Derrière le chantier de rassemblement de la gauche, le grand vide idéologique : que lui reste-t-il à proposer ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Derrière le chantier de rassemblement de la gauche, le grand vide idéologique.
Derrière le chantier de rassemblement de la gauche, le grand vide idéologique.
©Reuters

Attention travaux

Alors que François Hollande et Manuel Valls multiplient les mains tendues vers les écologistes dans une volonté affichée de rassemblement, rien ne peut faire oublier la déroute des départementales. Ni l'union sacrée, ni la loi Macron 2 ne peuvent effacer les luttes intestines qui ont fait l'échec d'une gauche incapable de se mettre d'accord sur un projet commun clair et lisible.

Jacques Julliard

Jacques Julliard

Jacques Julliard est journaliste, essayiste, historien de formation et ancien responsable syndical. Il est éditorialiste à Marianne, et l'auteur de "La Gauche et le peuple" aux éditions Flammarion.

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Olivier Rouquan

Olivier Rouquan

Olivier Rouquan est docteur en science politique. Il est chargé de cours au Centre National de la Fonction Publique Territoriale, et à l’Institut Supérieur de Management Public et Politique.  Il a publié en 2010 Culture Territoriale chez Gualino Editeur,  Droit constitutionnel et gouvernances politiques, chez Gualino, septembre 2014, Développement durable des territoires, (Gualino) en 2016, Culture territoriale, (Gualino) 2016 et En finir avec le Président, (Editions François Bourin) en 2017.

 

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  • Entre réconciliation avec les écologistes et l'annonce d'une loi Macron 2, les socialistes tentent coûte que coûte de redonner du sens à leur programme.
  • Mais les divisions au sein de la majorité  et l'obsession de la lutte contre le FN empêchent toute cohérence politique et idéologique.
  • La gauche a perdu son identité et est incapable de rétablir l'égalité sociale dans un espace mondialisé qui la dépasse.

Atlantico : Après la débâcle des départementales, François Hollande se lance à bras-le-corps dans des tentatives d'alliance, notamment avec les Verts, en invitant Cécile Duflot à se joindre au déplacement officiel en Tunisie.  Derrière cette apparente volonté de rassemblement, la gauche a-t-elle encore un discours politique au sens noble du terme à proposer ? Quelle est sa vision du monde ?

Jacques Julliard : François Mitterrand, au moment où se posait le problème de sa réélection, a eu la même réaction, c'est-à-dire prendre des distances à l'égard de son parti tout en essayant de se renforcer sur sa droite et sur sa gauche. C'est de la pure tactique. François Hollande pense qu'il a intérêt à se "tontoniser", c’est-à-dire se présenter comme l'oncle ou le grand oncle de la nation. C'est à la base de sa démarche.

Aujourd'hui, la gauche n'a plus de vision commune, elle est orpheline d'un monde où il y avait du noir et du blanc : le capitalisme et le socialisme. A l'époque, les choses étaient beaucoup plus claires. Il n'y a plus de discours univoque de la gauche car "la"  gauche n'existe plus. L'absence de ce discours unificateur est d'ailleurs à l'origine du succès du Front national. Elle est incapable, comme la droite, d'avoir un discours d'intérêt général. Les citoyens attendent des politiques des propositions et en ce moment, ils n'en ont pas. Ils ont des critiques et des rêveries, mais pas de propositions. Le socialisme était une vision du monde qui permettait d'unifier les individus et les luttes sociales. Aujourd'hui, dans une République devenue neutre, il a cessé d'être une espérance.  

Olivier RouquanLe projet politique de la gauche existe, mais il est devenu peu audible et peu lisible. Pour de plus en plus d'électeurs, il est de plus en plus difficile de faire la distinction entre gauche gouvernementale et droite étatique. La gauche de gouvernement est dans une posture défensive, avec la volonté de préserver un modèle social, tout en maintenant les chances de la France dans la mondialisation, ce qui pousse la gauche à utiliser des outils qui ne relèvent pas de son répertoire depuis l’après-guerre. C'est ce que certains appellent le social-libéralisme ou la politique de l'offre.

Il est très difficile de faire partager une vision du monde à l'heure de la démocratie instantanée. Les partis politiques ne sont plus construits pour fabriquer une idéologie politique. Ils s'en remettent à des experts, des think tanks, qui ne sont eux-mêmes pas capables de donner une cohérence, puisqu’ils publient des papiers fournis par des chercheurs, sans un corpus idéologique finalisé.

