Derrière la fascination de la gauche radicale pour le Hamas, ses aspirations coupables à un régime autoritaire<!-- --> | Atlantico.fr
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Il y a à l’évidence un aveuglement de la gauche radicale sur la réalité de l’islamisme, aveuglement qui est la caricature de l’ethnocentrisme démocratique et occidental.
Il y a à l’évidence un aveuglement de la gauche radicale sur la réalité de l’islamisme, aveuglement qui est la caricature de l’ethnocentrisme démocratique et occidental.
©Amy OSBORNE / AFP

Aveuglement

Il y a un aveuglement de la gauche radicale sur la réalité de l’islamisme, aveuglement qui est la caricature de l’ethnocentrisme démocratique et occidental.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Hugo Houbart

Hugo Houbart

Hugo Houbart est docteur en science politique.

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Atlantico : La fascination de la gauche radicale pour le Hamas est-elle révélatrice d'une forme de naïveté et d'aveuglement de notre part ?

Hugo Houbart : La relativisation des crimes commis par des organisations terroristes contre Israël n’est pas nouvelle. Dès 1972 des militants de la Ligue communiste, ancêtre du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), témoignaient déjà de sympathie pour les terroristes de Septembre Noir après la prise d’otage des Jeux olympiques de Munich. Ce qui frappe en revanche, c’est la polarisation du débat public français. Des idées extrêmes, autrefois cantonnées aux marges, sont désormais massivement diffusées sur les réseaux sociaux et raisonnent auprès d’individus en perte de repères. L’attentat de 2015 contre Charlie Hebdo permettait déjà de prendre la mesure de l’ambiguïté de certaines organisations d’extrême gauche et d’une petite partie de la population française qui relativisaient la gravité de l’attaque. 

Eric Deschavanne : L’équivoque islamogauchiste tient au fait que la gauche propalestinienne combat Israël au nom de l’égalité en droits, de l’idée moderne du droit à l’autodétermination des peuples, tandis que les islamistes combattent Israël au nom de l’inégalité en droits des musulmans et des infidèles, avec pour projet l’éradication de la présence juive en terre d’islam. Il y a à l’évidence un aveuglement de la gauche radicale sur la réalité de l’islamisme, aveuglement qui est la caricature de l’ethnocentrisme démocratique et occidental. Il faut être en effet naïf et aveugle pour Interpréter les massacres du 7 octobre comme étant l’expression, certes un peu excessive, d’une résistance armée contre l’injustice faite au peuple palestinien. Les procédés mis en œuvre, ainsi du reste que les manifestations de joie et d’approbation enthousiastes de la « rue arabe » témoignent de la présence d’une haine exterminatrice à l’endroit des Juifs. 

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Les massacres du 7 octobre ont eu pour effet de dissiper l’équivoque islamogauchiste dans une partie de la gauche. Cet effet de dévoilement n’atteindra sans doute pas la gauche radicale. On voit même des militants LGTB manifester leur soutien au Hamas, c’est dire ! Dans le cas de Jean-Luc Mélenchon et de LFI, il ne s’agit bien sûr non pas de naïveté mais de calcul machiavélien. Dans l’actuel dispositif de tripartition politique, capter le vote musulman des quartiers populaires permet à LFI de conserver le leadership sur la gauche de la gauche et à Mélenchon de continuer ainsi à se présenter comme le leader naturel de l’une des trois forces en présence. Il n’est pas certain que la crise de la NUPES provoquée par la divergence des réactions au 7 octobre change fondamentalement la donne. 

En cédant toujours plus aux revendications de la gauche radicale dans les institutions, les médias ou les universités, nous ne faisons qu'alimenter une demande de cadre. Avons-nous dissous tous les cadres alors qu'il y a une demande de verticalité ? 

