De nouvelles études soulignent le danger du « nouveau » cannabis<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
La consommation de marijuana riche en THC peut entraîner des troubles sur le plan psychologique, selon de nombreuses études scientifiques.
La consommation de marijuana riche en THC peut entraîner des troubles sur le plan psychologique, selon de nombreuses études scientifiques.
©Don MacKinnon / AFP

THC

Selon plusieurs publications scientifiques, la consommation de marijuana riche en THC conduit à certains symptômes de psychose pour 40% des consommateurs. Une consommation régulière conduit 35% des fumeurs à une rupture psychotique complète.

Jean Costentin

Jean Costentin

Jean Costentin est membre des Académies Nationales de Médecine et de Pharmacie. Professeur en pharmacologie à la faculté de Rouen, il dirige une unité de recherche de neuropsychopharmacologie associée au CNRS. Président du Centre National de prévention, d'études et de recherches en toxicomanie, il a publié en 2006 Halte au cannabis !, destiné au grand public.

Voir la bio »

Atlantico : Selon plusieurs études, la consommation de marijuana conduit à de légers symptômes de psychose pour 40% des consommateurs. Une consommation régulière, avec notamment des produits riches en THC, conduit 35% des consommateurs à une rupture psychotique complète. La probabilité de devenir bipolaire ou schizophrène est de 50%. Quel est l’ensemble des effets secondaires de la marijuana ? Avons-nous sous-estimé les effets néfastes de cette substance ?

Jean Costentin : De longue date ces effets néfastes ont été tus ou sous-estimés. En 1840 un psychiatre, on disait alors un «aliéniste» Jacques-Joseph Moreau (dit Moreau de Tours) publiait un livre intitulé « Du haschisch et de l’aliénation mentale ». Il y a une trentaine d’années l’alerte aété donnée par une pédopsychiatre d’Auckland, en Nouvelle-Zélande, Marie Louise Arsenault. Elle a suivi une cohorte de 1.000 adolescents qui avaient commencé à fumer du cannabis entre 12 et 15 ans. Si cette tranche d’âge peut surprendre, il faut savoir que c’est désormais au collège que les jeunes français commencent à expérimenter la consommation de cannabis.

La Nouvelle-Zélande à l’époque dans cette étude était particulièrement victime du laxisme qui prévalait sur cette drogue, à l’instar de la situation qui prévaut en France actuellement, et qui fait de nous les tout premiers consommateurs de cannabis des 28 Etats européens. A cette période, le cannabis était quatre à cinq fois moins dosé en THC que celui qui prévaut actuellement sur le marché.

Le groupe de ces 1.000 gamins consommateurs a été entouré de 4.000 autres qui n’avaient pas encore commencé à cet âge-là. Elle a donné rendez-vous à tous ces jeunes à l’âge de 18 ans. Elle a alors constaté que sur ces 1.000 jeunes qui avaient commencé à consommer du cannabis entre 12 et 15 ans, 10% d’entre eux étaient devenus schizophrènes ; que chez ceux qui avaient commencé à en consommer entre 15 et 18 ans, 2,5% d’entre eux étaient diagnostiqués schizophrènes ; et qu’enfin chez ceux, les plus nombreux, qui n’avaient jamais consommé de cannabis ni d’autres drogues, 1% d’entre eux étaient schizophrènes à cet âge de 18 ans. Car oui, hélas, on peutdevenir schizophrène sans jamais avoir consommé de cannabis, Hélascar on saurait alors comment éradiquer cette maladie très grave.

À Lire Aussi

Le cannabis quasiment aussi addictif que les opioïdes chez les adolescents

Ainsi, quand on commence à consommer du cannabis entre 15 et 18 ans, le risque d’être diagnostiqué schizophrène est multiplié par 2,5 et quand on commence entre 12 et 15 ans, le facteur d’augmentation est multiplié par 10.

