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Des scientifiques réveillent des bactéries vieilles de 100 millions d’années
©Reuters

Tous aux abris ?

Plusieurs scientifiques se sont rendus dans les profondeurs les plus sombres de l’océan afin de réanimer des microbes vieux de 100 millions d’années.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : Des scientifiques sont allés dans les profondeurs les plus sombres de l’océan et ont creusé 250 pieds dans les sédiments afin de collecter une ancienne communauté de microbes. Une fois récupérés, ils les ont ramenés dans un laboratoire avec comme objectif de les réanimer. D'après vous, certains microbes peuvent-ils être dangereux et nocifs pour l'Homme ?

Stéphane Gayet : Vous êtes probablement un peu saturés de CoVid-19 et de coronavirus. C’est pourquoi nous allons aujourd’hui traiter un autre sujet. Mais avant cela, je tiens à vous dire que le nombre quotidien de personnes nouvellement hospitalisées pour CoVid-19 en France, qui était monté de façon un peu inquiétante à 172 mardi 28 juillet, est heureusement redescendu à 118 mercredi 29 juillet, ce qui est tout de même rassurant (voir mon article du 29 juillet).

Louis Chedid dans sa chanson « T’as beau pas être beau » parlait d’un « monde cinglé ». Aujourd’hui, les activités humaines sont à l’origine de la disparition – semble-t-il complète et définitive – de dizaines ou plutôt de centaines d’espèces vivantes. On annonce la disparition à moyen terme de l’ours polaire… Quel que soit l’être vivant concerné, la vie est toujours merveilleuse et même prodigieuse. Notre corps est constitué de plus de 10 000 milliards de cellules et chacune d’elle est à elle seule une usine biochimique dans laquelle un nombre gigantesque de réactions chimiques se produisent à chaque instant ; c’est tout de même sidérant. C’est vrai de tous les êtres vivants constitués de tissus. C’est encore vrai des êtres vivants les plus rudimentaires qui ne sont formés que d’une seule cellule sous sa forme la plus simple qui soit.

Alors, pendant que les tritons, salamandres, hirondelles, hannetons, scarabées… se raréfient et même rapidement, menaçant de disparaître eux aussi, des chercheurs vont sonder le fond de l’Océan pacifique pour y rechercher des bactéries en état de vie ralentie afin de les réactiver. Cela peut paraître insensé, mais ce ne l’est pas.

Les deux principaux chercheurs de cette mission sont Steven d’Hondt qui est professeur d’océanographie à l’Université du Rhode Island (le Rhode Island est le plus petit État des États-Unis d’Amérique, situé au nord de la Côte Est et dont la capitale est Providence ; cet état est à peine plus étendu que le Grand-Duché du Luxembourg) et Yuki Morono qui est un géomicrobiologiste japonais (il travaille au sein de l’Agence japonaise pour les sciences et technologies marines et terrestres ou JAMSTEC).

Leur projet était le suivant : aller sonder le fond d’un Océan dans lequel on s’attendait à trouver le moins possible d’êtres vivants, dans le but d’y découvrir des êtres vivants rudimentaires et très anciens en état de vie ralentie. Pour être plus clair, les chercheurs considéraient que la côte californienne, par exemple, qui est très riche en espèces animales et végétales avec une très épaisse couche de sédiments – au point que la mer y est toujours trouble ou presque – n’était pas intéressante à sonder, mais qu’au contraire des fosses océaniques, avec très peu de sédiments sur une couche volcanique, pourraient révéler la présence d’êtres vivants unicellulaires rares et très anciens, en état de vie ralentie eu égard à une grande pauvreté de nutriments.

C’est ainsi qu’ils ont fixé leur choix sur une fosse de plus de 5000 mètres de profondeur, située dans l’Océan pacifique, à 2500 km (400 miles marins) au nord-est de la Nouvelle-Zélande (carte ci-dessous, flèche rouge). En effet, l’eau de mer y est d’une extrême transparence, traduisant une vie rare et donc une très mince couche de sédiments organiques. Cela s’explique en partie par un socle volcanique très dur qui a beaucoup plus de 100 millions d’années.

