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Défense de la liberté d’expression face à la Big Tech : le modèle polonais ?
©Denis Charlet / AFP

Guerre de l'information

Alors que les entreprises de la Silicon Valley comme Facebook et Twitter multiplient les mesures de bannissement et renforcent la censure, le gouvernement polonais vient de promulguer une loi pour protéger la liberté d’expression de ses citoyens. Quelle est la méthode des autorités polonaises face aux géants du numérique ?

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Atlantico.fr :Face aux différentes censures des Big Tech, le gouvernement polonais vient de promulguer une loi pour protéger la liberté d’expression de ses citoyens. Comment le gouvernement compte-t-il s’y prendre ? Quel biais a-t-il choisi ?

Fabrice Epelboin : La Pologne s’engage dans une direction opposée de celle de la France. Elle devait transcrire un texte européen, sensé lutter contre la haine et apparemment que la France, de son coté, imagine assez proche de la loi Avia mais elle prend une autre direction. Les Polonais ramènent le débat sur la liberté d’expression au niveau national. Cela montre que le texte européen, qui à ce stade n’est pas encore rédigé, et qui est voué à s’appliquer sur le droit local, va se confronter à une diversité culturelle très grande en Europe. C’est pour cela que la Pologne et la France prennent les devants. La diversité européenne parait compliquée à unifier sur ce point de vue avec la multiplicité de concept de liberté d’expression. Ce qui peut se dire en Pologne dans les débats est impensable en France aujourd’hui et vice-versa.

N’est-ce pas étonnant qu’un pays conservateur procède à une telle réforme libérale ? N’était-ce pas à l’Europe de prendre les devants sur cette question ?

Cela pose question. Nous sommes dans un grand moment de transformation du concept de liberté d’expression. Cette problématique touche les États-Unis, la France et aussi la Pologne, elle est commune et elle s’appelle Facebook. L’Europe est en train de prendre les devants sur cette question en préparant un texte qui délèguera probablement à Facebook la charge de censurer ce qui sera qualifié de discours de haine.

Définir la haine est très compliqué, il va falloir que cela se traduise dans des politiques de modération de Facebook. Aujourd’hui, l’entreprise n’essaie même plus de faire croire qu’ une intelligence artificielle va régler le problème. Cela se fera dans des centres de modération, et cela parait compliqué de le faire en France, le code du travail posant quelques soucis, au vu de la réalité terrible de ce travail de modérateur. Après 3 à 4 mois de modération, les modérateurs sont souvent soumis à ce que les psychiatres appellent un « syndrome de stress post-traumatique », on imagine les problèmes que cela amènerait devant les prud’hommes. C’est pour cela que les centres seront probablement installés en Afrique de l’Ouest ou en Afrique du nord, ce qui pose des des problèmes de gap culturels phénoménaux. Imaginez l’affaire Mila gérée par des modérateurs à Casablanca. Cela va forcément toucher le concept de liberté d’expression chère aux Français.

Devons-nous reproduire le modèle polonais afin de ne pas laisser Facebook et Twitter toucher à notre liberté d’expression ?

Le débat public en France se joue à coup d’invectives. Cela parait impensable de prôner une liberté d’expression telle que les américains l’envisageaient encore il y a cinq ans, comme le font les Polonais aujourd’hui. Ce que font les Polonais aurait été applaudi en 2015 par Barack Obama car cela correspond au premier amendement. En cinq ans, les États-Unis ont fait énormément de chemin, la France aussi. Outre-Atlantique, la Cancel-Culture qui était un phénomène d’intellectuels de gauche est devenue un phénomène mainstream. Que cela soit Zemmour ou Kery James qui jouent avec les frontières de la liberté « à la française », cela parait compliqué demain d’imaginer un débat publique où ils pourraient s’exprimer sans la moindre contrainte. La liberté d’expression en France n’est définitivement pas la même que l’Américaine ou que la polonaise

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