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Derrière le cas STX, le redoutable défi des transferts de technologie de l’industrie française quand des entreprises stratégiques passent sous bannière étrangère
©LOIC VENANCE / AFP

Alerte à la naïveté ?

Après un feuilleton qui aura duré des mois sur l'avenir des chantiers de Saint-Nazaire, le gouvernement a décidé d'une nationalisation temporaire.Une décision à saluer.

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent

Loïk Le Floch-Prigent est ancien dirigeant de Elf Aquitaine et Gaz de France, et spécialiste des questions d'énergie. Il est président de la branche industrie du mouvement ETHIC.

 

Ingénieur à l'Institut polytechnique de Grenoble, puis directeur de cabinet du ministre de l'Industrie Pierre Dreyfus (1981-1982), il devient successivement PDG de Rhône-Poulenc (1982-1986), de Elf Aquitaine (1989-1993), de Gaz de France (1993-1996), puis de la SNCF avant de se reconvertir en consultant international spécialisé dans les questions d'énergie (1997-2003).

Dernière publication : Il ne faut pas se tromper, aux Editions Elytel.

Son nom est apparu dans l'affaire Elf en 2003. Il est l'auteur de La bataille de l'industrie aux éditions Jacques-Marie Laffont.

En 2017, il a publié Carnets de route d'un africain.

Voir la bio »

Après avoir tempêté depuis des mois contre  l’abandon progressif de tout notre savoir-faire industriel, et en particulier celui d’Alstom-Energie au profit des américains de General Electric, après avoir dénoncé cet accord préélectoral bizarre confiant les clefs du chantier naval de Saint-Nazaire aux Italiens de Fincantieri je ne boude pas mon plaisir d’entendre le gouvernement de mon pays parler de souveraineté à propos de l’avenir d’ installations uniques en Europe de ce qui s’est appelé « Les Chantiers de l’Atlantique ». Si cette longue histoire pleine d’embuches et de démissions vers la Norvège d’abord, puis la Corée, pouvait trouver une issue favorable j’espère bien qu’aucun français ne viendra contester les décisions prises. 

Ce qui se joue là comme ailleurs dans l’industrie « traditionnelle » ce n’est rien de moins que notre avenir collectif, France et Europe, par rapport aux USA, à la Chine et aux autres régions du monde. La souveraineté elle est d’abord scientifique, technique et industrielle, elle est la garantie d’un espoir, celui de maintenir notre niveau de vie dans le futur. Et ce n’est pas si facile à imaginer entre un colosse américain à l’adaptabilité extraordinaire et des appétits féroces de pays à bas couts de main d’œuvre, il faut bien réfléchir aux décisions que nous prenons et à leurs conséquences réelles après les grandes incantations sur l’emploi développées par les politiques et orchestrées par les médias. 

Le vrai dossier du chantier français et de son alliance éventuelle avec le chantier italien est lié aux liens de ce dernier avec les chantiers chinois. Les installations de Saint-Nazaire ont leurs concurrents en Asie, pas dans la péninsule italienne, et nous ne pouvons pas donner la clef de nos compétences à une entreprise qui a déjà oblitéré son avenir en effectuant des transferts de technologie en Asie sans contrôle de notre part. Le problème de notre appareil productif français et européen est celui de savoir comment on veut effectuer les transferts de technologie exigés par nos clients des autres continents. 

En ce qui concerne Airbus et l’aéronautique, les européens se sont unis pour faire face aux américains et aux chinois. Ils ont passé des accords avec la Chine sur des appareils existants et ils ont maintenu le haut niveau des recherches pour les générations futures. Peut-être les Chinois iront plus vite qu’on ne le pense, l’avenir le dira, mais les négociateurs européens ont visé à protéger notre avenir 

Toujours dans l’aéronautique, Dassault Systèmes a récemment passé un accord sur trente ans avec Boeing, on peut considérer que conserver la maitrise de la situation de ses logiciels  sur une période aussi longue montre la pugnacité des négociateurs…et leur compétence ! 

 DCNS en signant un accord avec les Australiens sur des sous-marins classiques sur une longue période engage également un transfert de technologies maitrisé même si la construction des bâtiments sera confiée à l’industrie australienne. 

Dans les accords avec l’Inde concernant l’avion de combat Rafale, Dassault Aviation a également soigné le transfert de technologies et le long terme. 

