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Déficit démographique ou difficultés d'intégration : le graphique qui résume le dilemme allemand face à l'immigration
©Reuters

Grand écart

La courbe cumulative du changement de population en Allemagne en dit beaucoup plus que de nombreux commentaires. C'est une Allemagne vieillissante face à une vague massive d'immigration que nous retrouvons en 2017.


L'évolution démographique allemande, avec (bleu) et sans (rouge) la part des migrants (source : The Atlas)

Atlantico : La crise des migrants de 2015 réapparaît dans l'actualité à la faveur des élections générales allemandes, dont le résultat a pu notamment être "expliqué" par la décision prise par Angela Merkel d’accueillir un grand nombre de réfugiés au cours de cette année. Au-delà de ce flux migratoire conjoncturel, quel est le profil démographique actuel de l'Allemagne ?

Laurent Chalard : L’évolution démographique d’un pays dépend de deux facteurs, le solde naturel, c’est-à-dire la différence entre les naissances et les décès, et le solde migratoire, la différence entre les entrées et les sorties définitives du territoire. Dans la plupart des pays de la planète, la population augmente du fait d’un solde naturel positif, témoignant d’un excédent des naissances sur les décès, alors que le solde migratoire, aussi variable puisse-t-il être, ne joue qu’un rôle secondaire dans l’évolution démographique globale.

Concernant l’Allemagne, la situation est différente. En effet, l’évolution de la population depuis plusieurs décennies apparaît grandement dépendante des variations du solde migratoire d’une année sur l’autre, le solde naturel étant constamment déficitaire depuis 1972 (soit près de 50 ans !), avec une tendance à l’accentuation au fur-et-à-mesure du temps depuis le début des années 1990. Le pays est passé d’un déficit naturel de - 7634 personnes en 1988 à - 187 625 personnes en 2015. Cette situation est principalement la conséquence d’une dénatalité constante depuis les années 1970, l’Allemagne ayant une fécondité très inférieure au seuil de remplacement des générations (moins de 1,5 enfant par femme depuis le début des années 1980), ce qui conduit à une très forte baisse des naissances (662 785 en 2011 contre 1 357 304 en 1964 !), alors que les décès ont été relativement stables dans le temps (925 200 en 2015 contre 907 882 en 1965).

En conséquence, l’évolution de la population allemande est totalement dépendante des variations du solde migratoire. Lorsque celui est fortement positif, la population augmente, l’excédent migratoire faisant plus que compenser le déficit naturel, comme ce fut, par exemple, le cas en 2015, avec un excédent de plus d’1 million de personnes. Par contre, lorsque le solde migratoire est faiblement excédentaire, voire négatif, comme en 2008 et 2009, la population diminue.

Si cet épisode de 2015 a pu surprendre par son ampleur, quels ont été les flux connus par le pays au cours de ces 30 dernières années ? Quelles sont les principales nationalités représentées, et quelles sont les évolutions constatées lors de ces dernières années ? 

Au cours des trente dernières années, contrairement à une idée reçue, les flux migratoires vers l’Allemagne n’ont pas du tout été réguliers. En effet, la courbe de l’immigration se caractérise par des pics et des creux. Au début des années 1990, l’excédent migratoire atteint un premier pic, pas si éloigné que cela de celui de 2015, avec + 780 000 personnes en 1992, lié à la chute du communisme en Europe de l’Est, qui conduit à un afflux conséquent d’immigrés originaires de cette partie du continent à la recherche d’un meilleur niveau de vie. Puis, les flux se sont ralentis à la fin des années 1990, tout en demeurant positif. Au début des années 2000, l’excédent migratoire repart à la hausse, dépassant les + 200 000 personnes en 2001 et 2002, correspondant à une seconde vague originaire d’Europe de l’Est. Puis, au moment de la crise économique de 2008-2009, qui touche assez brusquement l’économie allemande, très dépendante des exportations, le solde migratoire s’inverse, devenant négatif, de nombreux travailleurs étrangers repartant (temporairement) dans leur pays d’origine. Enfin, une fois le redémarrage de l’économie engagé en 2010, l’immigration repart de plus belle, étant donné les besoins de main d’œuvre de l’Allemagne, en particulier dans le secteur industriel, dans un contexte de faiblesse de l’offre de main d’œuvre autochtone du fait de la forte dénatalité allemande héritée. Le pays (re)devient attractif pour les européens de l’est et du sud, mais aussi pour les migrants du reste de la planète. La crise des migrants de l’été 2015 est donc venue accentuer un processus, engagé quelques années auparavant, d’autant qu’il convient de rappeler que l’appel aux réfugiés syriens ne répondait aucunement à une vision humaniste, mais uniquement à une vision économiciste de besoin de main d’oeuvre.

