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Détection des maladies : pourquoi votre respiration pourrait devenir la meilleure aide au diagnostic demain
©Reuters

Inspirez, expirez

Une équipe de cinquante-six chercheurs dirigée par le professeur Hossam Haik à mis au point un outil de mesure qui permet de diagnostiquer et classer jusqu'à dix-sept maladies. Une détection plus rapide de cancers ou de Parkinson pourrait être un bon outil pour améliorer le traitement des patients.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Un groupe de cinquante-six chercheurs du monde entier a présenté dans une étude ses travaux sur un appareil capable de diagnostiquer dix-sept maladies - parmi lesquelles des cancers (du côlon, des poumons, des ovaires, etc.), mais aussi deux types de maladies de Parkinson - et grâce à la seule analyse de la respiration. Quels sont les ressorts de cette technologie ? Que peut effectivement révéler la respiration sur notre état de santé ?

Stéphane Gayet :  Les cellules du corps humain ont une dimension moyenne proche de 30 microns, avec de grandes variations. Le micron est le millième du millimètre. Une cellule vivante est une entité autonome qui respire, se nourrit, a un métabolisme, fabrique des protéines, grossit, se multiplie et meurt. C’est déjà une véritable usine biochimique, eu égard au grand nombre de processus qui s’y déroulent à chaque instant. Dans l’état actuel de nos connaissances, le niveau cellulaire est devenu beaucoup trop général et imprécis. L’échelle biologique opérationnelle est aujourd’hui le nanomètre, c’est-à-dire le millième du micron, soit le millionième du millimètre. C’est l’échelle moléculaire. À titre d’exemple, un atome d’hydrogène mesure environ 0,1 nanomètre, une molécule d’eau environ 0,35 nanomètre et une molécule d’acide désoxyribonucléique (ADN) en double hélice environ 2,5 nanomètres et une molécule d’hémoglobine environ 5,5 nanomètres. Les nanosciences et les nanotechnologies sont des sciences et technologies chimiques, biologiques, mais aussi microélectroniques qui concernent des matériaux, structures et systèmes d’une dimension allant d’un à 100 nanomètres.

Les composés organiques volatils (COV) constituent une vaste famille hétérogène de molécules qui contiennent du carbone et un ou plusieurs autres éléments tels que l’hydrogène, l’oxygène, l’azote, les halogènes (fluor, chlore, brome, iode), le soufre, ou encore le phosphore. Les COV se trouvent à l’état de gaz ou de liquides qui s’évaporent facilement dans les conditions habituelles de température et de pression. Les COV sont produits par les plantes, les animaux et les combustions. On trouve parmi eux de nombreux solvants très utilisés. Les COV font partie des principaux polluants atmosphériques. Parmi les innombrables COV, il faut citer l’acétaldéhyde, l’acétone, l’acétylène, le benzène, le butadiène, l’éthane, l’éthylène, le formaldéhyde ou formol, l’isoprène, le méthane, le méthanol, le nonanaldéhyde, le perchloroéthylène, le propylène, le styrène, ou encore le toluène.

Les animaux, dont l’homme, produisent des COV qui sont éliminés dans l’urine, les matières fécales et le gaz expiré. Le méthane et l’acétone en sont deux exemples. À l’époque où les diagnostics médicaux reposaient essentiellement sur l’analyse des signes et symptômes présentés par les malades, les médecins reniflaient leur haleine, leur urine et leurs selles et goûtaient leur urine (d’où les expressions de diabète sucré et de diabète insipide). Le jeûne prolongé et surtout le coma acido cétosique venant compliquer le diabète de type I s’accompagnent d’une odeur cétonique de l’haleine.