Hugo Houbart : Il paraît difficile de considérer que tous les cadres ont été dissous. La France reste malgré tout un pays stable où l’état de droit est largement respecté. Maintenant il est vrai que la mobilisation de militants de gauche radicale et le soutien d’une petite partie des Français à leurs thèses pourraient bien renforcer l’adhésion de la population aux partis conservateurs et à des décisions plus verticales. Il ne faut toutefois pas surestimer les capacités de ces groupes d’extrême gauche. Ils sont sonores et très visibles mais sont loin de représenter la majorité des opinions du pays. Le confusionnisme de la France Insoumise sur le Hamas semble déjà avoir de fortes répercussions sur l’adhésion de son électorat, sur la Nupes et être reproché par une grande majorité des Français. 

Pourquoi la gauche radicale a fait de la lutte contre le fascisme une base constitutive de son identité alors qu'aujourd'hui elle affiche une grande affinité avec le Hamas au dogme plus qu'autoritaire ? 

Hugo Houbart : La complaisance pour le Hamas d’une partie de la gauche radicale est liée à des considérations électorales. En effet, certaines organisations d’extrême gauche comptent sur le soutien communautaire d’un électorat musulman. Il devient difficile pour ces élus ou ces structures militantes de condamner ouvertement le Hamas sans enregistrer des pertes de soutien dans ces communautés. Cette évolution traduit la tentation pour la gauche radicale française de mobiliser un nouvel électorat. Le prolétariat traditionnel française s’est rarifié en raison de la grande amélioration des conditions matériels de vie de la population entre 1945 et 2000. Une bonne partie des électeurs populaires ont vu leur niveau de vie grandement augmenter et se sont tournés vers de nouvelles formations politiques plus en phase avec leur situation. Mais la complaisance pour le Hamas s’inscrit également dans un narratif conforme à l’idéologie d’une partie de la gauche radicale. Pour certains militants d’extrême gauche, le rejet d’Israël et la défense de la Palestine s’inscrit dans la continuité de la lutte contre l’impérialisme et l’opposition aux Etats-Unis d’Amérique. Plus subtilement, c’est parfois un moyen de lutter contre un capitalisme que l’on imagine aux mains d’une communauté juive dans la continuité des mythes antisémites du XIXème et XXème siècle. Toutefois, toutes les organisations de gauche radicale ne font pas preuve de la même complaisance. Le Parti communiste français a par exemple clairement condamné les attaques terroristes. 

La gauche radicale, c'est la tentation de l'autoritarisme ou du fascisme ?

Hugo Houbart : Tout d’abord, il faut rappeler que l’autoritarisme, c’est-à-dire un mode de gouvernance basé sur l’imposition des décisions par un individu ou un groupe sans possibilité de les contester, n’est pas la même chose que le fascisme. Ensuite, toutes les organisations de gauche radicale ne sont pas favorables à des solutions autoritaires. Rappelons que l’expression gauche radicale désigne, au sens large, des organisations souhaitant modifier la racine du système politique français et son fonctionnement pour faire advenir une société prétendument plus égalitaire.  Certains groupes défendent l’instauration d’une société autogérée et basée sur une grande horizontalité des processus de décision. D’autres groupes en revanche souhaitent s’affranchir de la démocratie, prétendument aux mains de la bourgeoisie et des capitalistes, pour instaurer par la force un nouveau régime qu’ils imaginent plus égalitaire. Historiquement, les théories marxistes léninistes ont pu être instrumentalisées par des régimes autoritaires présentant des similitudes avec le fascisme. En effet, le fascisme peut être considéré comme une idéologie totalitaire, militariste et nationaliste visant à s’affranchir d’une modernité jugée décadente pour permettre l’émergence d’un homme nouveau viril, fort et violent inspiré d’un passé fantasmé. Le stalinisme, le maoïsme et les Khmers rouges, ont présenté des aspirations similaires en contrôlant la totalité de la vie des individus et en cherchant à les rééduquer pour atteindre la figure du prolétaire parfait. La gauche radicale aspire à l’égalité mais pour atteindre cet idéal, des mesures extrêmes sont parfois envisagées, des alliances douteuses réalisées et le rêve d’une société sans classe peut être confisqué par la soif de pouvoir de petits groupes violents. Cela ne veut toutefois pas dire que toutes les organisations d’extrême gauche aspire à l’autoritarisme ou au fascisme.      

