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Délations, plaintes et vengeances : moralisation de la vie politique ou foire d'empoigne ?
©JOEL SAGET / AFP

Bisque bisque rage

L'état d'hystérie dans lequel se trouvent les hommes politiques est la conclusion d'une campagne présidentielle violente. La veille des législatives ne pouvait que dégénérer de la sorte, tant le statut de l'homme politique a été rabaissé.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Sur fond de loi de moralisation de la vie politique, les différents ténors des grands partis semblent se lancer dans une forme de pugilat d'accusation, par exemple quand Richard Ferrand déclare : "Pourquoi Sébastien Huygues était-il opposé à la loi Macron ? Parce qu'il était notaire". Le climat politique est-il en train de déraper ?  En quoi cet épisode peut sembler différent des précédents ?

Eric Deschavannes : L'épisode en cours s'inscrit dans la continuité de la campagne présidentielle, laquelle a été marquée par une confusion inédite, dans le débat public, entre la morale et la politique. Le nouveau "climat" résulte d'une transformation du cadre politico-médiatique sur le long terme : on commence à prendre la mesure des désillusions du "progrès de la transparence". L'inquisition médiatique a sans doute ses vertus : tout politique qui entreprend qui monte au cocotier sait qu'il doit avoir le "cul propre". Aujourd'hui comme hier l'homme politique doit avoir les apparences de la vertu mais, celle-ci étant désormais plus difficile à sauvegarder, il faut pour y parvenir prendre davantage de précautions à toutes les étapes de la carrière. Posons-nous cependant cette question simple : quel est le gain pour la démocratie ? En quoi le progrès de la transparence est-il un progrès pour la démocratie ? Le progrès de la transparence est-il pour nous une garantie d'être mieux gouvernés ? Évidemment non, ce n'est pas le problème. C'est même l'inverse qui se produit : selon l'excellente formule de Marcel Gauchet, la transparence a transformé le contre-pouvoir médiatique en anti-pouvoir, c'est-à-dire en force d'empêchement politique qui entrave la capacité de gouverner. La transparence rétablit-elle le lien de "confiance" entre les gouvernants et les gouvernés ? Pas du tout: le soupçon et la calomnie deviennent au contraire omniprésents et permanents, constituant l'alpha et l'oméga du débat politique. Pouvons-nous espérer, à tout le moins, un renouvellement de la classe politique, de sorte que les futurs élus soient meilleurs que les "ripoux" dont on veut purger la démocratie ? Là encore, il est à craindre que ce soit le contraire qui advienne. Comme l'écrit excellement mon ami Pierre-Henri Tavoillot, la moralisation de la vie politique conduit à sa démoralisation : il faut aujourd'hui une sacrée dose d'inconscience ou un sens héroïque du sacrifice pour, quand on est un jeune homme ou une jeune femme doué et ambitieux, s'engager sur un terrain où la réussite impose de vivre selon les critères de moralité publique fixés par les pilier du café du commerce et se voit récompensée par la calomnie et le pilori médiatique. Faut-il prendre la peine d'évoquer la qualité du débat public ? Chacun peut juger de son amélioration à l'aune de la dernière campagne présidentielle ou à celle de la campagne des législatives à laquelle nous assistons.

De son côté, Bernard Accoyer laisse entendre que François Bayrou aurait donné des consignes orales pour enterrer l'affaire Ferrand, avant de charger l'intéressé lui-même en dénonçant "une escroquerie". Un François Bayou également "épinglé" par Georges Fenech pour avoir retweeté un communiqué de Marielle de Sarnez tout en étant ministre de la Justice. De la même façon, Richard Ferrand est lourdement attaqué en raison des soupçons qui pèsent sur sa situation. Quels sont les risques pris par l'opposition ? En quoi l'escalade actuelle pourrait-elle être préjudiciable pour tous ? Que traduit ce climat ?