A contrario lorsque le gouvernement finit par accepter la maitrise complète du département énergie d’Alstom par General Electric on s’aperçoit presque immédiatement que l’avenir des technologies n’est plus maitrisé. EDF a beau essayer de retenir les brevets des turbo-alternateurs Arabelle indispensables pour la filière nucléaire française, tout est balayé en un tour de main, comme les dizaines d’années passées à devenir le premier constructeur mondial de turbines hydrauliques, General Electric est prêt à les vendre ! Lorsque l’on est dépassé techniquement on peut décider d’abandonner le combat, mais lorsque ce n’est pas le cas, il est de l’intérêt national de conserver la propriété du savoir et de la fabrication ! Et dans ce cas de figure cet intérêt national a été bafoué, c’est une évidence, pas suffisamment dénoncée à mes yeux . 

Il est clair que dans les années à venir, pour rester compétitif contre les USA et la Chine, il va falloir s’allier avec d’autres industriels européens dans ce type de secteur très capitalistique, très mondialisé, très gourmand de science et de technique…et donc le fait d’avoir des absorptions ou des conglomérats européens ne parait pas absurde, mais encore faut-il que les partenaires industriels européens aient la même conception que nous de l’exigence de souveraineté nationale et européenne. 

Dans le cas des italiens à l’égard des grands navires de surface, paquebots de croisière ou porte-avions, nous ne savons pas comment ils envisagent la poursuite de leurs accords avec les chinois. Souhaitent-ils un transfert de technologies des grands paquebots, par exemple, puisqu’ils ne possèdent pas, eux, les installations adéquates ? Ceux qui vous disent qu’ils savent vous trompent, on n’en sait rien et c’est donc sur ce point essentiel qu’une clarification était nécessaire. Pouvait-elle venir de l’Etat Italien ? Dans l’état actuel, de la politique italienne, non, il faut regarder dans le détail les relations envisagées et mettre, en ce qui nous concerne les verrous. En attendant il nous faut garder la maitrise de notre outil. Bien sur les erreurs commises en cédant les chantiers aux norvégiens puis aux coréens étaient très graves, mais maintenant que le pays est bien conscient de l’importance de la construction navale pour son avenir, il fallait en avoir le cœur net ! 

De la même façon l’idée de rassembler Alstom dans son ensemble et Siemens était la bonne idée européenne, mais elle butait sur un conflit d’egos et une différence d’appréciation sur l’avenir du secteur nucléaire. Siemens avait suivi la politique allemande d’abandon du nucléaire, Alstom était déterminé à accompagner la filière française. C’est cette différence dans la vision du futur qui a été un frein à la fusion ou au rapprochement. 

On voit donc qu’il y a un préalable essentiel au rapprochement européen de structures industrielles, c’est une philosophie commune de l’avenir et donc des transferts de technologies à la fois indispensables et dangereux aussi bien que de l’avenir même du secteur industriel lui-même. Banquiers et Médias adorent les grandes fusions-acquisitions, en tant qu’industriel je suis moins enthousiaste, j’aime les rapprochements qui finissent par des rapports sains entre égaux et qui sont les racines des véritables succès. J’ai aimé cette dernière année l’aboutissement des bonnes relations entre Technip et FMC , entre Air  Liquide et Airgas , plutôt que des mariages brutaux aux orchestrations tonitruantes de longues fiançailles à l’ancienne ! L’Aéronautique européenne a fini par avoir une vision commune de l’avenir, et Airbus est un succès, dans la stratégie des drones militaires, Dassault et son partenaire allemand ont l’air d’avoir une même approche, profitons -en. Mais la bonne industrie c’est plus compliqué qu’un assemblage de chiffres, il y a des hommes et il y a donc partage. 

Intérêt national, intérêt européen, propriété des technologies et nécessité d’avoir toujours un ou deux coups d’avance quand on exécute un transfert, tels sont quelques principes de base pour s’assurer d’un avenir dans ce monde devenu de plus en plus difficile. Pour une fois que l’industrie a l’air défendue, réjouissons-nous, mais c’est l’heure aussi de se poser les bonnes questions, comment nous voyons-nous dans le futur, c’est-à-dire avec quel secteur de production et quelle maitrise, encore un effort !          

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