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Désolé pour les adeptes des compléments multivitaminés, cette étude scientifique vient de montrer qu’elles ne vous font vivre ni mieux ni plus longtemps
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Cocktail

Les mélanges vitaminés et minéraux sont souvent consommés pour compenser une alimentation déséquilibrée, en apportant ce dont le corps aurait besoin et dont il manquerait.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Une étude récente du Journal of the American College of Cardiology affirme que ces cocktails n'ont aucun effet sur les maladies cardiaques. Comment l'expliquer ?

Stéphane Gayet : Une remarquable étude, mais de peu d'intérêt

Cette étude est impressionnante par son ampleur, sa rigueur et sa puissance, elle vient d'être publiée dans une revue cardiologique de prestige, mais on peut légitimement se poser la question de sa pertinence. En effet, il n'a jamais été dit médicalement qu'un apport quotidien de plusieurs vitamines et sels minéraux pouvait contribuer à prévenir les maladies cardiovasculaires. D'où vient donc cette idée assez saugrenue ? C'est le témoin d'une méprise sur le rôle des vitamines et des sels minéraux. En somme, l'absence d'impact sur la fréquence des maladies cardiovasculaires d'un apport complémentaire quotidien de vitamines et sels minéraux n'est vraiment pas faite pour nous étonner. Il y a tout de même des études plus utiles à mener. Va-t-on un jour conduire une étude pour prouver que dormir beaucoup ne stimulait pas la pousse des cheveux, alors que beaucoup de gens le croient ?

Vitamines et sels minéraux : quels sont leurs rôles exacts ?

C'est une fois de plus l'occasion de remettre les pendules à l'heure à propos des vitamines et sels minéraux. Ce ne sont ni des fortifiants, ni des stimulants, ni des substances prophylactiques polyvalentes.

Le terme de vitamine a été créé en 1911 par Casimir Funk, biochimiste américain d’origine polonaise. Ce chercheur, après s’être établi à Londres, a découvert, dans la pellicule de son enveloppant les grains de riz, une substance capable de prévenir et même guérir le béribéri. Cette maladie grave touche les nerfs et l’appareil cardio-vasculaire. Elle est provoquée par la consommation exclusive et prolongée de riz décortiqué. Cette fameuse substance salvatrice est une amine, c’est-à-dire une molécule azotée et hydrocarbonée (fonction chimique amine). Funk l’a appelée "amine vitale" ou vitamine.

C’est donc la première vitamine connue, elle a été dénommée vitamine B1 (son nom chimique est la thiamine). On a découvert ensuite toute une série de vitamines : on en connaît 12 autres (A, B2, B3, B5, B6, B8, B9, B12, C, D, E, K). Les vitamines A, D, E et K sont dites liposolubles : notre corps les met en réserve dans le tissu graisseux et le foie. Les vitamines B et C sont dites hydrosolubles : notre corps est incapable de les stocker et doit donc en consommer chaque jour.

Comment agissent les vitamines ?

Les vitamines sont ainsi des substances organiques indispensables à la vie, mais à doses très faibles. À quoi servent-elles ? Elles ne nous nourrissent pas, sans quoi elles agiraient à doses élevées ; ce sont en réalité des acteurs obligatoires de certaines réactions chimiques essentielles de notre organisme (en leur absence, ces réactions ne peuvent se produire et cela a des conséquences délétères). Le corps humain est bien sûr incapable de fabriquer les vitamines —exception faite de la vitamine D et indirectement de la vitamine K —, c’est pourquoi les vitamines doivent être impérativement apportées par l’alimentation : elles sont contenues dans de nombreuses matières nutritives, souvent d’origine végétale.

Si une personne est privée d’une ou de plusieurs vitamines de façon prolongée, une ou plusieurs maladies vont se développer, chacune d’elle étant liée à une carence en une vitamine. La carence en vitamine B1 provoque le béribéri, celle en vitamine D le rachitisme (déformations du squelette chez l’enfant), celle en vitamine C le scorbut (atteinte de la bouche et des cellules sanguines), celle en vitamine B12 une anémie et celle en vitamine K des saignements. Pour chacune des vitamines, les signes observés lors d’une carence prolongée sont bien connus. Mais, dans les pays développés, ces carences vitaminiques appartiennent à l’histoire (sauf lors de maladies particulières qui les favorisent).

