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Ô rage ! O désespoir ! Le déclin, cette obsession occidentale...
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Quand la coulpe est pleine

L'Europe et les États-Unis sont fragilisés par la crise financière et menacés par la Chine. Mais peut-on pour autant parler de déclin ?

Eric  Delbecque

Eric Delbecque

Eric Delbecque est expert en sécurité intérieure, auteur des Ingouvernables (Grasset). Eric Delbecque est expert en sécurité intérieure et en intelligence économique et stratégique, Directeur du pôle intelligence économique de COMFLUENCE et Directeur Général Adjoint de l’IFET (Institut pour la Formation des Élus Territoriaux, créé à l'initiative de l’Assemblée des Départements de France, et agréé par le ministère de l’Intérieur pour dispenser de la formation aux élus). Il fut directeur du département intelligence stratégique de la société SIFARIS, responsable de la sûreté de Charlie Hebdo et chef du département intelligence & sécurité économiques de l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ), établissement public administratif placé sous la tutelle du Premier ministre), directeur de l’Institut d’Études et de Recherche pour la Sécurité des Entreprises (IERSE, institut de la Gendarmerie nationale), expert au sein de l’ADIT (société nationale d’intelligence stratégique) et responsable des opérations d’intelligence économique et de communication de crise au sein d’une filiale de La Compagnie Financière Rothschild.

Par ailleurs, il fut conférencier à l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense Nationale), au CHEMI (Centre des Hautes Études du Ministère de l’Intérieur), et à l’École de Guerre Économique. Il a enseigné à Sciences Po (IEP de Paris), à l’ENA (École Nationale d’Administration), à l’IHEDN (Institut National des Hautes Études de la Défense Nationale), à l’ENM (École Nationale de la Magistrature), à l’EOGN (École des Officiers de la Gendarmerie Nationale), à Paris-Dauphine et au Pôle Universitaire Léonard de Vinci. Il est colonel de réserve (RC) de la Gendarmerie Nationale.

Il est l’auteur de nombreux livres portant sur les sujets suivants : l’intelligence économique, la sûreté des entreprises, les stratégies d’influence, l’histoire des idéologies, la sécurité nationale et le management de crise. Il a récemment publié Les Ingouvernables (Grasset) et, avec Christian Chocquet, Quelle stratégie contre le djihadisme ? Repenser la lutte contre la violence radicale (VA éditions). 

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L’obsession du déclin est une vieille marotte d’occidental ! La question hantait déjà les patriciens romains à l’époque de la République… Les « déclinistes » eurent encore des heures de gloire dans les années 1930 en Europe. Certains intellectuels affirmaient alors que la montée des totalitarismes (brun et rouge) traduisait le déclin de l’Europe des démocraties, « minées » par le libéralisme économique et politique. Il existe en fait une tradition de l’obsession du déclin chez les conservateurs et les autoritaires en tous genres.

Néanmoins, cette interrogation existe également chez des auteurs et hommes d’action libéraux. Il faut dès lors la prendre au sérieux et l’analyser. Que traduit-elle ?

L'empire américain décline-t-il vraiment ?

Aux Etats-Unis, elle manifeste la crainte de ne plus être la puissance mondiale dominante d’ici quelques décennies. La montée en puissance de la Chine en particulier et des BRIC en général nourrit cette inquiétude. Paul Kennedy, dans son ouvrage marquant (Naissance et déclin des grandes puissances[1]), a aiguisé beaucoup d’inquiétudes.

La thèse du Choc des civilisations[2] de Samuel Huntington constitue en quelque sorte une riposte à l’angoisse du déclin. Prédire l’affrontement de blocs civilisationnels, c’est encore mobiliser pour tenter d’enrayer ce que l’on croit être une descente aux enfers. Thèse malheureuse aux conséquences désastreuses. Sur quoi repose cette peur de la chute ? Sans aucun doute sur le constat que la différence de puissance entre les Etats-Unis et le reste du monde se réduit. Si Washington demeure la puissance mondialement dominante, ils s’affirment aussi moins « surpuissants » que jadis. A cet égard, les résultats de la guerre en Irak ont démontré les limites de l’efficacité américaine dans un conflit dit « asymétrique ».