Le rassemblement ne peut-il être que stratégique entre les différentes forces de gauche ? N'est-on pas finalement dans le règne de l'habilité plutôt que du politique ?

Jacques Julliard : Les Verts comme le Front de Gauche ont beaucoup plus de points de contestation que de points d'accord avec le Parti socialiste. Paradoxalement, il y a une trentaine d'années, alors que la gauche était profondément divisée, elle arrivait à présenter un minimum de fronts communs. Autrefois, c'était le socialisme et le communisme qui s'opposaient. Aujourd'hui, ce sont les keynésiens et les libéraux qui s'opposent. C'est beaucoup plus réducteur. Mais alors que les différences se sont atténuées, l'accord est beaucoup plus difficile. La politique politicienne rend toute alliance impossible alors même que les idéologies se sont rapprochées.

La gauche ne semble unie que quand il s'agit de combattre le Front national mais est intellectuellement et idéologiquement absente du débat politique. La stratégie du "contre" ne la mène-t-elle pas droit dans le mur ? Peut-elle réellement remporter une élection en ne s'inscrivant que dans l'opposition au FN ?

Jacques Julliard : La gauche est minoritaire en France depuis longtemps. On s'en aperçoit davantage maintenant qu'elle est pouvoir. François Mitterrand disait souvent que la gauche représentait en moyenne entre 42 % et 43% du corps électoral. Pour gagner, la gauche doit donc  profiter soit d'alliés, soit de divisions d'adversaires, soit  d'un président à la personnalité qui déborde sur celle de ses cadres. Le discours de Hollande est aujourd'hui  très personnel. Au moment venu, c’est-à-dire la prochaine élection présidentielle, il présentera son programme et non celui du Parti socialiste.

La tactique de dénonciation du FN était à court-terme nécessaire mais pour vraiment le combattre, il faut lui opposer une réelle idéologie. Mais quand on est au pouvoir il faut aller plus loin et faire en sorte que le FN soit inutile, qu'il n'ait plus raison d'être. La gauche ne sait pas le faire.  

Olivier Rouquan : Le FN a 62 élus aux dernières élections départementales et on ne parle que de lui. Il a certes fait beaucoup de voix au premier tour, c’est une première, etc. Mais il monopolise presque tout le débat public. Pendant la campagne, au lieu de débattre sur des sujets de fond, par exemple sur la question de la protection sociale, l'un des piliers de l'action des départements, les partis de gouvernement s’écharpent sur le FN, alors que précisément sur les questions de RSA, de dépendance, etc., les projets de l'UMP et du PS ne sont pas les mêmes : ils peuvent cliver sur le mode lutte contre l’assistanat/maintien de la solidarité. En évitant la confrontation, par paresse intellectuelle et facilité, ils ouvrent le boulevard au FN. Ceci nourrit en partie sa progression depuis des années.

Cette incapacité à être une force de proposition n'est-elle pas d'autant plus flagrante que le PS est actuellement au pouvoir ?

Jacques Julliard : La gauche ne redeviendra force de proposition que quand elle saura qui elle représente vraiment. La gauche n'a de sens que si elle représente des aspirations populaires. Or, la gauche est en train de changer de nature. Elle s'est longtemps voulue le parti du peuple, elle est maintenant le parti de la classe moyenne salariée et des fonctionnaires. Comment être une force de proposition quand il y a un tel flottement sur son identité ? Nous sortons d'une élection qui a consacré le tripartisme, où le FN est le parti populaire, la droite le parti des forces dominantes et de l'économie et la gauche le parti des classes moyennes salariées et des bobos. Peut-on faire un programme commun aux classes populaires et aux bobos ? Voilà la question qui se pose à la gauche. En 1936, le Front populaire était l'alliance de la bourgeoisie, représentée en particulier par le parti radical, et des couches populaires, représentées par le SFIO et le Parti communiste. Aujourd'hui, on a du mal à imaginer un programme commun entre des classes moyennes mondialisées, à l'aise dans la nouvelle économie mondiale, et des classes populaires victimes de la mondialisation. Les aspirations sont contradictoires.

Que peut proposer la gauche aujourd'hui ?

