Décision mode d’emploi : pourquoi se fier à son intuition plutôt qu’à sa raison est plus efficace<!-- --> | Atlantico.fr
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Les travaux de l'Allemand Gerd Gigerenzer insistent sur le rôle joué par l'intuition dans le processus de prise de décision.
Les travaux de l'Allemand Gerd Gigerenzer insistent sur le rôle joué par l'intuition dans le processus de prise de décision.
©Flickr

Suivez votre instinct

Les travaux de l'Allemand Gerd Gigerenzer insistent sur le rôle joué par l'intuition dans le processus de prise de décision. Mise en opposition traditionnellement à la rationalisation de la prise de décision, l'intuition constitue la cerise sur le gâteau et ne dispense pas de l'analyse.

Didier J. Durandy

Didier J. Durandy

Après un début de carrière à la Citibank de New York, puis dans le groupe Société Générale à Londres, Didier J. Durandy a créé le cabinet Grant Alexander à Londres, puis Paris, avant de se consacrer à la recherche, à la formation et au consulting en techniques de décision dans 18 pays pour le compte de plus de 150 entreprises. Il est l'auteur de deux ouvrages aux éditions Eyrolles : L'audace de réussir et Décider pour gagner. Plus d'informations sur www.deciderpourgagner.com

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Atlantico : Fondamentalement, qu'est-ce qui oppose l'analyse et l'instinct dans le processus de prise de décision ? Y-en-a-t-il un qui a davantage prouvé ses vertus que l'autre ? 

Didier J. Durandy : Il convient tout d'abord de faire la distinction entre instinct et intuition car l'intuitition joue un rôle plus important dans la prise de décision que l'instinct. Ce dernier est davantage animal et conservateur, apparenté à la personnalité et à la partie du cerveau reptilien; il n'y a pas de raisonnement avec l'instinct.

Par opposition, l'intuition consiste en un mode d'analyse et de synthèse personnalisé, raccourci et difficilement explicable à partir d'informations extérieures. On retrouve là l'aspect heuristique, soit l'aptitude à raisonner rapidement, à improviser à partir de l'expérience. La véritable intuitition se fonde précisément sur l'expérience : vous ne pouvez pas avoir d'intuition dans un domaine que vous ne connaissez pas. Les Anglais parlent à ce titre d' "intuition éduquée". Cette véritable intuition constitue tout le professionnalisme de la personne mise au service d'une décision et qu'il ne peut pas expliquer à cause de tous les paramètres pris en compte. 

L'intuitition soulève également le problème de la temporalité : vous pouvez avoir une intuition passée, par exemple que ce sont les pro-Russes qui ont abattu le vol de MH-17; une intituition future, par exemple, relative à la situation économique de la France à la rentrée au regard de la situation actuelle ; une intuition fondée sur une décision, etc. Il existe donc différentes variétés d'intuition.  

Dans un monde de plus en plus incertain, quelle est la place à accorder à l'intuition dans le processus de prise de décision ? Qu'est-ce que cela révèle de la part accordée à l'intuition aujourd'hui dans ce processus ? Existe-t-il des modèles permettant de mesurer cette incertitude ? 

Il conviendrait de distinguer deux types d'incertitude dont l'incertitude sur l'exploitation des informations détenues; la quantité d'informations à l'heure actuelle qu'il convient d'analyser est une énorme source d'incertitude. Il y a ensuite l'incertitude sur le nombre d'informations dans un temps donné. Pour bien préparer une décision, disposer d'un certain temps est nécessaire, au risque de prendre une décision avec une information incomplète. Au mieux, cette information incomplète vous permet de dégager une tendance; c'est à ce moment-là qu'intervient l'intuition, lorsque l'information dont vous disposez est incomplète. 

Que l'on adopte une posture analytique ou intuitive dans le processus de prise de décision, le risque fait-il partie intégrante de la prise de décision ? Quel rapport entretient l'intuition et l'analyse au risque ?