C’est en s’inspirant de cette ancienne pratique clinique consistant à renifler l’haleine des malades à fin diagnostique que cette équipe de chercheurs a réalisé cette étude, à l’aide de nanotechnologies. L’air expiré de l’homme contient de l’ordre d’une centaine de COV. Or, comme le montrent le diabète et d’autres maladies métaboliques, certaines pathologies s’accompagnent d’une modification de l’émission de COV dans le gaz expiré, en qualité et en quantité. Les nanotechnologies qui sont des techniques très précises permettent de déceler de très faibles variations. L’air expiré est très simple à recueillir par une méthode non invasive (non sanglante ni traumatisante). Or, on savait auparavant que certaines maladies métaboliques ou à retentissement métabolique s’accompagnaient d’une variation de l’émission de tel ou tel COV dans l’air expiré. Mais les variations étaient beaucoup trop faibles pour les méthodes d’analyses classiques, jusqu’à ce que ces chercheurs aient l’idée d’utiliser des nanotechnologies pour détecter de très fines variations. Ils en sont finalement arrivés à retenir 13 COV dont les variations qualitatives (présente ou absente) et quantitatives peuvent permettre de définir des profils COV de l’air expirés évocateurs de telle ou telle maladie. C’est l’association de l’outil informatique (études des combinaisons des variations de ces 13 COV) et des nanotechnologies (dosages ultrasensibles) qui est le principe de cette étude pleine d’intérêt. Plus de 2800 échantillons d’air expiré ont été recueillis chez plus de 1400 personnes saines ou malades. Ainsi, pour une quinzaine de maladies ou groupes de maladies, ces chercheurs ont réussi à définir une sorte de profil COV expiratoire évocateur. Il s’agit du cancer bronchique, du cancer colique, des cancers ORL, des cancers de l’ovaire, de la vessie, de la prostate, du rein, de l’estomac, mais aussi de maladies non malignes comme maladie de Crohn, la rectocolite hémorragique, le syndrome de l’intestin irritable, la maladie de Parkinson, la sclérose en plaques, l’hypertension artérielle pulmonaire (maladie grave), la pré-éclampsie (complication grave de la grossesse) et l’insuffisance rénale chronique. La sensibilité de cet outil diagnostique se situerait entre 80 et 90 %, ce qui est un bon niveau (dans 10 à 20 % des cas, une personne peut être malade alors que le test est négatif).

Quelles perspectives pourraient offrir cet appareil en matière de prévention et de lutte contre certaines de ces maladies graves ? 

Cette innovation exploite une idée très intéressante. L’étude en question repose sur un principe voisin de celui qui inspire une autre étude en cours concernant une gigantesque base de données de sujets ayant développé un cancer agressif à un âge peu avancé, mais qui porte, non sur l’air expiré, mais sur les gènes. Car nous sommes à une époque où les outils numériques se sont imposés dans tous les domaines, en raison de leur puissance de calcul presque infinie et de toute façon croissante, et de leur utilisation de plus en plus facile grâce à des interfaces graphiques. La performance des outils informatiques conjuguée à la l’ultra précision des nano technologies ouvre un champ de recherche fabuleux. Beaucoup de recherches médicales continuent à porter sur le macroscopique, toujours avec l’aide bien sûr des outils informatiques. Mais les recherches médicales nano technologiques, telles que celle dont il est question, nous offrent un champ infini de découvertes potentielles dont certaines peuvent révolutionner la médecine.

Cet appareil qui vient d’être mis au point est un prototype. Ce qui compte, c’est que l’idée soit lancée et il est certain que d’autres appareils vont voir le jour, tant les débouchés potentiels sont considérables. En termes économiques aussi, bien sûr.

Ce qu’il faut retenir du résultat de cette recherche phénoménale, c’est qu’elle va déboucher sur des méthodes diagnostiques à la fois précises et non invasives (aucun prélèvement invasif : ni prise de sang ni endoscopie). Donc, hormis le coût financier des appareils qui verront le jour, c’est un ensemble de méthodes diagnostiques d’avenir. Leur intérêt sera de diagnostiquer des maladies graves à un stade de plus en plus précoce. Or, c’est exactement ce vers quoi se dirige la médecine de demain : la prévention, d’une part, et le diagnostic très précoce, d’autre part. Ce dernier devrait permettre de traiter tôt et efficacement des maladies graves, ou à défaut d’en ralentir l’évolution de façon importante.

Jusqu'à quel point peut-on estimer que la technologie proposée par ce groupe de chercheurs international est opérationnelle et efficace ? Quelles avancées reste-t-il à accomplir en matière de détection des maladies graves comme les cancers ?

Ce prototype n’est pas exceptionnel, mais son principe l’est. C’est-à-dire qu’il n’est pas un aboutissement, mais le début d’une période de recherches portant sur cette analyse de COV dans l’air expiré. Il est probable que l’on essaie également de faire de tels diagnostics en analysant l’urine par des méthodes nano technologiques. Il reste beaucoup à accomplir en matière de précision des diagnostics. Mais c’est une formidable avancée qui devrait se poursuivre. Cela dit, cette méthode de profils COV expiratoires ne sera probablement pas la méthode unique de référence de diagnostic. Elle sera toujours associée à d’autres méthodes de confirmation, probablement invasives ou au minimum mini invasives. Mais c’est certain, un grand pas vient d’être franchi en matière de diagnostic de détection.

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