Eric Deschavanne : Il faudrait d’abord définir ce qu’on entend par « gauche radicale », et distinguer pour cela deux aspects, l’idéologie et la technique de conquête du pouvoir à laquelle recourt LFI. Sur le plan idéologique, la « gauche radicale » s’identifie aujourd’hui à l’écologie anticapitaliste et décroissantiste et/ou au wokisme, les mouvements néo-féministes, LGBT+, décolonialistes, etc. Elle est le produit d’une mutation idéologique amorcée dans les années 1980-90, suite à la crise de la foi marxiste qui a précédé et accompagné l’effondrement de l’Union soviétique et du « socialisme réel ». 

De l’ancienne extrême-gauche, la nouvelle gauche radicale conserve l’héritage de l’anticapitalisme, mais le projet révolutionnaire, le projet d’une rupture violente avec l’ordre économique et politique existant, a quasiment disparu. On le trouve encore dans l’écologie politique, mais la « radicalité » vise avant tout à changer les mentalités afin de promouvoir la « sobriété » compatible avec la décroissance, en commençant d’ailleurs par la réforme personnelle (ne plus manger de viande, rouler à vélo, etc.). Sur le plan strictement politique, l’écologie n’a jamais été autre chose qu’un appoint apporté à des partis de gouvernement libéraux ou socio-démocrates peu soucieux de réformer le capitalisme. René Dumont en 1974, grand admirateur de la Chine de Mao, était porteur d’un projet potentiellement révolutionnaire et totalitaire. Aujourd’hui, un acteur politique de l’écologie sait qu’il va devoir choisir entre l’ambition et la marginalité, le renoncement opportuniste à la radicalité et la radicalité du discours politiquement impuissante. L’écologie produit certes des effets politiques, une taxe carbone par exemple, qui peuvent être jugés « autoritaires ». On demeure toutefois très loin de la révolution ou du fascisme. 

La radicalité woke ne vise quant à elle nullement la subversion du capitalisme. Comme on le voit notamment aux États-Unis, mais pas seulement, le wokisme le plus radical peut être un argument marketing exploité par les entreprises capitalistes les plus puissantes. La gauche radicale woke n’a en outre aucune portée révolutionnaire sur le plan politique : le féminisme woke est le féminisme d’après la révolution féministe, l’antiracisme woke est l’antiracisme d’après l’abolition des lois et des discriminations racistes, le décolonialisme woke promeut la décolonisation après la décolonisation, etc. Quelle est la raison d’être de cette « radicalité » sans traduction politique révolutionnaire ? Là encore, l’objectif est le changement des mentalités, au moyen de la « déconstruction » de l’héritage culturel, de tout résidu de tradition.

La dimension réellement anti-libérale de l’idéologie woke est son bellicisme intrinsèque. Au regard de la gauche radicale, la société est constituée de rapports de domination irréductibles. Pour l’extrême-gauche marxiste, le rapport de domination structurant était la lutte des classes générée par le système capitaliste et que la révolution avait pour projet d’abolir. La gauche radicale post-marxiste se réfère à des rapports de domination qui transcendent le capitalisme moderne et dont l’ancrage est culturel. Un ancrage aux racines historiques profondes : domination masculine, domination de la nature, de l’animal, domination de la norme hétérosexuel, domination de la vision occidentale du monde, domination de la race blanche, etc., sont l’œuvre de la civilisation, mais on ne change pas la civilisation par décret politique. Le wokisme conserve une dimension de violence révolutionnaire, mais qui demeure confinée à un niveau infra-politique : les phénomènes de censure, de cancel culture, de lynchage médiatique, qui se conçoivent comme une légitime défense contre les « microagressions », la « violence symbolique » ou toutes sortes de discriminations « systémiques », sont en un sens « autoritaristes », sans être proprement politiques. On peut parler de « fascisme » pour les caractériser, mais cela reste une image. 

