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Dérive sectaire de leur ado : l'épée de Damoclès qui plane au-dessus des parents depuis les attentats de novembre
©Reuters

Bonnes feuilles

Comprendre et résoudre la crise d'adolescence. Un chapitrage clair et dynamique permet d'envisager toutes les problématiques auxquelles les parents peuvent être confrontés : comment rendre les crises constructives, comment dénouer les relations mère/fille - père/fils, les limites à poser pour franchir ce cap, l'intimité de l'adolescent, l'apparition de la sexualité, les phobies scolaires, le risque d'égarement, l'anorexie, l'attractivité du monde virtuel, etc. Extrait de "Je suis ado et j'appelle mon psy", de Thierry Delcourt, aux éditions Max Milo 1/2

Thierry Delcourt

Thierry Delcourt

Thierry Delcourt est médecin psychiatre, pédopsychiatre et psychanalyste. Ses recherches concernent la psychiatrie clinique et sociale ainsi que le processus de création artistique. Il s'occupe de formation en psychiatrie et dans le domaine de la créativité. Il est rédacteur en chef de la Revue Psychiatries et auteur de plusieurs ouvrages aux Éditions L’âge d’homme et aux Éditions Actes Sud. Il est l'auteur de "Je suis ado et j'appelle mon psy (éditions Max Milo, 2016).

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Les adolescents face au terrorisme

Quels parents n’ont pas souri, amusé, séduit par les premiers poils d’une barbe clairsemée qu’arborait leur fils, ou le keffieh qu’il adoptait, mode oblige. Jusqu’à maintenant, la tolérance était de mise face à son ado rebelle, fille ou garçon, prêt à en découdre avec ses parents sur des convictions parfois radicales, glanées au fil des rencontres et des discussions animées entre jeunes à la terrasse des cafés, entre bière et fumée. « Il faut que jeunesse passe », disait-on. C’est encore vrai, et il ne faudrait surtout pas en venir à stigmatiser ces excès, au risque de figer une provocation dans un dogme guerrier. De plus, ces convictions ne sont pas dénuées de logique, d’humanité et de vérité. Même maladroites, elles sont l’ébauche d’une conscience politique qui doit mûrir, y compris en se dissociant de valeurs se voulant universelles, enseignées à l’adolescent.

Mais depuis les attentats de Paris le 13 novembre 2015, l’angoisse est là, en chacun, avec la conscience aiguë d’une énorme responsabilité qui incombe aux parents, celle d’éviter une dérive sectaire de leur ado, celle d’être attentif à son égarement même momentané, dont on sait qu’il est propice à un embrigadement cyniquement organisé du style Daech, usant de tous les moyens dont l’adolescent est familier, entre réseaux sociaux, forums et jeux virtuels. Mieux vaut prévenir !

Ainsi, depuis le 15 novembre, je reçois des parents qui viennent me présenter leur adolescent. Ils sont inquiets de son indifférence ou de ses propos agressifs et haineux, lui qui trouve là, en général, un moyen de se défendre de son angoisse, ou de se démarquer de cette vague de douleur qui nous bouleverse à l’unisson. Pour autant, il n’est pas question de banaliser ces demandes, d’autant que l’on ne peut écarter un effet traumatique que l’ado enfouit en lui, et dont on sait qu’il ressortira un jour ou l’autre dans de mauvaises conditions, y compris dans une radicalisation.

