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Dérapage du déficit : entre croissance plus faible que prévue et stratégies d’évitement de l’impôt, à quoi sont dues les 3,5 milliards d’euros de recettes fiscales manquantes ?
©Reuters

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Les rentrées fiscales ont été moins bonnes que prévues sur 2013 avec un manque à gagner de 3,5 milliards d'euros et ce malgré 600 millions de recettes supplémentaires sur la TVA. Interrogé sur cette question, Pierre Moscovici s'est défendu en déclarant que cette baisse était "liée pour l'essentiel au recul de la croissance".

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Peut-on essayer de définir quelle est justement le poids de la faible croissance pour expliquer le manque à gagner dans les recettes fiscales ?

Philippe Crevel : Durant l’été 2012, dans l’euphorie post-électorale, le gouvernement avait choisi un taux de croissance de 0,8% pour l’élaboration du projet de loi de finances 2013. Ce choix avait été jugé très imprudent par les économistes et les institutions internationales mais l’époque était au changement. Ce taux arbitraire avait comme avantage de présenter budget avec déficit public ramené à 3% du PIB. Dès le mois de février 2013, le taux de croissance a dû être révisé à la baisse et l’objectif de déficit abandonné. Le gouvernement a ainsi été amené à abaisser le taux de croissance à 0,1% et fixé le déficit public à 4,1%. Automatiquement, une moindre croissance génère un manque à gagner fiscal. Prévues à 298,6 milliards d’euros elles ne devraient pas dépasser 287,8 milliards d’euros en 2013. Il est admis qu’un écart d’un point de croissance provoque une perte d’au moins 10 milliards d’euros de recettes. Or, dans la situation mensuelle budgétaire du mois de novembre dernier, le ministre du Budget admet que les recouvrements d’impôts sont en moins-value par rapport à la prévision de recettes retenue par la loi de finances rectificative pour 2013 qui a été élaboré à l’automne. Soit le gouvernement a mal évalué l’impact du ralentissement économique, soit il y a un problème de rentrées fiscales, soit la France n’est pas sortie de la récession. Les trois explications se chevauchent sans nul doute.

A travers de telles déclarations, le gouvernement semble totalement dissocier politique fiscale et croissance. La hausse quasiment atone du PIB n'est-elle pourtant pas corrélée à la hausse des impôts de ces 18 derniers mois ? Dans quelles proportions ?

La loi de finances rectificative pour 2013 prenait en compte la révision à la baisse du taux de croissance et avait porté le déficit de l’État de 62 à 72 milliards d’euros. Les moins-values fiscales du mois de novembre semblent aller au-delà de l’ajustement de la croissance. Il ne faut pas perdre de vue que toute augmentation d’impôts réduit la croissance en réduisant le pouvoir d’achat et diminuant le taux de marge des entreprises. De ce fait, toute augmentation des impôts réduit leur assiette. Pour une augmentation des prélèvements 10%, le gain réel serait de 4 à 6% selon les impôts. En 2012, les prélèvements ont augmenté de près de 40 milliards d’euros pour 2012 et 2013. Cette forte hausse a eu un effet plus fort que prévu sur l’activité d’autant plus que nos partenaires ont également conduit des politiques d’assainissement auto-alimentant la récession. Plus les prélèvements augmentent, plus la croissance baisse, plus les gouvernements sont contraints de les augmenter au risque de s’engager dans un cercle vicieux récessif et destructeur.

Peut-on imaginer que la pression fiscale soit arrivée à un tel niveau qu'elle décourage le travail ?

La France avec un taux de prélèvements obligatoires supérieur à 46% du PIB est certainement arrivée à un point limite. Accompagnés des Danois, nous sommes entrés en terre inconnu. Nous sommes les nouveaux cobayes de la courbe de Laffer en vertu de laquelle à partir d’un certain niveau de prélèvements, le produit de l'impôt diminue quand le taux augmente. Toute hausse génère alors une destruction de l’assiette sur laquelle s’applique l’imposition au point que les pertes sont supérieures aux gains générés par l’augmentation des taux. Dans cette situation, une augmentation de 10% des impôts provoque zéro recettes voire entraîne une diminution. Compte tenu de la diminution de l’emploi dans le secteur marchand en 2013 et la perte de pouvoir d’achat des ménages, les hausses d’impôt sont de moins en moins efficaces. Au regard des derniers statistiques du ministère de l’Économie et des Finances, il est évident que l’arme fiscale s’étiole.

Plus largement, quelles autres raisons peuvent expliquer cette baisse de rentrées fiscales ?

Une hausse des prélèvements obligatoires, surtout quand elle est forte et rapide, modifie le comportement des acteurs économiques. La suppression de l’exonération des heures supplémentaires a abouti à leur disparition diminuant à la fois les résultats des entreprises et les recettes de TVA par leur impact sur le pouvoir d’achat de leurs anciens bénéficiaires. Les majorations fiscales favorisent, par nature, le travail au noir et la fraude en tout genre d’où la nécessité pour les pouvoirs publics de renforcer l’arsenal juridique pour en limiter leur profusion. La pression fiscale amène certains à s’expatrier pour des cieux fiscalement plus cléments conduisant à une réduction de l’assiette fiscale. D’autres peuvent être amenés à refuser l’obstacle considérant que le gain du travail est trop faible du fait du niveau des prélèvements par rapport à l’effort à consentir. Le travail est un renoncement à l’oisiveté qui exige rémunération. Avec des taux qui dépassent 65% en intégrant, charges sociales, impôt sur le revenu et sans parler des impositions sur le patrimoine, la tentation de passer son tour existe avec conséquence une croissance amputée et des impôts en contraction. Il y a un effet multiplicateur de la destruction fiscale. Si des dirigeants d’entreprise renoncent à investir, à augmenter leurs revenus, c’est moins de salaires donnés, c’est moins d’investissement, c’est in fine moins de consommation et donc beaucoup moins d’impôts à récolter. Le président de la République et le gouvernement ne devraient pas oublier que l’objectif de l’impôt est de financer les dépenses de l’État. En la matière, il n’y a pas mieux qu’une assiette large et des taux faibles. Pour mener des actions sociales, des actions de redistribution, les Gouvernements ne devraient pas abuser de l’arme fiscale au nom d’un principe simple qui complète la courbe de Laffer : quand un gouvernement fixe plusieurs objectifs à un outil, il n’en atteint aucun.

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