Dette grecque : Varoufakis, le pro de la théorie des jeux qui s’était pris les pieds dans son application<!-- --> | Atlantico.fr
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Yanis Varoufakis, le ministre grec des Finances, est un spécialiste reconnu de la théorie des jeux.
Yanis Varoufakis, le ministre grec des Finances, est un spécialiste reconnu de la théorie des jeux.
©Reuters

L'art de la négociation

Mardi 12 mai, la Grèce doit rembourser 700 millions d'euros au FMI : les négociations ne semblent pas avoir beaucoup évoluées. Connu pour bousculer les règles, Yanis Varoufakis, le ministre grec des Finances, est un spécialiste reconnu de la théorie des jeux. Mais encore faut-il avoir des alliés pour gagner la bataille.

Benjamin Carton

Benjamin Carton

Benjamin Carton, économiste au CEPREMAP, enseigne la négociation et la théorie des jeux à Sciences Po Paris.

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Atlantico : La Grèce depuis janvier a manifesté son intention de ne plus répondre aux exigences budgétaires de Bruxelles. Les négociations sont loin d'être terminées. Qu'est-ce que la théorie des jeux, et en quoi peut-elle être utile dans des négociations entre les Etats ?

Benjamin Carton : Je veux abonder un pot commun pour offrir un beau cadeau à un ami, mais ne pas mettre trop non plus. Combien dois-je mettre ? La théorie des jeux conseille : "demande-toi combien vont mettre les autres." Pour décider de sa stratégie, il faut se mettre dans la tête des autres et essayer de deviner ce qu'eux-mêmes vont décider. La théorie des jeux invite à se demander : quel est mon intérêt ? comment le défendre ? Mais surtout, comment les autres parties vont défendre le leur ? Puis-je anticiper leurs prochains mouvements ? Elle est très utile dans les relations internationales à condition de s'inspirer de ses modes de raisonnement pour interroger à nouveaux frais une situation concrète plutôt que d'appliquer ses conclusions, de plaquer ses résultats. Les relations internationales sont toujours plus complexes, riches et imprévues que de simples modèles mathématiques. La théorie des jeux ne remplace pas la finesse du jugement, elle l’aiguillonne.

La théorie des jeux est une façon de raisonner mais elle peut aussi servir de vade-mecum du négociateur: elle préconise par exemple de quitter des positions parfois tranchées (réparations de guerre! respect des règles!) et de chercher les intérêts sous-jacents. Dans le cas de la négociation entre la Grèce et ses créanciers publics, la réforme des retraites est une exigence très forte du FMI. Cette réforme est importante pour vous ? Pouvez-vous me dire pourquoi ? En incitant à affiner la mutuelle compréhension des parties, la théorie des jeux permet d'ouvrir un espace d'échange: si la réforme des retraites est importante pour vous, un allongement des remboursements est important pour moi. C'est parfois terre-à-terre comme approche, mais on avance ainsi vers un accord mutuellement profitable.

A quel niveau cette théorie des jeux aurait-elle pu être utile au ministre grec, au regard du déroulement des négociations depuis trois mois ? Comment aurait-il pu prendre en compte certains de ces raisonnements ?

Le ministre des Finances est certainement bon logicien, mais il a manqué de jugement. Dans une négociation à plusieurs joueurs, il faut savoir se faire des alliés et rompre les alliances de son adversaire. Or il a préféré se montrer intransigeant avec tout le monde ce qui a en fait soudé tous les états européens, le FMI et la BCE. Beau résultat ! S'il avait au contraire su faire des concessions à certains d'entre-eux en jouant des différences d'intérêts (la BCE est plus inquiète de la situation financière des banques grecs que du remboursement de la dette par exemple) où en élargissant la négociation à d'autres sujets (géopolitiques) il aurait pu rompre le front qui lui est opposé.

Par ailleurs, le gouvernement grec a confondu position intransigeante et solution de replis. Agiter la question des réparations de guerre allemande comme point de menace dans la négociation est contre-productif. Il ne peut espérer ces réparations ni si la négociation aboutit, ni si la négociation échoue. Les négociateurs grecs n'ont pas proportionné leur exigence dans la négociation à leur pouvoir de négociation, c'est-à-dire leur pouvoir de nuisance si la négociation échoue. Il n'ont pas préparé non plus de solution de replis en cas d'échec : à défaut d'avoir cherché à amoindrir ses conséquences, sont-ils prêts à les subir ?

En fait, le gouvernement grec a joué pendant trois mois la "guerre d'usure" : je ne cède sur rien en espérant que les autres céderont. Mais il n'a pas anticipé que le temps ne jouait pas pour lui. Plus il tarde à favoriser un accord, même partiel, plus sa situation financière se dégrade. Dès lors, il a aussi perdu la bataille de la communication car il passe pour plus intransigeant que le FMI, pour mal préparé et passablement incompétent.

Quels sont alors les principaux scénarios qui selon vous peuvent encore être envisagés par la délégation grecque ?

Le gouvernement grec pourrait faire volte-face et aborder la négociation de façon plus raisonnée. Il s'agirait de faire des concessions bien réfléchies, d'envisager plusieurs pistes de façon ouverte et de se donner le temps de la réflexion. Mais le temps perdu va rendre les autres états européens plus impatients.

Sortir d'une guerre d'usure, sorte d'entêtement destructeur, est ce qu'il y a de plus difficile. C'est comme cela que je comprends la rumeur de referendum. En appeler au peuple est une façon à la fois de rebondir et de se défausser. Rétrospectivement, l'élection de Syriza ne lui avait donné qu'un mandat pour s'opposer, point pour négocier. Ce n'est donc pas seulement l'équipe de négociation qui est en cause ici mais l'absence de débat interne pouvant déterminer ce qui importe vraiment aux grecs et ce qu'ils sont prêts à négocier. Il a manqué le plus important et le plus difficile : savoir quel est son intérêt.

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