Je reçois Camille après avoir entendu la préoccupation de ses parents. Il m’explique qu’il savait que ces attentats allaient avoir lieu. Il l’avait senti sur les réseaux sociaux et les sites qu’il fréquente parfois, attiré par des images de guerre et d’exercices de combattant. Frêle, le regard fuyant, très mal à l’aise, il dit se sentir coupable d’avoir regardé ces images et de voir ensuite tous ces morts qui auraient pu être ses frères, ses amis ou lui-même. Il ne sait plus où il en est car il a entendu tellement de choses qui lui sont « rentrées dans la tête, mais j’ai compris qu’on voulait m’embrouiller », dit-il. Camille est choqué, le chaos en lui ; je le comprends quand il parle de tout ce qu’on a instillé dans son psychisme, que nous nommons pudiquement « théorie du complot », mais qui relève, disons-le, du délire paranoïaque contagieux pour des âmes sensibles. Je le reçois plusieurs fois, le temps qu’il se libère de ces élucubrations destinées à l’embrigader. Pour Camille, l’électrochoc des attentats, la vigilance des parents et l’opportunité d’en parler, de se déculpabiliser et se libérer, écartent tout risque. Il est « vacciné ». Mais qu’en est-il pour tous ceux qui, ce n’est pas si rare, fréquentent ces sites pervers qui abusent de leur quête d’héroïsme, de leur besoin de se réaliser, de se sentir utiles, en quête d’un leader, voire d’une famille ? La force de l’image, des messages insidieux et subliminaux, la séduction de jeunes, filles et garçons, beaux, sympathiques et de leaders charismatiques, la sollicitation de leur bon cœur pour une bonne cause, tout cela agit tel un lavage de cerveau, pour le dire trivialement, mais en fait, s’infiltre dans l’imaginaire de l’adolescent en développement comme un virus agissant sur ses défenses immunitaires et son comportement neuropsychique.

Les nouvelles technologies numériques et la facilité d’utilisation d’un réel augmenté transformant le factice en réalité vraie dans l’espace virtuel donnent une tout autre dimension à ce qui a déjà existé, des Jeunesses hitlériennes à celles du stalinisme ou du maoïsme. Les techniques de manipulation cyniquement et savamment calculées ont un impact redoutable sur les enfants et les adolescents, par définition vulnérables, même lorsqu’ils semblent bien campés dans leur existence. A fortiori quand ils sont instables, en quête éperdue d’identité, ou qu’ils ont pris des voies de garage dont ils ne parviennent pas à se sortir, entre drogue et autres addictions, ou désespérés de leur apathie, ou submergés par une amertume affective, propice à la soif de vengeance. Daech a bien compris ça et surfe sur cette vague de doute et de flottement identitaires. Le virtuel galvanisant qu’il distille, porteur d’espoir, de force, de sens et de revanche, fait mouche pour nombre de ces adolescents, sans distinction de classe et d’intellect. « Si tu nous rejoins, le monde t’appartient », « Tu quitteras un monde dépravé pour un monde de frères qui luttent ensemble », « Tu trouveras enfin un sens à ta vie », «Tu seras plus fort et tu pourras imposer la loi de Dieu », voilà quelques phrases que Camille m’a citées lors de nos entretiens, et qui avaient fait écho en lui.

Le métier de psychiatre oblige à sortir au plus vite de la sidération pour entendre celle des victimes touchées directement ou indirectement par le drame. Leur souffrance est immense et le risque de passage à l’acte suicidaire ou agressif est présent, car il leur faut agir pour dénouer l’extrême tension qui les traverse. Les réseaux sociaux en sont le témoin, chargés de douleur et de haine, d’incitation à venger ceux qui sont morts. Dès les premiers jours après les attentats du 13 novembre, j’ai aussi reçu des ados qui m’avaient consulté par le passé, qui allaient mieux et avaient logiquement interrompu leur psychothérapie. Puis, tout bascule, avec des idées suicidaires dont il faut prendre aussitôt la mesure car on sait le risque de passage à l’acte quand la douleur morale est forte, même si elle est brève.

Marine, 18 ans, que j’avais suivie entre 13 et 15 ans pour un début d’anorexie et des impulsions à se scarifier, revient quatre jours après les attentats. Elle m’explique qu’elle a peur car elle « pleure pour rien » et a « envie de se foutre par la fenêtre ». Je prends cela très au sérieux et demande à rencontrer ses parents, très occupés et qui n’ont pas parlé avec elle après le drame. Marine le vit seule, dans sa chambre, uniquement en contact SMS avec ses copines, car elle a été quittée par son ami depuis un mois, « mais ça, je n’y pensais plus », dit-elle. Il n’empêche que la vague dépressive/impulsive me paraît massive et emporte ça aussi sur son passage, comme un tsunami. Je l’écoute, mais surtout, je demande à ses parents de ne pas la quitter, de prendre soin d’elle, et pour cela, je prescris un arrêt de travail à sa mère, seule à accepter ce « sacrifice ». En quelques jours, la situation s’apaise. Marine reprend la maîtrise relative de ses affects.

Extrait de "Je suis ado et j'appelle mon psy", de Thierry Delcourt, publié aux éditions Max MiloPour acheter ce livre, cliquez ici

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