Olivier RouquanLa gauche doit rappeler qu'il faut essayer de s'adapter au monde en restant ouvert; la France est un pays dont l’identité nationale s’est construite autour de l'universalisme, de l’intégration des immigrés. La gauche a un devoir républicain de promouvoir clairement et pas honteusement, une conception ouverte de la Nation. Elle a le devoir d’affronter le FN et l'UMP “droitisée” sur ses questions, sans aucun complexe. A l'heure de la mondialisation, qui peu sans mentir outrageusement, faire croire que l'on peut hermétiquement fermer les frontières et contrôler tous les flux de capitaux ?

La gauche doit aussi nettement rappeler que tout n’est pas identitaire. La question économique et sociale de l’égalité doit refaire débat. Il faut qu’elle reparle “classes sociales”, clairement: la encore, la gauche “honteuse”, cela doit se terminer. Les enjeux sont sociaux et économiques: la progression des inégalités, les poches de pauvreté, etc. Il faut renouveler le discours sur la solidarité, et sa boîte à outil publique.

La social-démocratie tirait autrefois sa force de sa capacité redistributrice. Est-ce toujours le cas aujourd'hui ? Le défi du monde actuel n'est-il pas la création de richesse ?   

Jacques Julliard : Oui mais c'est beaucoup plus difficile. La social-démocratie n'a pas disparu, tout le monde y aspire dans le monde, des ouvriers chinois aux ouvriers brésiliens. Ils demandent de la sécurité et de la providence sociale. La social-démocratie n'a jamais eu autant d'actualité mais le rapport de force est tel que le capitalisme mondialisé a très bien compris qu'il pouvait se passer d'un partenaire social. Jusqu'aux Trente Glorieuses, c'étaient les syndicats qui faisaient les programmes des partis par la négociation sociale. La négociation sociale rassemblait le patronat, les salariés et l'Etat. Aujourd'hui, les salariés sont extrêmement faibles. Le capitalisme est en train de gouverner le monde tout seul sans avoir à négocier jour après jour avec eux.

La création de richesses et leur partage a toujours été un défi majeur. Mais il ne faut pas mettre exclusivement l'accent dessus. Dans la redistribution des richesses mondiales, la part du salariat a diminué depuis une vingtaine d'années d'au moins une dizaine de points. Le rapport de force n'est pas favorable aux forces de gauche, divisées entre le prolétariat du tiers-monde qui attend de la social-démocratie et les classes salariées de nos pays développés qui attendent un élargissement de leur pouvoir d'achat. Il y ainsi concurrence sur le terrain de l'emploi et des salaires. Il y a une faiblesse structurelle de la gauche partout dans le monde. La social-démocratie scandinave n'a plus le rayonnement qu'elle avait il y a 30 ans, par exemple.

Olivier Rouquan : La social-démocratie ne procède pas uniquement de l'Etat redistributeur. Il faut se rappeler que dans les programmes socialistes, il y avait autrefois toute une partie qui s'intéressait à la production, à la politique industrielle; il s'agissait aussi de réorganiser l'outil de travail dans l’intérêt  collectif. La gauche doit avoir un discours sur l'entreprise qui ne soit pas improvisé mais structuré. La social-démocratie, ce n'est pas que prélever de l'impôt et créer des allocations. la gauche est en partie en crise parce qu'elle ne tire pas au clair les nouveaux dispositifs de l'action sociale, adaptés à notre époque. Elle n'est pas assez inventive car la sociologie de ses élites est devenue trop homogène; elle ne permet pas suffisamment à la classe moyenne, y compris éduquée, d’accéder aux postes décisionnels. Il n’y a plus d'idées créatrices. Mais il faut arrêter avec ces grandes déclarations sur la fin de la social démocratie, la proclamation de l’avènement du social-libéralisme, etc. Ces grands mots sont vides, ou alors, il faut les prendre au sérieux, c'est à dire dans toute leur complexité.

Du point de vue de l'identité, le corpus de la gauche empreint d'une idéologie post-nationale est-il encore adapté aux défis du monde actuel ?  

Jacques Julliard : Il y a deux gauches : l'une, anti-européenne, est redevenue nationaliste, comme le Front de Gauche. L'autre est la bourgeoisie mondialisée exprimée par la majorité socialiste. Entre les deux, il n'y a rien. A chaque fois que la gauche se réfugie dans le nationalisme, elle travaille pour l'extrême-droite. La gauche n'a jamais été capable de capitaliser à son profit le nationalisme. Une bonne partie de l'opposition à l'Europe, notamment à Maastricht, était de gauche. Mais celle qui a capitalisé cela, c'est Marine Le Pen…

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