Pour quelles raisons peut-on cependant utiliser ces mélanges multivitaminés ?

Les vitamines dans un but physiologique : en cas de carence ou de déficience manifestes

La dose physiologique est celle dont l'organisme a besoin. Au-delà, la vitamine est éliminée (vitamine hydrosoluble) ou stockée (vitamine liposoluble) selon le cas. L'apport complémentaire de vitamines dans un but physiologique ne se conçoit que lorsqu'on en manque. On distingue les carences et les déficiences. Les carences vitaminiques sont rares en France. De véritables carences sont cependant diagnostiquées chez des patients dénutris ou ayant des pathologies spécifiques (certaines maladies chroniques graves). Quelques cas de rachitisme carentiel nécessitant une hospitalisation ont été rapportés ces dernières années chez des adolescents à peau pigmentée et vivant en milieu défavorisé.

Les déficiences vitaminiques sont plus fréquentes. Elles n’ont généralement aucune traduction évidente, car elles ne font que fragiliser les individus qui en sont affectés. Les principales situations au cours desquelles peut se constituer une carence vitaminique sont les suivantes : apport insuffisant ; troubles de la digestion ou de l'absorption intestinale ; maladie chronique du foie ; maladie héréditaire du métabolisme ; interaction avec certains médicaments ; alcoolisme chronique ; dialyse rénale ; grossesse, allaitement ; infection sévère.

Il est admis qu'une alimentation diversifiée apporte les vitamines nécessaires. Certaines personnes bien conscientes d'avoir une alimentation vraiment déséquilibrée peuvent logiquement préférer consommer quotidiennement plusieurs vitamines et sels minéraux pour pallier ce déséquilibre. La grande majorité des vitamines proviennent des fruits et légumes. En dehors des régimes alimentaires manifestement carencés en vitamines et des maladies chroniques vues plus haut, un apport de vitamines et de sels minéraux peut être utile, voire nécessaire chez les enfants en bas âge – en particulier les prématurés -, les femmes enceintes et les vieillards. Les états de surmenage physique intense et temporaire peuvent dans certains cas justifier un apport de vitamines et sels minéraux.

Les vitamines dans un but supra physiologique (pharmacologique) : peu sont concernées

Les antioxydants (vitamine C, vitamine E, bêta-carotène, sélénium et zinc) semblent avoir un effet préventif vis-à-vis de certains cancers. Cet effet paraît plus important chez les hommes que chez les femmes, ce qui est peut-être lié au fait que les hommes ont plus souvent des déficiences qu'elles.

Par ailleurs, les effets pharmacologiques de la vitamine C ou acide ascorbique sont bien connus : elle a un effet excitant et elle stimule l'éveil. En contrepartie, la vitamine C est une cause fréquente et peu connue d'insomnie (certains fruits et légumes très riches en vitamine C ne devraient pas être consommés le soir ni l'après-midi). Et que dire des jus de fruits enrichis en vitamines ?

Les risques d'hypervitaminose : attention

La vitamine C en excès peut être source d'insomnie, d'excitation et d'accoutumance ; elle peut également donner une intolérance digestive et favoriser les calculs rénaux.

L’excès de vitamine A ou l’hypervitaminose A se manifeste chez l’adulte par des troubles cutanés (rougeur, eczéma), une atteinte du foie, des maux de tête (céphalées occipitales matinales, souvent accompagnées de vomissements) et des douleurs osseuses. Chez le nourrisson, elle se traduit par des céphalées, des vomissements et une torpeur. Elle peut, à long terme, aboutir à une ossification précoce des os longs. Chez la femme enceinte, elle peut donner des anomalies de formation du fœtus.