Les relations entre le cannabis et la schizophrénie sont donc établies de longue date. Un autre exemple concerne une étude suédoise qui remonte à une quarantaine d’années. Un psychiatre, Sven Andréasson, était surpris dans sa pratique psychiatrique de rencontrer des jeunes patients qui présentaient une schizophrénie, laquelle résistait assez notablement aux traitements antipsychotiques et, notamment  à l’halopéridol, un médicament majeurdans cette pathologie. Il est parvenu à faire avouer à un certain nombre de ces jeunes qu’ils étaient fumeurs de cannabis. Il s’est alors demandé si cette addiction n’était pas en cause dans la schizophrénie. Sven Andréasson a alors obtenu des autorités Suédoises des moyens considérables pour effectuer une étude que l’on pourrait qualifier de gigantesque. Les 50.000 conscrits suédois de l’année 1970 ont tous été vus par des psychologues et des psychiatres ; ce qui a permis d’éliminer de l’étude ceux qui étaient alors schizophrènes à 18 ans. Il fut demandé à chacun des autres d’indiquer qu’elle été sa consommation de cannabis avant la conscription. L’ étude s’est poursuivie pendant les quinze années ultérieures en suivant l’évolution de la santé mentale ces jeunes gens durant la période comprise entre leurs 18 et 33 ans, et ce grâce au registre des maladies mentales qui existe en Suède. Ce registre permet, lorsque l’un de ces jeunes se présente à une structure de soin pour des troubles psychiatriques, d’en connaître le diagnostic ; ainsi fut suivie l’évolution de la santé mentale de ces jeunes gens.

À Lire Aussi

Ces leçons que nous devrions retenir de la vague massive d’overdoses aux Etats-Unis

En 1981, après compilation de toutes ces données, la conclusion de cette étude a été publiée dans une revue majeure du monde médical, « The Lancet ». Elle conclue que le fait d’avoir fumé plus de 50 « joints » en tout avant l’âge de la conscription (18 ans en Suède) a multiplié par 6 chez ces jeunes gens le risque de devenir schizophrène au cours des quinze années qui suivirent.

Si cette étude avait été suffisamment relayée par les médias et notamment auprès des décideurs politiques, ils auraientsans doute eu une autre attitude vis-à-vis du cannabis que ce laxisme qui a permis à cette drogue de diffuser en France, à un tel niveau ; laissant 1.500.000 des nôtres en devenir des consommateurs réguliers, approvisionnés par plus de 200.000 dealers. Les Français devenus les tous premiers consommateurs de cannabis parmi les 28 Etats membres de l’Union européenne. 

Le cannabis consommé actuellement comporte un taux moyen de THC qui a été multiplié par 6,5 au cours des trente dernières années. De nouveaux modes de consommation augmentent la dose de THC qui est cédée à l’organisme de ses consommateurs, via la pipe à eau, via le détournement de la cigarette électronique avec de l’huile de cannabis.

Le cannabis fumé sur les barricades de Mai 1968 n’a plus rien à voir avec le cannabis d’aujourd’hui. 

Peut-on comparer la "marijuana médicale" à un opioïde ? Pourquoi a-t-on tendance à faire le rapprochement ?

Ces drogues, le THC du cannabis, la morphine de l’opium et tous ses dérivés agissent sur le système de récompense du cerveau. Ces drogues ont en commun d’intensifier la libération d’un neuromédiateur, la dopamine, « le neuromédiateur du plaisir » dans une très petite structure du cerveau, le noyau accumbens. Qu’un individu consomme de l’alcool,fume du tabac, fume du cannabis, s’injecte de l’héroïne, ou avale du tramadol ou de la codéine, cela a pour effet d’augmenter cette libération de dopamine, suscitant de ce fait une sensation de plaisir. Il y a par ce mécanisme une communauté d’action entre toutes les drogues avec néanmoins, de l’une à l’autre, des intensités différentes. En bref, toutes les drogues intensifient la transmissiondopaminergique dans le noyau accumbens, au service de la perception du plaisir.

À Lire Aussi

Cannabis : la France pourra-t-elle longtemps continuer à ignorer la politique radicalement opposée de ses voisins européens ?

