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Des Paroles et Des Actes post-attentats : quand le gouvernement persiste à ignorer cette contre-société qui se construit sous nos yeux
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Tactique de l'évitement

Bernard Cazeneuve et Najat Vallaud-Belkacem étaient les invités sur France 2 d'une émission spéciale consacrée à l'après-attentat. Si certaines propositions vont dans le bon sens, le diagnostic, lui, reste incomplet.

Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel).

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

 

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Atlantico : L'émission des Paroles et des Actes jeudi 22 janvier était consacrée à l'après Charlie Hebdo et à la réponse à donner au terrorisme. Si Bernard Cazeneuve a défendu les actions prises en matière de sécurité intérieure, Najat Vallaud Belkacem a quant à elle défendu le volet de l'Education. Les réponses apportées par le gouvernement vous ont-elles paru appropriées au regard de la situation ?

Philippe d’Iribarne : Une question majeure n’a pas été assez posée au cours de l’émission. A-t-on affaire à une série de cheminements individuels, allant d’une affirmation non agressive d’une identité musulmane associée à l’adoption d’une tenue islamique jusqu’à une radicalisation terroriste, en passant par un refus de certains enseignements à l’école, ou pour un homme d’être soumis à l’autorité d’une femme, etc. ? Ou a-t-on affaire à la construction collective d’une contre-société, au sein de laquelle une minorité décidée prend progressivement le contrôle de la masse de la population ? L’histoire offre bien des exemples de ce type de phénomène, mis en scène par Ionesco dans sa fameuse pièce Le rhinocéros. Les réponses apportées par le gouvernement vont dans le bon sens, mais ne suffiraient que si on était dans le premier cas de figure, ce dont je doute.

Si les questions relatives à une meilleure maîtrise de la menace djihadiste et à la prévention de la radicalisation dans les écoles ont été évoquées, quid d'une possible réforme de l'islam en France ?

On ne pouvait sans doute tout évoquer, et l’émission portait sur l’action du gouvernement, dont les possibilités en matière de réforme de l’islam paraissent bien limitées. Par contre, un point marquant des réactions aux derniers événements est que l’importance d’une telle réforme a été abondamment mise en avant, y compris par des musulmans. On est sorti de l’affirmation "tout cela n’a rien à voir avec l’islam".

La deuxième partie de l'émission a été consacrée à l'éducation. Najat Vallaud Belkacem a déclaré que tout comme la citoyenneté, "la laïcité est une valeur qui s'apprend". Quelles sont les limites d'un tel raisonnement ?

Bien sûr, la laïcité s’apprend, comme toutes les valeurs. La difficulté est que, pour qu’elle s’apprenne, il faut que ce que disent les personnes chargées d’en faire reconnaître la valeur soient entendues, ce qui suppose que ces personnes, en l’occurrence les professeurs, soient reconnus comme des références en ce qui concerne la découverte du vrai et du bien. Or un problème majeur est que les professeurs ne sont pas des références pour toute une partie de la population musulmane, qui n’y voit que des incroyants dont la parole est sans valeur. On n’est pas seulement dans l’ignorance, mais dans un conflit de légitimité. Et on ne voit effectivement pas comment sortir d’un tel conflit sans une réforme de l’islam qui appartient aux musulmans.

Pourquoi un renforcement de l'autorité, comme il a été évoqué à plusieurs reprises, ne pourra-t-il pas se passer d'une volonté des familles ?

On a vu se développer au cours des dernières décennies, et bien au-delà des populations musulmanes, une attitude des familles soutenant systématiquement les élèves contre l’autorité des enseignants, attitude allant parfois jusqu’à des injures ou même des agressions physiques. Il ne va pas être facile de revenir sur cette évolution, sans laquelle la parole des enseignants risque fort de ne guère avoir le poids nécessaire pour transmettre des valeurs.

Laurence De Cock, professeur d'histoire-géographie a déclaré qu'elle n'était "pas venue désigner une partie de la jeunesse comme responsable d'une partie des maux de la société". Najat Vallaud Belkacem a quant à elle réagi  en disant avoir "un peu de mal avec tous les discours sur la démission des parents". Dans quelle mesure les problèmes auxquels nous devons faire face aujourd'hui sont-ils pourtant liés à notre difficulté à voir la réalité ? Comment cela a-t-il pu se traduire au niveai de l'action publique ?

Un grand impératif de notre temps est qu’on ne doit pas "stigmatiser", "blâmer la victime". Seuls les puissants, les dominants, sont alors censés être la source de nos maux, en discriminant, en méprisant, etc. Les puissants ne sont sûrement pas innocents, mais regarder la réalité en face suppose de bien prêter attention à ce qui est de la responsabilité de chacun. Et puis ceux qui travaillent à prendre le contrôle d’une population en menaçant, en intimidant ceux qui ne font pas correctement le Ramadan, les femmes qui ne portent pas une tenue islamiquement correcte, ceux qui boivent de l’alcool, etc., sont aussi des dominants à leur manière. Mais comme ils sont censés ne pas exister on ne réfléchit même pas à ce qu’on pourrait faire pour contrecarrer leur action.

Il a beaucoup été question d'action publique, de rétablissement de l'école républicaine. Qu'est-ce qui ne relève pas directement de l'action de l'Etat, mais qui est tout autant crucial ?

L’émission portait sur l’action publique, qui est déjà une vaste question. Un point qui mériterait d’être abordé, concernant cette action, est la manière dont elle soutient ou au contraire entrave, ce qui, dans le fonctionnement de la société tend à détourner ceux qui sont venus d’ailleurs, avec d’autres valeurs, une autre vision du monde, d’autres références, de constituer une contre-société. Pendant longtemps, la pression sociale a joué en ce sens. Il faudrait  veiller à ce que les politiques menées au nom de la non discrimination ne l’empêchent pas de continuer à jouer ce rôle – songeons par exemple au rôle joué par la Halde, avant qu’elle ne change de position, dans l’affaire de la crèche Baby Loup.

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