Cette dimension révolutionnaire de la radicalité woke qui s’investit dans le combat culturel se veut en un sens plus ambitieuse qu’une révolution strictement politique. Mais elle est politiquement inoffensive, et se voit du reste aisément récupérée par le libéralisme, sur le plan du discours à tout le moins : l’inclusivisme est un argument, électoral ou commercial, qui paraît s’inscrire dans le prolongement du libéralisme et de l’égalitarisme modernes et qui convient au démagogue ou au commerçant contemporain. 

La gauche radicale woke souffre en outre d’un autre handicap, politiquement rédhibitoire et au premier abord incompatible avec « l’autoritarisme » et le « fascisme » : elle promeut la démocratie participative contre la démocratie représentative, c’est-à-dire la souveraineté de l’individu plutôt que la souveraineté du peuple, ce qui en fait une force politique paradoxale, une force politique par nature antipolitique, qui ne s’assume pas comme force politique. La préférence individualiste et égalitariste pour l’horizontalité, qui se manifeste dans les manifestations les plus « politiques » de la gauche radicale, genre Nuit Debout, conduit à mettre en place des procédures visant à empêcher l’émergence de leaders susceptibles de jouer un rôle représentatif. La prééminence de cette logique explique notamment la faiblesse congénitale des Verts.

La France insoumise de Mélenchon se distingue en incarnant une autre conception - politique au sens strict - de la « gauche radicale ». Mélenchon entend être le leader charismatique d’un « populisme de gauche » qui joue le jeu de la démocratie représentative dans une perspective de conquête du pouvoir. La démarche est inspirée de l’interprétation par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe du « moment populiste » des démocraties contemporaines. Le diagnostic est en gros que l’effondrement du socialisme réel, le déclin du marxisme et de la social-démocratie ont laissé place à l’illusion du consensus autour de l’ordre néo-libéral. Des partis de gouvernement se succèdent depuis au pouvoir, gouvernant au nom de l’expertise sans plus se soucier de prendre en considération le mécontentement populaire ni de porter un projet d’émancipation démocratique. Dans cette perspective, le populisme apparaît être la réponse appropriée à la crise de la représentation : le populisme consiste à rompre avec l’illusion du consensus au moyen d’une rhétorique « agonistique », une rhétorique guerrière qui divise la société en deux camps, le peuple et l’élite, « ceux d’en bas » et « ceux d’en haut », ceux qui ont le pouvoir. Pas de représentation sans discours belliciste ostentatoire, la violence du discours étant la condition de possibilité de l’efficacité de la représentation. Voilà l’idée. 

La stratégie du « populisme de gauche » conduit-elle nécessairement à l’autoritarisme et au fascisme ? Pas davantage que le populisme de droite à mon sens. Dans l’un et l’autre cas, on a affaire à des forces politiques qui s’inscrivent dans le jeu de la démocratie représentative et qui n’ont pas d’ambition révolutionnaire, en l’absence de projet crédible d’un ordre nouveau. Le populisme de gauche pâtit en outre d’une contradiction interne qui constitue un frein aux penchants autoritaristes de son « leader maximo ». Il vise à « construire le peuple » non à partir d’un seul rapport de domination structurant (la « lutte des classes »), mais sur la base de la myriade des luttes horizontales hétérogène. Son ambition est de fabriquer une volonté collective en opérant la convergence des luttes, en mariant les guerres du wokisme à la fois à l’écologie politique, aux mécontentements socio-économiques et au ressentiment musulman fédéré par l’islamisme (critique de l’islamophobie de l’Occident et des valeurs libérales occidentales). On voit à peu près comment cela peut fonctionner pour construire un « vote protestataire », mais des contradictions internes peuvent surgir à tout moment, a fortiori à l’approche éventuelle du pouvoir. Pour crédibiliser l’affaire, il faut un leader charismatique, cynique, habile et manipulateur, mais dont la force ne peut-être que précaire en raison de la maximisation de l’ambigüité à laquelle il lui faut en permanence recourir. 

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