Mais tout est donc relatif. Les Etats-Unis ne sont pas à proprement parler en déclin : ce sont les autres qui s’avèrent plus puissants que par le passé. La multiplication des parties prenantes dont il faut tenir compte ne provoque pas le déclin de l’Occident mais la diffusion de la puissance à travers la planète.        

Quand l'Europe se vautre dans le présent

En Europe, la peur du déclin s’adosse là aussi aux craintes qu’inspire la montée en puissance de la Chine ou de l’Inde, de la Russie et du Brésil. Il suffit d’y ajouter l’obsession du déclassement économique et le problème de la dette souveraine qu’expose crûment le cas grec pour comprendre le phénomène.

Toutefois, le tableau mérite d’être nuancé. Les Etats-Unis et l’Europe disposent encore de nombreux atouts (capacité d’innovation technologique, puissance militaire, dispositif de formation, etc.). De surcroît, quoi que l’on en dise, l’attractivité de leurs valeurs et de leurs modèles socio-économiques et culturels reste forte, malgré leurs failles et leurs échecs.

C’est donc ailleurs que dans les faits bruts qu’il faut rechercher l’angoisse, l’obsession du déclin. Précisons au passage qu’elle se révèle beaucoup plus forte en Europe qu’aux Etats-Unis. Certes, l’Europe vieillit, mais ce n’est là qu’un symptôme. La vraie raison se situe finalement dans nos têtes.

Nous avons perdu le goût de la conquête et de l’innovation, le désir d’avenir et de création. Nous subissons et gémissons au lieu de faire. La littérature européenne est caractéristique de cette impuissance. Elle constitue une littérature de la « chambre close », narcissique, du « tout à l’égo », incapable d’être vraiment en prise avec les questions et les débats du temps, incapable – dans son écrasante majorité – de « raconter des histoires », chose totalement méprisée et pourtant essentielle pour un romancier !

Un auteur qui a récemment publié son premier livre en constitue le contre-exemple marquant et revigorant : il met en lumière de ce fait ce qui manque essentiellement à notre temps. François Esperet, auteur de Larrons[3], rompt les formes et unit des contraires, brûle des idées reçues et en consomme de nouvelles, évitant toujours la fétichisation, renversant minutieusement les idoles, juste pour trouver une note véritable, une mélodie harmonieuse, celle de l’humain dans son épaisse obscurité et aussi sa merveilleuse clarté. Chez cet écrivain et dans ce livre, il y a précisément la dénonciation de ce qui tue notre continent : la peur de l’inconnu parce que l’on a quelque chose à perdre, des richesses, des acquis, des certitudes sclérosantes, le tout sévèrement sanglé dans un singulier déficit de goût de l’Autre. Dans les pages de Larrons, il y a aussi le remède : l’appel à faire de nos inquiétudes un carburant, de nos noirceurs une arme de lucidité pour re-devenir, au moins un peu, des « risque-tout »…

Il n’y a pas de déclin de l’Occident, il y a seulement le renoncement à l’Histoire ! Il ne tient qu’à nous de le faire renaître : dans nos têtes !   



[1] Editeur : Payot. Cf : http://www.yale.edu/history/faculty/kennedy.html

[2] Editeur : Odile Jacob. Cf : http://agora.qc.ca/Documents/Civilisation--Le_choc_des_civilisations_selon_Samuel_P_Huntington_par_Marc_Chevrier

[3] Editeur : Aux forges de Vulcain. Cf : http://www.auxforgesdevulcain.fr/boutique/litteratures/article/larrons-de-francois-esperet

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