Départementales : le sondage sur les motivations des électeurs FN que Manuel Valls et les autres responsables de gauche comme de droite seraient bien inspirés de lire<!-- --> | Atlantico.fr
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Ce que veulent les partisans du FN
Ce que veulent les partisans du FN
©Reuters

Sondage Ifop exclusif pour Atlantico

Le Premier ministre a déclaré hier "avoir peur" que la France "se fracasse contre le Front national", qui pourrait, selon lui, réaliser un "score sans précédent" aux élections départementales. Le sondage Ifop pour Atlantico sur ce sujet ne devrait pas le rassurer : si 39% des électeurs ayant l'intention de voter pour le Front national aux élections départementales expliquent qu'ils le feront pour exprimer leur mécontentement, ils sont aussi 41% à déclarer partager le constat que fait le FN sur l'état de la France.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : La première question du sondage Ifop pour Atlantico concerne les motivations du vote des électeurs du Front national. Vous leur avez demandé quelles étaient la raison première, puis les secondaires, pour lesquelles ils votaient pour ce parti. Que ressort-il du questionnaire ?

Jérôme Fourquet : Ce que l’on constate, c’est qu’à deux semaines des élections départementales, différents enquêtes d’opinion montrent que le Front national est toujours en dynamique et qu’il pourrait, éventuellement, arriver en pole-position au soir du premier tour, ou du moins s’installer à un niveau très élevé, aux alentours de 29 ou 30%. C’est inédit, surtout que nous parlons d’un scrutin local qui n’est pas spécialement réputé comme favorable au Front national, celui-ci déploie son potentiel électoral plutôt sur des scrutins nationaux. Nous souhaitions travailler et réfléchir sur ce qui pouvait encore freiner cette dynamique et empêcher des électeurs de voter Front national, et, au contraire, savoir sur quels ressorts ce vote s’appuyait.

Avec la première question, nous avons exploré un certain nombre d’arguments et de thématiques. Ce qui ressort, c’est que la dimension protestataire de voter demeure toujours très importantes. Elle se place en tête du critère de la première citation, avec 27%. C’est ce qui arrive en tête. Mais, quand on dit que le Front national est d’abord et avant tout un vote protestataire, on voit que cela est à nuancer. Arrive en deuxième position, à 19%, la raison du « partage du constat que fait le parti sur l’état de la France », et ensuite, avec 16%, les questions d’immigration, et 15% sur « ce parti se soucie des gens comme vous ». Si on regarde maintenant sur le total des citations, c’est-à-dire toutes les autres raisons que peuvent donner les électeurs autres que la première, car les gens votent sûrement sur plusieurs critères, la dimension protestataire est égale au constat partagé sur l’état de la France, puis arrive la question de l’immigration et la proximité du Front national par rapport aux gens comme soi. La palette est donc plus large que l’aspect protestataire ou que les simples questions d’identité ou d’immigration.

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Il y a également, la capacité d’être en empathie ou en proximité avec toutes une partie de la population, mais également que la grille de lecture et l’analyse des évènements ou de l’état de la société que le FN propose correspondent à ce que pense l’électeur sur ces sujets. S’intéresser à la seule dimension protestataire est donc paresseux intellectuellement, car on oublie toute une partie du problème. Cela laisse penser que l’on en n’a pas fini avec le Front national, car s’il avait une dimension purement protestataire, on pourrait se dire qu’à partir du moment où les choses s’amélioreront, les moeurs politiques se civilisaient et qu’on abandonnait la politique politicienne, le ressentiment vis à vis de la classe politique traditionnel se dégonflerait, et le vote FN par la même l’occasion.

Or, compte autant, le partage du constat effectué sur l’état de la France. Le FN est là depuis 30 ans, et il a fourni à toute une série de gens, une grille de lecture à laquelle ces derniers adhèrent, et les évènements les confortent dans leur jugement, je pense notamment à la gestion des flux migratoires, aux attentats de janvier. Tout ça se consolide et fait en sorte qu’aujourd’hui, un certain nombre de critiques formulées par des intellectuels, ou des médias, sur le FN, ratent leur cible. Quand on dit « si on sortait de l’euro,  grâce à la politique économique du FN, on irait mieux », on voit qu’effectivement ce n’est pas ce programme économique qui motive le plus les électeurs, mais à l’inversement, dire « le programme économique du FN mènera à la ruine » n’est pas vraiment le sujet, car ce n’est pas la raison principale du vote. Le sujet c’est : l’état de la France, comment on en est arrivé là, et la grille de lecture sur ce sujet est fournie par le Front.

On apprend également que la question de l’immigration est un ressort qui continue à fonctionner très bien, par ailleurs on avait ajouté à l’item « les critiques adressées sur certains propos antisémites ou anti-républicains vous paraissent infondées », donc les électeurs assument très bien. Pour ceux qui attaquent le FN, il faudrait donc changer d’angle d’attaque.

Le quatrième ressort le plus puissant est celui qui affirme que « le FN est le parti qui se soucie des gens comme vous », là nous sommes des remarques du type « quand Marine Le Pen parle, je comprends ce qu’elle dit », « elle, elle sait ce que l’on endure et on vit et parle des problèmes quotidiens alors que les autres sont déconnectés de la réalité ». C’est également un registre très important et une vraie marque du Front national que les autres partis ont parfois du mal à répliquer. Cela passe par toute une série de choses : la personnalité des candidats, les angles choisis pour évoquer tel ou tel sujet. Une récente étude qu’on a réalisé et basée sur les données du ministère de l’intérieur sur les profils des candidats qui se présentent aux départementales, montre que, parmi les candidats, du Front national, on trouve le plus de catégories populaires, ouvriers ou employés du privé, alors qu’on n’en trouve quasiment pas dans les rangs du PS, qui fait la part belle aux gens du public, en activité ou en retraite. On voit bien que l’on est sur un vote qui se nourrit et se déploie à partir de plusieurs ressorts, registres ou répertoires. La palette est considérablement élargi, ces leviers se sont consolidés, et c’est également ce qui explique qu’on soit à un niveau aussi élevé aujourd’hui et qu’il n’est pas près de baisser significativement.

Quelle est la typologie des électeurs du Front national en fonction des raisons qui motivent leur vote ?

Les résultats sont assez homogènes. Si on regarde en fonction du total des citations, on voit que c’est assez proche. On constate quand même, et c’est intéressant, que la dimension protestataire est la plus répandue parmi les électeurs les plus âgés et qui votent FN depuis plus longtemps. Ils sont encore sur les registres et les répertoires du début. Inversement, les items « le partie qui se soucie des gens comme vous », est présent chez les plus jeunes. De la même manière, plus on est jeune, plus on adhère au programme économique défendu par le parti. Le fait que « les candidats soient les plus à même de diriger le pays » ne représentent rien chez les plus âgés, mais obtient des scores non négligeables chez les plus jeunes.

Il y a un constat, un consensus, sur l’idée qu’on se fait de l’état de la France, quelle que soit la tranche d’âge. On a des niveaux assez proches sur l’immigration. En revanche, la dimension protestataire est plus répandue chez les plus âgés. Pour ce qui est de la dimension d’adhésion, d’empathie et de crédibilité, elles sont plus répandues chez les plus jeunes.

Le Front national apparaît toujours très clivant, vous l’avez illustré dans la seconde question du sondage. Qu’est-ce qui motive le rejet de ce parti ?

Là, c’est assez ambivalent, la question de l’immigration constitue toujours un des ressorts principaux du vote FN, et à l’inverse, elle constitue aussi le plus puissant repoussoir pour ce parti. On est, également, et ce n’était pas le cas dans les années 90, quasiment au même niveau sur les questions économiques et sociales. C’est sans doute parce que Jean-Marie Le Pen parlait relativement peu de ces sujets, et qu’il concentrait tout sur la sécurité et l’immigration, or Marine Le Pen a fait des propositions décoiffantes, notamment sur la sortie de l’euro, et c’est également sur ces sujets-là que portent les critiques de ses adversaires. Les critiques sur le programme socio-économique du FN expliquent qu’aujourd’hui on se détourne, ou l’on ne souhaite pas, voter pour ce parti. Le troisième élément, qui arrive cependant en retrait, concerne le manque de qualification et l’absence de capacités à gouverner de la part des élus du Front national, cela devait être plus important par le passé mais a baissé.

Ce qu’il retenir, c’est que nous sommes d’abord dans un combat idéologique. Si le parti fait 30%, il y a quand même 90% des gens qui n’ont pas envie de voter pour lui. Le plafond de verre est donc toujours énorme, et est structuré d’abord par des convictions idéologiques, que ce soit sur l’immigration, ou le programme socio-économique.

A-t-on également une typologie de la personne qui est opposée au vote Front national ?

Si on essaie de regarder en termes de génération, c’est intéressant car on s’aperçoit que la critique sur le manque de compétence, est formulée par les plus âgés, qui se sont formées politiquement au moment de l’émergence du FN, elle est donc ancienne. Les personnes plus jeunes s’opposent au FN pour d’autres raisons, mais le manque de compétence ne leur semble pas forcément évident. Sur la question économique et sociale, on voit qu’elle amène les plus fortes oppositions de la part des personnes âgées. Or, plus on est jeune, plus on dit que c’est au nom de l’antiracisme que l’on va s’opposer au FN. Il y a également un clivage spécifique : 63% de l’électorat de Mélenchon fonde son refus du vote FN sur ces questions, 43% chez Bayrou, 23% chez Sarkozy et 12% chez Le Pen (une partie de l’électorat de Marine Le Pen qui ne revoterait aujourd’hui pas FN). Ces derniers n’ont pas une critique idéologique, mais ne connaissent pas les candidats ou pensent qu’ils ne conviennent pas pour le département. L’électorat de droite, quant à lui, fonde ses critiques sur le programme économique et social du Front, à plus de 56% chez Bayrou et 51% chez Sarkozy.

Par rapport au passé et aux études précédentes, l’électorat FN a-t-il évolué ? Leurs motivations ? Quelque chose a-t-il changé ?

On voit que sur les ressorts, cela a changé et c’est significatif. On voit que la dimension protestataire reste importante, mais est pondérée par le partage de la grille de lecture du Front national sur l’état de la France. Et c’est assez nouveau, car cela signifie que le poids de la protestation cède face à celui de l’adhésion. Pour l’état de la France, on peut diverger sur les solutions, mais le constat est partagé, donc un pont est franchi.

Autre élément relativement nouveau : le poids des critiques économiques pour expliquer le rejet du FN qui n’était pas aussi important il y a quelques années. C’est en partie parce que le Front national ne s’était pas positionné très clairement sur ces questions économiques, on était plus sur les valeurs ou la morale que sur des compétences économiques ou des choix qui pourraient paraître dangereux pour l’activité du pays.


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