Les politiques s'autodétruisent avec le plus grand zèle. Richard Ferrand a largement contribué à sa propre perdition, en attaquant durant la campagne présidentielle François Fillon sur le terrain de la morale, d'une part, et d'autre part, c'est le comble, en portant un projet de moralisation de la vie politique présupposant notamment que les emplois familiaux sont la marque de la corruption, alors que lui-même y a eu recours. Ériger soi-même la règle pour se condamner, il faut le faire ! Quant à l'opposition, elle participe au triomphe sans partage de la justice médiatique et populiste qui l'a conduit à perdre une élection jugée imperdable. Le problème est qu'il n'y a sans doute pas d'alternative : ces comportements sont des effets de système. Dans un contexte où le moindre soupçon médiatisé vaut élimination politique, il devient impossible de renoncer, dans la lutte pour la conquête du pouvoir, aux armes de la dénonciation morale, de la calomnie et de la délation. Rien de nouveau sous le soleil, en un sens, mais on assiste à un changement d'échelle et à un renversement de la hiérarchie de l'information du fait de la "bfmisation"de l'info, de la prolifération et de la concurrence des médias. Le "tous pourris" du café du commerce devient le sujet prioritaire commenté du matin au soir sur les chaînes d'information continue. Le commentaire médiatique alimente le commentaire politique qui alimente le commentaire médiatique, consacrant l'objectif de "moralisation de la vie politique" comme priorité nationale ainsi que la délation et la calomnie comme moyens de parvenir à sa réalisation.

La logique systémique qui s'est installée se traduit par l'impérialisme de la morale et la prime au populisme. Elle rend l'opposition plus facile et le gouvernement plus difficile. Le moindre soupçon déstabilise le pouvoir, qui ne parvient plus à faire valoir les priorités de l'action politique. Jusqu'alors, le "climat des affaires" rattrapait le pouvoir politique après que son action ait perdu son crédit dans l'opinion. Désormais, tout commence par l'inquisition morale, l'étude du pedigrée moral des élus et membres du gouvernement. Il faudra sans doute à l'avenir que le candidat à la présidence de la république commandite une armée d'enquêteurs pour éplucher son propre passé et celui de ses collaborateurs afin de déterminer son aptitude à gouverner. Il n'existe en réalité aucune issue : la sélection des "purs" est impossible et une double contrainte insurmontable s'impose au politique confronté à une "affaire" : faut-il en parler ou pas ? Faut-il tenir ou partir, faire le gros dos ou trancher dans le vif ? Faut-il renchérir sur le discours moralisateur ou tenter de rappeler le sens de la vocation politique, qui est de prendre les décisions nécessaires à la sauvegarde de l'État et à l'amélioration de la vie de ses membres ? On pourra évoquer tant qu'on voudra la "communication de crise" et critiquer les "erreurs de communication" du politicien pris dans les phares, il n'existe en réalité pas de réponse adaptée au procès en immoralité. Il est structurellement impossible de faire la preuve de la pureté morale de ses intentions. Dès lors que la légitimité politique ne repose plus ni sur l'action politique, ni sur l'élection, que l'honnêteté d'un homme ne se juge plus sur la légalité de ses pratique et que la présomption de culpabilité l'emporte sur la présomption d'innocence, le soupçon et la calomnie deviennent irrésistibles. Les "erreurs" de Fillon, par exemple, que Ferrand a du reste reproduit, étaient en réalité inévitables : le système contraint à surjouer la probité morale, à proclamer que la mise en examen vaut en politique présomption de culpabilité ("jurisprudence Balladur") au nom de l'idée que l'élu doit être insoupçonnable, et à se contredire en considérant "en même temps", que seules comptent la légalité des actions et le jugement politique des électeurs.

Le projet de loi de moralisation de la vie politique pourrait être contesté par l’opposition sur le terrain constitutionnel. La moralisation de la vie politique n'est-elle pas en train de se retourner contre ses initiateurs ? 

L'usage même de la notion de "moralisation" est catastrophique : d'une part, elle procède d'une fâcheuse confusion entre la morale (qui concerne les intentions et le rapport à soi-même), la légalité (la conduite conformes aux règles publiques) et la politique (l'impératif d'efficacité de l'action); d'autre part, elle constitue une concession au populisme médiatique  par laquelle le politique fragilise sa position, comme le souligne jusqu'à la caricature l'affaire Ferrand. Selon les éléments de langage habituels, l'objectif est d'établir plus de transparence sur la base de règles claires afin de rétablir la confiance. En réalité, le politique fabrique lui-même la verge pour se faire battre : il fournit aux médias et à l'opinion publique les critères qui le font paraître au mieux comme un tartuffe, au pire comme un corrompu.

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