Lorsque la concentration de la drogue diminue dans l’organisme, et plus encore lorsque le sujet est privé de sa drogue, le plaisir associé à la transmission de dopaminergique qui était important fait place à un très vif déplaisir. Pour échapper à cette sensation pénible, à cette frustration, à cette incomplétude le sujet est alors très incité à reprendre de la drogue. Ce besoin tyrannique de consommer est la caractéristiquede la dépendance, de l’addiction.

Lors de l’usage régulier du cannabis, alors que l’usage erratique « l’us » a fait place à « l’abus », une tolérance à ses effets recherchés s’installe progressivement. Alors qu’au début un joint tous les trois jours suffisait à procurer ce plaisir,l’effet diminuant au fil des usages, le consommateurpasse alors à un joint tous les jours, puis plusieurs. J’ai eu en consultation un patient de 17 ans qui était à 20 joints par jour ! Il n’était pas beau à voir le pauvret. Il faut insister sur le fait qu’il est très difficile, voire impossible, de sortir de son addiction un sujet dépendant du cannabis.

Les effets épigénétiquesdu cannabis qui commencent à être bien connus sont aussi des données qu’il est très important de porter à la connaissance du plus large public possible et des décideurs. Ce qui permettrait de clore ces discussions de plus en plus oiseuses sur la légalisation de cette drogue. Le fait de consommer du cannabismodifie durablement l’expression de certains gènes. Ces modifications épigénétiques peuvent être transmises par l’individu consommateur à sa progéniture. 

Le travail princeps sur ce sujet a été réalisé par l’équipe de Yasmin Hurd, directrice de l'Institut de toxicomanie du Mount Sinaï (U.S.A.). Elle a eu accès à des fœtus de 20 semaines qui consommaient du cannabis. Elle a comparé dans leur cerveau, au niveau du noyau accumbens sorte de centre du plaisir, le nombre de récepteurs sur lequel agit la dopamine. Elle a constaté, comparativement aux fœtus du même âge issus de mères qui ne consommaient pas  de cannabis, une baisse de plus de 50% des récepteurs de la dopamine.

Les chercheurs ont répliqué l’expérience chez des rats,administrant du cannabis, en fait du THC, à des femelles en gestation. Ils ont constaté que les ratons présentaient (comme les fœtus humains) une baisse du nombre de récepteurs de la dopamine dans leur noyau accumbens.  Ils ont constaté que cette diminution persistait au long cours, puisque les petits ratons devenus grands présentaient toujours cette baisse des récepteurs de la dopamine et qu’ils présentaient une plus grande appétence pour la consommation de produits stupéfiants, que les rats issus de mères qui n’avaient pas reçu de THC pendant leur gestation. Un même constat a été effectué quand des rats géniteurs mâles et femelles, recevaient du THC de façon semi-chronique, avec une longue période d’interruption précédant leur accouplement. Cet héritage épigénétique ne se limite pas à cettevulnérabilité aux drogues, elle concerne aussi une vulnérabilité à la dépression, à la schizophrénie, à des déficiences des capacités d’apprentissage/de cognition, à des diminutions de réponses immunitaires, à l’autisme même, à des malformations congénitales…

Ces connaissances nouvelles doivent interroger chaque consommateur de cette drogue sur ses dangers, et ériger le dogme « Fumer du cannabis ou se reproduire, il faut choisir »… Cette transmission intergénérationnelle des vulnérabilités constitue un véritable problème de santé publique.

L’Académie nationale de médecine a publié un communiqué très important en ce sens il y a six mois afin d’alerter sur les effets épigénétiques de différentes drogues : tabac, alcool, cocaïne, cannabis et sur leurs dangers. 

Une addictologue affirmait que "de Big Tobacco à Big Pharma en passant par Big Marijuana, ce sont les mêmes personnes et le même schéma". Que veut-elle dire ? Dans quelle mesure les géants industriels ont-ils leur part de responsabilité dans les addictions ?

Les mêmes subterfuges sont souvent utilisés pour conquérir un marché, avec la promesse de royalties qui peuvent occulter tout respect de l’humain.