Il n'y a pas de décision prise dans la certitude absolue, cela n'existe quasiment pas. L'incertitude est plus importante une fois le choix pris que sur les informations. Techniquement, on pourrait traiter toutes les informations. En revanche, le risque que vous prenez lorsque vous réalisez un choix est de deux ordres : il peut s'agir d'un mauvais choix résultant d'une collecte d'informations erronées, d'une mauvaise utilisation de l'intuition ou d'une incapacité à faire appel à l'intuition ; ou bien d'une mauvaise application du bon choix : admettons que vous êtes à la tête d'une équipe de 10 personnes vis-à-vis desquelles vous êtes au-dessus hiérarchiquement. L'ambiance est mauvaise, notamment vis-à-vis de vous et de votre position hiérarchique. Dès l'instant où vous émettez un choix qui va être mis en place par une équipe, vous devenez vulnérable à la bonne volonté, à la loyauté et à l'efficacité des personnes chargées de la mise en place, mais également aux changements pouvant intervenir entre le moment où vous avez fait votre choix et celui de la mise en place. Vous pouvez par exemple avoir pris la décision d'exporter en Grande-Bretagne, mais entre-temps le cours de la livre sterling baisse, ce qui change la donne. Un bon choix peut donc finir en mauvaise décision, et à l'inverse vous avez des décideurs qui effectuent d'assez mauvais choix, mais qui disposent d'une équipe très soudée qui va alors tout faire pour rattraper le mauvais choix. 

L'intuitition doit davantage être mise en opposition avec la théorie des choix plutôt qu'à la rationalisation. La théorie des choix consiste à pondérer tous les paramètres d'analyse de choix possibles et d'y mettre alors des mots. Par exemple, vous souhaitez acheter une voiture. Vous pouvez très bien dire que vous ne souhaitez pas qu'elle consomme plus de 5 litres, que vous désirez qu'elle puisse accueillir 5 personnes à son bord, qu'elle soit dotée de l'air conditionné, etc.  Vous pondérez alors chacun des paramètres, vous faites la somme et vous comparer les résultats avec ceux obtenus sur plusieurs voitures pour pouvoir faire votre choix.Il est important aussi de considérer le temps que l'on va prendre à mettre en place le choix.

Dans le processus de prise de décision, qu'est-ce qui peut ne pas être pris en compte par les individus et engendrer ainsi des erreurs (plus ou moins dommageables) ? Quels éléments sont imputables à l'analyse ? à l'intuition ? 

Dans le processus de prise de décision, il y a un moment pour la rationalisation et un moment pour l'intuition, que je considère comme la plus-value la plus noble du décideur. 

Dans un processus de décision par exemple en entreprise, ce que l'on peut omettre, c'est la compréhension de l'équipe : si elle ne comprend pas, elle ne sera pas efficace. Or, le décideur a tendance à court-circuiter un certain nombre de choses pour essayer de gagner du temps. C'est cette optimisation erronée du temps qui peut faire que le décideur saute des étapes très importantes. La décision sans la cohésion de l'équipe ne sera donc jamais bonne même si le choix est bon. 

J'insiste sur un point : la partie intuitive doit quant même être plus ou moins partagée avec l'équipe, au risque de voir apparenter le choix à un caprice. 

Le gérant d'une PME par exemple a une vraie intuition car il maîtrise les différents secteurs d'activités de son entreprise, au regard de la taille de cette dernière. Les salariés qui n'ont pas toutes les informations en main vont alors suivre le gérant en se disant que parce qu'il est le patron, il sait tout (surtout dans un système français historiquement artisanal). Dans un grand groupe, on ne plaisante plus du tout avec l'intuition : en conseil d'administration, vous ne pouvez pas dire "j'ai l'intuition qu'on doit faire cela"; vous êtes obligé d'apporter une justification. 

Ce qu'on cherche aujourd'hui chez un décideur, c'est avant tout la vision plus que l'intuition. L'audace fait également partie des qualités attendues chez un décideur ; or certains en manquent aujourd'hui dans le processus aujourd'hui de prise de décision et l'exercice du choix. L'audace est mise de côté parce qu'on vise davantage la sécurité. Au sein d'une entreprise, c'est à la hiérarchie de susciter l'audace de ses collaborateurs. 

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