L'excès de vitamine D au-dessus d’un apport journalier de 1 000 unités internationales par jour chez l’adulte peut provoquer des signes de surcharge vitaminique. Dans la majorité des cas, c’est un apport excessif en vitamine D dans le cadre d’un traitement pour une baisse de calcium dans le sang ou pour un rachitisme chez le nourrisson ou l’enfant, ou encore une ostéomalacie (équivalent du rachitisme de l'enfant) chez l’adulte. Il s'agit alors d'une fatigue (asthénie), d'une perte d'appétit (anorexie), d'un amaigrissement, de troubles digestifs, de signes neurologiques (céphalées, vomissements et même confusion mentale chez la personne âgée), voire d'une hypertension artérielle, d'une soif intense, d'une insuffisance rénale ou encore de calculs rénaux ; on a également décrit des calcifications des vaisseaux et du cœur. Les nourrissons sont plus sensibles que les adultes à l’excès de vitamine D. Chez l’enfant, un excès de vitamine D peut se manifester par des lésions cérébrales ou rénales et peut aussi provoquer des anomalies des dents. On a décrit la survenue de convulsions également. Des malformations du fœtus (rétrécissement de l'aorte) ont été décrites chez la femme enceinte prenant un excès de vitamine D.

L'excès de vitamine E ou hypervitaminose E peut donner une asthénie (fatigue) et d’exceptionnels cas d’hémorragie cérébrale. Le risque est plus important chez les personnes qui ont une maladie du foie entraînant une diminution de l’excrétion biliaire des médicaments et d'autres substances chimiques, dont la vitamine E.

Qu'est-ce qui explique que ces produits - qui ne sont pas souvent utiles ou bien utilisés - soient si populaires ?

Cette méprise est essentiellement due à la vitamine C

Car l'acide ascorbique est en effet un stimulant et un activateur de l'éveil. La vitamine C a un effet dopant incontestable. Mais d'une part il existe un risque d'hypervitaminose C, d'autre part cela ne concerne pas les autres vitamines. On retrouve cette méprise dans les expressions telles que "être survitaminé", en parlant d'un appareil par exemple. Il est certain que la surconsommation illusoire de vitamines et sels minéraux fait l'affaire des producteurs et des revendeurs. C'est un marché énorme et même fantastique. C'est un peu le même phénomène qu'avec les désinfectants et autres antibactériens que les producteurs et revendeurs nous poussent à utiliser alors qu'ils sont très largement plus néfastes qu'utiles.

Une illusion d'origine ancienne et bien entretenue

Alors, pourquoi un tel engouement pour les aliments enrichis en vitamines, oligo-éléments et sels minéraux et pour les compléments alimentaires vendus en pharmacie ? C’est un peu comme pour les épidémies : ceux qui ont connu la peste, le choléra, le typhus et la diphtérie ont été très marqués par le risque infectieux. Ceux qui ont connu le scorbut, le béribéri et le rachitisme ont été très marqués par le risque de carence vitaminique. Et puis, dans le langage courant, dans l’esprit public, le mot vitamine est perçu comme un facteur de croissance, une protection contre les maladies, une source d’énergie, une substance anti-âge, etc. Des publicités mensongères sont apparues : « Faites le plein d’énergie avec votre bol de lait enrichi en vitamines », alors que les vitamines n’apportent aucune énergie (à part la vitamine C).

Le grand public étant convaincu que consommer des vitamines en grande quantité était bon pour sa santé, les aliments enrichis en vitamines ont fait florès et cela perdure. Les laits, les jus de fruits et les céréales additionnés en vitamines se vendent très bien. Cette tendance consumériste est liée à un effet de mode, qui nous vient sans doute des États-Unis d’Amérique : pendant la Seconde Guerre mondiale, les militaires américains recevaient déjà des rations enrichies en vitamines, mais à dire vrai aucun bénéfice n’en a pu être montré.

Mais cette surconsommation n'est pas sans risque : nous avons parlé des hypervitaminoses. Il existe un autre risque important, surtout avec les produits non pharmaceutiques. C'est celui des contrefaçons, des produits frelatés, des produits fabriqués dans des conditions non sécurisées (risques de pollution par de nombreux produits chimiques lors de la préparation, du stockage et du conditionnement). En dehors des vitamines et sels minéraux vendus en pharmacie, les produits vendus en grande distribution ont une qualité de type agroalimentaire, ce n'est pas peu dire. Les impuretés et autres polluants sont plus que probables. Tout ceci n'est pas sans risque, loin de là.

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