En matière d’industries pharmaceutiques, par nature plus préoccupées par l’éthique que d’autres industries, elles ne semblent pas à l’abri de tentations mercantiles. La crise des opioïdes aux U.S.A. à l’intersection entre certains médecins galvaudant la prescription des analgésiques opioïdes ou opiacés avec les pressions de certains de ces laboratoires qui les produisent, a conduit l’an passé à plus de 100.000 décès (plus que la somme des accidents routiers et des victimes des armes à feu qui défraient tant la chronique). Le nombre de médicaments détournés de leur usage thérapeutique à des fins toxicomaniaques interpelle également.

Dans un registre concernant par nature les addictions, il faut souligner que le fait de fumer du tabac crée une appétence redoublée, par un phénomène épigénétique, pour le cannabis. Si l’on ajoute du cannabis au tabac, cela crée une appétence redoublée pour la cocaïne et pour l’héroïne. Il ne faut dès lors pas s’étonner que le nombre de toxicomanes soit en expansion. Avec les différentes drogues se déroule une véritable course de relais. Elle commence avec le tabac, le relai est passé ensuite au cannabis. Les stimulants arrivent ensuite avec la cocaïne, le crack ; puis le relai est passé à la buprénorphine, le trop fameux Subutex, qui fait l’objet de détournements massifs.Ses « bénéficiaires » vont le revendre à des jeunes toxicophiles, leur ouvrant la porte des agents morphiniques, ils vont même se l’injecter et la porte de l’héroïne pourra s’ouvrir à eux. Il s’agit en l’occurrence d’une des modalités du phénomène d’escalade,longtemps contesté, devenu désormais irréfragable.  

Les industriels du tabac ont rendu celui-ci beaucoup plus addictif. Ils y ont ajouté des chromones, pour en modifier le parfum et la saveur. Ces adjuvants, lors de leur combustion, donnent naissance à des aldéhydes volatiles qui arrivent au cerveau et qui inhibent l’enzyme qui dégrade la dopamine ; intensifiant sa libération sous l’influence de la nicotine ; suscitant un plaisir pplus intense et un déplaisir consécutif plus pénible, incitant très vite à allumer une autre cigarette  

Après avoir pris un certain recul quant au bilan de la légalisation du cannabis aux États-Unis, la France pourrait-elle se permettre de légaliser cette drogue ?

Sachant ce que l’on sait, il serait criminel de légaliser cette drogue. Il existe pourtant un fort très lobbying en France, pour y parvenir. Certains députés Renaissance, LR, PS, EELV, LFI.. ont constitué une mission parlementaire pour le développement du cannabis thérapeutique. La création d’une filière française de production du cannabis est anticipée en cas de légalisation dans ce sens et, rêvant déjà pour élargir ce marché les mêmes envisagent la légalisation du cannabis désigné par euphémisme de « récréatif ». Le lobbying de puissants groupes capitalistes aux aguets s’exerce jusqu’à l’Assemblée nationale, où la fameuse mission parlementaire propose un référendum portant sur la légalisation de cette drogue.  

Quelles sont les dernières études à ce sujet ?

Il y a en cours un simulacre d’étude sur les usages thérapeutiques potentiels du cannabis. Nombre de règles qui prévalaient en matière d’expérimentation clinique de médicaments potentiels y sont négligées, afin de justifier à tout prix l’usage thérapeutique du cannabis. On sait qu’il est le faux nez et le cheval de Troie du cannabis récréatif. Tous les Etats qui l’ont légalisé à des fins « récréatives » sont passés par la case « cannabis thérapeutique »

Que le cannabis ait quelques effets thérapeutiques, c’est indiscutable, mais l’efficacité dans les multiples indications proposées est d’une modestie certaine. En matière de médicament la principale question qui doit être posée est celle du rapport Bénéfices/Risques. Quels bénéfices pourrait retirer de sa prescription le patient pour ses maux, pour sa pathologie et à quels risques l’exposerait-on en lui prescrivant ce produit. En l’état des informations disponibles ce rapport bénéfices / risques est clairement négatif. Néanmoins des études doivent être réalisées d’une façon rigoureuse, à l’abri des influences idéologiques et des pressions économiques ; bref en complète rupture rupture avec le simulacre d’expérimentation actuelle, qui d’ailleurs patine.

Le sujet vous intéresse ?

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !