas délivré à ses traitants des « secrets » qui ont eu une quelconque incidence sur le déroulement de la guerre. Pourtant, extraordinaire paradoxe, son nom, devenu mythique, est définitivement ancré dans l’histoire de l’espionnage. Il reste pour longtemps encore le symbole de l’espionne fatale.

Taupe

Bon, d’accord, il s’agit d’un petit animal considéré comme nuisible par les paysans et plus encore par ceux qui ont un beau terrain gazonné…

Mais la crainte que peuvent avoir les jardiniers vis-à-vis de ce mammifère fouisseur, insectivore, et creuseur de galeries, n’est rien à côté de la peur que peut ressentir un service de renseignement à l’idée d’en posséder une en son sein.

Dans ce cas-là, il s’agit d’un de ses membres qui a été recruté par un service étranger et qui, disposé au cœur du système, peut fournir des informations de première importance.

Avoir une « taupe » est gage de dégâts assurés : organisation mise à nue, objectifs révélés, stratégie dévoilée, agents mis en danger… Sans compter la perte de crédit vis-à-vis des services «  amis  ». Évidemment, le désastre est proportionnel à la place qu’occupe la taupe dans le dispositif et aux informations auxquelles elle peut avoir accès. Mais l’existence d’une taupe, ou le soupçon d’en avoir une, cause toujours une perte de confiance à l’intérieur du service, et encore plus à l’extérieur.

L’énumération des taupes célèbres, qui sont considérées comme des « traîtres » pour leurs victimes mais parfois comme des « héros » pour l’adversaire, de Philby (v) à Vetrov, d’Ames (v) à Penkovsky (v) et de Hanssen (v) à Poliakov ou de Blake (v) est toujours un rappel douloureux pour les services qui en ont subi les effets.

Reste une question : pourquoi une « taupe » (ou mole chez les Anglo-saxons, krot chez les Russes…) ? Parce qu’elle est invisible, fait des dégâts considérables et se révèle d’autant plus difficilement neutralisable qu’elle agit en profondeur !

Transfuge

Le dictionnaire Larousse nous renseigne précisément sur la définition du transfuge : c’est « un déserteur qui passe à l’ennemi » ou une « personne qui trahit une cause ».

Pour un service de renseignement, c’est un membre d’un service étranger, ou d’une organisation, qui vient offrir spontanément sa collaboration. Ses motivations peuvent être très diverses. En principe, il demande à être accueilli par le pays du fonctionnaire qui le reçoit, mais peut également vouloir rester dans son propre pays. Dans ce cas, il devient un transfuge sur place, se transforme en une sorte d’agent double. Il prend alors le risque d’être démasqué avec, dans certains pays, une conclusion qui peut être fatale, comme ce fut le cas pour Penkovsky (v), « Farewell » (v) ou Piotr Popov. Ce dernier était un officier du GRU qui renseigna pendant six ans la CIA (v), avant d’être « donné » par George Blake (v), ce qui lui vaudra d’être arrêté le 6 octobre 1959 et exécuté quelques mois après.

Un transfuge est souvent une aubaine pour le service qui le récupère. Il apporte sa connaissance, plus ou moins intime, du service qu’il quitte, des affaires qu’il a connues ou dont il a entendu parler et amène souvent avec lui, comme Mitrokhine (v), des documents renfermant des informations précieuses.

Il peut aussi être un faux transfuge, agissant sur ordre et venant apporter des informations factices dans le cadre d’une opération de désinformation (v). Il peut être également un agent provocateur. Dans les années 1950-70, les membres du KGB en poste à l’ambassade de Washington avaient la hantise d’être ainsi intoxiqués par des agents provocateurs envoyés par le FBI.

Évidemment, tous les transfuges ne sont pas d’égale qualité, mais ils constituent, en général, des sources d’information très appréciées.

D’autres termes sont employés pour désigner un transfuge : « volontaire », car c’est de sa propre volonté qu’il vient proposer ses services ; « défecteur », fréquemment utilisé comme francisation de defector, mot employé par les Anglais. Les Américains, eux, préfèrent « walk-in ». Littéralement, celui-qui qui marche à l’intérieur ou qui rentre… en général à l’intérieur d’une ambassade ! Quant au mot utilisé par le service d’origine, sans avoir lu le Larousse, il se décline dans toutes les langues : « traître ».

On pourrait croire le concept récent. Il est aussi ancien que l’espionnage lui-même. Ainsi Nicéphore  II Phocas, empereur byzantin de 963 à 969 et grand chef de guerre, écrivait dans De velitatione bellica (Sur les escarmouches), un ouvrage post-mortem, rédigé à partir de ses notes en 975  : «  Ne renvoie jamais un homme libre ou un esclave, de jour comme de nuit, que tu sois au lit, à table ou bien au bain, s’il te dit qu’il a quelque chose à te communiquer. »

Sans doute un conseil à inscrire au fronton des salles de formation de tous les services de renseignement du monde…

A lire aussi : Dictionnaire renseigné de l'espionnage : Agent, Joséphine Baker, James Bond, guerre froide, Mistinguett

Extrait du livre de Michel Guérin, « Dictionnaire renseigné de l’espionnage, De Sun Tzu à James Bond », publié chez Mareuil éditions.

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