Avant les années 1990, l’Allemagne de l’Ouest allait chercher sa main d’œuvre dans l’est du bassin méditerranéen, en Italie, dans l’ex-Yougoslavie, en Grèce et en Turquie, à l’origine de certaines des principales communautés d’origine étrangère présentes aujourd’hui dans le pays. A partir des années 1990, l’immigration est devenue essentiellement une immigration d’Europe orientale, avec toujours des ex-yougoslaves dans le contexte d’explosion politique de cet Etat plurinational, mais aussi des polonais et de nombreux ressortissants de l’ex-URSS, pouvant prouver un ascendant allemand, les fameux « aussiedler ». A partir des années 2000, comme dans les autres pays d’Europe occidentale, il se constate une diversification de l’immigration avec l’accueil de nombreux demandeurs d’asile, cependant l’Europe de l’Est reste dominante. A partir de 2014, il se produit un changement conséquent. En effet, si l’immigration provenant d’Europe de l’Est se poursuit (en particulier de Roumanie et du Kosovo), désormais, le flux principal est originaire du Moyen-Orient, avec une dominante de syriens, d’irakiens et d’afghans. Les populations non-européennes sont désormais très visibles en Allemagne, ce qui n’était pas le cas auparavant. 

Comment imaginer l'avenir démographique allemand ? Aussi bien en fonction des statistiques actuelles que des contraintes politiques qui pourraient voir le jour, suite à l'apparition du parti AfD au Bundestag ?

Etant donné la très forte dépendance de l’évolution démographique allemande à la variable migratoire, variable qu’il est impossible de prévoir (qui avait prévu la crise des migrants de l’été 2015 ?),  il paraît extrêmement hasardeux d’esquisser le tableau de la démographie de l’Allemagne dans les prochaines années ou décennies. La seule certitude concerne le solde naturel. Même si la natalité venait à se redresser (d’après les données provisoires portant sur l’année 2016, les naissances ont augmenté de plusieurs dizaines de milliers), le déficit naturel devrait persister, du fait de l’arrivée progressive des générations très nombreuses du baby-boom à l’âge de décès, ce qui va conduire à l’augmentation de ces derniers. Cette évolution sous-entend que si l’Allemagne juge nécessaire de maintenir son niveau de population autour de 80 millions d’habitants (une politique choisie de décroissance démographique, sur le modèle japonais, peut aussi se justifier, l’Allemagne étant plutôt densément peuplée), le pays sera obligé de continuer d’importer de la main d’œuvre, et qui plus est, de plus en plus, étant donné l’ampleur de la dénatalité héritée. En fonction du volume de l’excédent migratoire, la population verra son déclin limité ou arrivera à se maintenir au même niveau qu’actuellement, voire continuera de croître si les volumes d’immigration s’alignaient sur les niveaux constatés ces dernières années, qui apparaissent exceptionnels. 

Cependant, ce sont surtout les décisions politiques qui auront le plus d’impact sur le volume de l’excédent migratoire. Dans ce cadre, à court terme, dans le contexte actuel de montée du populisme et de rejet de l’immigration de pays musulmans de la part d’une partie de la population, comme en témoigne l’arrivée de l’AfD au Bundestag, il est probable que le gouvernement allemand s’efforce de réduire les flux migratoires des non européens au minimum, dans l’optique de pouvoir absorber le flux massif de migrants originaires du Moyen-Orient de 2015-2016, dont l’intégration dans la société allemande pose beaucoup plus de problèmes que pour les précédentes vagues migratoires (rappelons que la vague d’immigration massive provenant d’Europe de l’est de 1989-92 n’a pas entraîné de problèmes majeurs). Cependant, à plus long terme, il est impossible de savoir quels seront les choix politiques effectués par les dirigeants allemands. Ils peuvent très bien choisir de relancer l’immigration de masse, après avoir fait une pause de quelques années, s’ils ont l’impression que les besoins en main d’œuvre de leur économie le demande. Par contre, ils ne « choisiront » peut-être pas de se tourner vers des migrants du Moyen-Orient, mais iront probablement chercher leur main d’œuvre ailleurs, dans des contrées au niveau moyen d’éducation plus élevé. A contrario, la peur d’une très forte diversification de la population allemande, dans un contexte de pérennité des tensions « ethniques », pourrait conduire à une politique de limitation drastique des flux à long terme. Le futur le dira !

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