Déshériter ses enfants : comment l’harmonisation européenne pourrait permettre le processus en France<!-- --> | Atlantico.fr
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Une nouvelle réglementation européenne doit entrer en application le 17 août 2015.
Une nouvelle réglementation européenne doit entrer en application le 17 août 2015.
©Reuters

Linge sale

Une réglementation européenne qui doit entrer en application le 17 août 2015 permettra de régler les successions non pas en fonction de la législation du pays d'origine de la personne décédée, mais de son lieu de résidence. Une façon pour déshériter ses enfants... Même s'il en existe déjà en France pour qui veut absolument les spolier.

Nicolas Graftieaux

Nicolas Graftieaux

Maître Nicolas Graftieaux est spécialiste en droit de la famille. Il a d’abord exercé son activité au sein d’une banque privée, pour ensuite intégrer le département famille/patrimoine d’un  cabinet parisien et bénéficie à ce titre d’une approche pluridisciplinaire dans les domaines du droit de la famille, des successions, du patrimoine, de l’immobilier et des affaires. Il anime par ailleurs régulièrement colloques et formations auprès de ses confrères autour de ces thèmes.

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Atlantico : Une nouvelle réglementation européenne doit entrer en application le 17 août 2015. Celle-ci prévoit qu’au décès d’un citoyen de l’Union européenne (UE), les règles de succession qui s’appliquent sont celles de son pays de résidence, et non d’origine. Cela signifie-t-il qu’un Français pourrait déshériter ses descendants ? De quelle manière ?

Nicolas Graftieaux : Dans une succession, il faut distinguer trois choses. 1) Où la personne habitait-elle ? 2) Où les biens qui lui appartenaient se situent-ils ? 3) Quelle est sa nationalité ? Jusqu'ici toutes les questions purement personnelles de la succession étaient réglées par la loi de son pays d'origine. Celles liées aux biens mobiliers (banque, objets d’art, meubles, voitures, etc.) étaient réglées en fonction du lieu de résidence habituel de la personne décédée, et le sort des biens immobiliers était également fonction du lieu de situation de l’immeuble. A cet imbroglio s'ajoutait le fait que certains pays avaient établi des conventions bilatérales permettant de déroger à ces règles-là.

L’idée de cette réglementation est d’unifier les choses et de permettre, comme on peut le faire déjà en Suisse, d’effectuer un vrai choix. Si on a décidé d’établir ses intérêts économiques et sociaux dans un pays, alors le règlement de sa succession doit lui-même être régi par les lois du pays en question. L’idée est donc double : simplification, et contractualisation du droit (les gens décident par eux-mêmes des conséquences de leurs actes).

Il faut savoir qu'il est déjà possible de déshériter ses enfants lorsqu’on est un Français vivant à l’étranger, en Grande-Bretagne, par exemple. Si une personne qui vit en France, mais a décidé d’investir dans de l’immobilier ou des trusts là-bas, décède, alors ses enfants ne peuvent pas faire jouer le mécanisme de la réserve successorale sur ces biens. Car la loi de la réserve successorale, qui empêche tout un chacun de donner une partie de son patrimoine supérieure à un quota à quelqu’un d’autre que ses enfants, n’existe pas en Grande-Bretagne.

Alors qu’avant cette réglementation il fallait préparer ce mécanisme qui permettait d’exhéréder (déshériter, ndlr) ses enfants, il sera encore plus facile de le faire puisqu’il suffira de dire a posteriori que telle loi, qui ne connaît pas la réserve successorale, est applicable, sans avoir investi à l’étranger. Sous réserve, bien sûr, qu’il y ait un "attachement suffisant" entre la loi choisie et le décédé pour justifier que l’on choisisse une loi différente de celle du lieu de résidence habituel au moment du décès.

S’il n’est pas possible de déshériter totalement ses descendants en France, dans quelle proportion peut-on réduire la part à laquelle ils peuvent prétendre ?

En l’état actuel du droit, il existe la "renonciation anticipée à l’action en réduction." Ce mécanisme plutôt récent est venu donner une vraie entaille dans la sacro-sainte réserve successorale : si, de votre vivant, vous avez envie de donner plus à l’un de vos enfants, ou à quelqu’un d’autre, vous avez la possibilité de le faire de votre vivant, tout en faisant signer à vos enfants cette renonciation. Ainsi, ils renoncent à demander la nullité de la donation en question. Cela est particulièrement encadré : il faut le faire devant deux notaires pour éviter les pressions familiales. En réalité, l’ombre du pater familias ne souffrant aucune contradiction de la part de ses enfants reste particulièrement forte.

Un autre mécanisme existe, de manière plus détournée, qui consiste à passer par l’assurance-vie. Celle-ci est hors succession du point de vue civil comme fiscal. La jurisprudence est venue poser des garde-fous : si les primes versées sur une assurance-vie sont manifestement excessives, on peut dire que l’objectif de la personne décédée était de contourner la loi sur la réserve successorale, et qu’il faut réintégrer les sommes dans la succession. Mais même si la loi l’interdit, ce contournement fonctionne très bien, car si le notaire n’a pas les informations qu’il lui faut au moment de l’ouverture du dossier (parce que l’héritier est brouillé avec son père), celui-ci va interroger le fichier de la Banque de France qui recense les comptes bancaires des personnes physiques. Cependant, l'assurance-vie n’y figure pas : l'héritier qui n’est pas au courant ne le saura jamais. Un autre fichier, appelé AJIRA, permet d’être interrogé, mais la réponse sur l’existence ou non d’une assurance-vie, ne parvient qu'à son bénéficiaire. Le notaire qui a consulté l’AJIRA ne sera jamais directement mis au courant. L’enfant bénéficiaire recevra confirmation, tandis que celui qui est spolié n’en saura rien. L’assurance-vie reste donc un très bon moyen de spolier un de ses enfants, ou en tout cas faire en sorte qu’il reçoive moins que les autres.

Dans quels pays la législation permet-elle de déshériter ses enfants ? Un Français qui y serait établi pourrait-donc choisir de ne pas transmettre ses biens à sa descendance ?

En matière successorale, on distingue deux catégories de pays "libéraux". Tout d’abord, on compte les pays de culture anglo-saxonne, qui ne connaissent pas le mécanisme de la réserve successorale. C’est pour cela que des personnes comme Bill Gates peuvent décider de donner la moitié de leur patrimoine à des fondations, alors que cela est absolument inenvisageable en France. La fille de Liliane Bettencourt est venue contester les donations faites à François-Marie Banier en invoquant la réserve successorale. Aux Etats-Unis, que Bill Gates donne la moitié ou les trois quarts de son patrimoine, ses enfants n’ont rien à redire. Cette réalité reflète la culture du self-made man : on se construit et on hérite ensuite. En France, on hérite d’abord.

Une deuxième catégorie permettant de choisir un enfant plutôt qu’un autre, ou tout bonnement un étranger à la famille, est celle des pays de droit musulman. Le code des familles, comme en France, connaît en théorie un partage égalitaire des biens entre les enfants, et une réserve successorale. La loi en Tunisie, au Mali et dans beaucoup d’autres pays, permet de dire en réalité que ce n’est pas la loi civile qui s’appliquera, mais soit le droit musulman, soit le droit coutumier. Ces derniers permettent de choisir le droit d’aînesse ou la primauté des garçons. Il s’agit donc d’une forme de libéralité en ce que la personne décédée peut avoir choisi des court-circuiter le droit civil pour favoriser l’un ou l’autre de ses enfants, ou un tiers.

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