L’équipe exploratrice co-dirigée par Steven d’Hondt a creusé depuis le fond de la mer sur une épaisseur de 75 mètres au sein des sédiments, jusqu’à atteindre le socle volcanique ; cette couche de sédiments est relativement très mince (75 mètres en 100 millions d’années, ce n’est rien). Ils ont obtenu et rapporté de nombreuses « carottes » de sédiment. C’est ensuite le chercheur japonais Yuki Morono et son équipe qui a pris le relais, en analysant ces « carottes » de sédiment, à la recherche d’êtres vivants. Cette analyse a été difficile, car il n’y avait aucun signe de vie et l’on ne pouvait qu’y rechercher de l’ADN. La technique de fluorescence mise en œuvre a laissé croire en première analyse qu’il y avait beaucoup d’ADN, mais il s’agissait d’artéfacts (fausses images trompeuses). En deuxième analyse, l’équipe de recherche a fini par trouver les ADN d’une « flore » très pauvre, ayant au moins 100 millions d’années d’âge. Cette flore était constituée d’archées ou archéobactéries et déjà de bactéries. Les premières sont considérées comme les êtres vivants les plus simples du monde ; elles sont encore plus rudimentaires que les bactéries.

Selon la théorie de l’évolution, la vie sur terre aurait commencé sous la forme d’archées… dont nous serions en quelque sorte les descendants.

Ce sol marin est si pauvre qu’il n’y a pratiquement pas d’oxygène, juste le strict minimum pour conserver ces archées et ces bactéries en vie très ralentie. Car ces archées et ces bactéries sont aérobies (elles ont besoin d’oxygène pour vivre).

Quelles ne furent pas la surprise et la satisfaction des chercheurs japonais, quand ils sont parvenusà réactiver ces bactéries archaïques qui ont repris une vie « normale » et une croissance (multiplication).

Les archées et les bactéries appartiennent aux Procaryotes qui ne sont ni des êtres vivants animaux ni des êtres vivants végétaux, mais intermédiaires entre ces deux règnes. Mais elles sont vivantes. Elles n’ont pas de noyau, mais un génome rudimentaire réduit à un nucléoïde (archées) ou déjà à un unique chromosome (bactéries).

Le schéma ci-dessous est tiré de : Mini manuel de microbiologie. Daniel Prieur, Claire Geslin. Christopher Payan. 2e édition, 2015. Éditions Dunod, Paris.

Il n’y a pas de mitochondrie, ni de membrane nucléaire (pas de noyau), ni de réticulum endoplasmique ; il y a le strict minimum pour vivre (respiration, synthèse de protéines, métabolisme, multiplication, locomotion, protection).

Pour répondre à la question posée, ces archées et ces bactéries issues des profondeurs de l’Océan pacifique sont sans danger pour l’Homme. Le monde bactérien terrestre comporte plusieurs milliards d’espèces différentes. Parmi elles, seulement 150 à 200 espèces bactériennes sont douées de pouvoir pathogène pour l’être humain, ce qui est infime. Pour qu’une espèce bactérienne possède un pouvoir pathogène pour l’Homme, il faut qu’elle se soit habituée à l’être humain au fil des ans : il faut qu’elle ait évolué pendant une très longue période au contact de l’Homme.

Quel est l'intérêt selon vous de faire revivre ces microbes ?

C’est de la matière vivante et en cela, c’est déjà extraordinaire. La vie, c’est un peu magique, c’est plein de potentiel. Une archée ou plutôt une bactérie, c’est une véritable usine biochimique aux possibilités innombrables.

En cultivant et en étudiant ces bactéries, on peut apprendre une infinité de choses : on peut découvrir comment fabriquer de nouveaux médicaments, comment digérer des déchets, comment lutter contre les bactéries pathogènes, etc. Le potentiel de ces procaryotes est immense : il faut simplement du temps et de l’investissement humain et financier pour en explorer les multiples possibilités. Imaginons que l’on découvre parmi elles une espèce capable de digérer le PVC et de le transformer en humus…

En quoi est-ce une découverte importante ?

C’est déjà une prouesse technique et scientifique. Cette découverte devrait nous permettre d’en savoir plus sur l’origine de la vie sur terre et sur le monde microbien. Le fait d’avoir réussi à réactiver ces procaryotes à partir de cellules en vie très ralentie est la porte ouverte à bien d’autres recherches portant sur le monde vivant.

Attention : restons raisonnables et n’allons pas imaginer des scénarios de type Jurassic Park (film de Steven Spielberg), nous n’en sommes pas là (pas encore). Mais, étant donné tout ce que nous savons déjà faire avec des bactéries en matière de biotechnologies, la découverte d’espèces encore totalement inconnues est théoriquement porteuse de nombreuses possibilités. Pas de science-fiction, mais un potentiel biotechnologique probable.

Il est à prévoir que nous en reparlions d’ici quelques années et peut-être même plus tôt.

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