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De Hugues Capet à François Hollande, l’enjeu de la départementalisation au fil des siècles.
De Hugues Capet à François Hollande, l’enjeu de la départementalisation au fil des siècles.
©Reuters

Bonnes feuilles

Haut fonctionnaire et passionné du Tour de France, Jean-Luc Bœuf a choisi d'évoquer les saisons et l'héritage de la Révolution pour décrire des territoires en pleine mutation. Extrait de "La Nouvelle France - Quatre Saisons Dans Les Territoires" aux éditions Primset (2/2).

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Il n’est pas anodin que le titre d’un roman auréolé du Prix Goncourt ait porté sur la carte et le territoire ! C’était en 2010. Comme si ces questions territoriales traduisaient ou plutôt marquaient concrètement la vie des citoyens, après des décennies voire des siècles d’apparente stabilité. La vision renouvelée de la carte et du territoire aboutit à la prise en compte de l’effacement de l’Etat et de son corollaire, un système administratif conçu pour quadriller l’espace national à travers les préfets dans les départements. La compétition des collectivités pour la maîtrise de leur(s) espace(s) est une constante historique. La nouveauté vient aujourd’hui du rôle moindre de l’Etat, concrétisé par cette mise à l’œuvre du "tout diffus" dans les territoires. Naturellement, d’autres phénomènes sont à prendre en considération. Ils peuvent être politiques, comme la volonté de mettre fin au cumul des mandats, ou économiques, avec la volonté d’organiser au mieux dans les territoires le triptyque "logement – transports – emploi". Le phénomène de métropolisation prend tout son sens concret avec, en derniers exemples emblé matiques, le nouveau Grand Paris, la naissance de la métropole du Grand Lyon ainsi que le projet avorté de fusion des départements alsaciens et de la région en une seule collectivité. 

Au fil des siècles, le pouvoir politique n’est jamais resté indifférent à l’égard du pouvoir régional. S’il a cherché à l’influencer, c’est pour pouvoir en tirer le meilleur parti dans sa logique progressive de construction de l’Etat. Le fil conducteur qui relie Hugues Capet au Second Empire est celui de cette construction progressive de la Nation France autour de "son" Etat. Dès lors, les monarques ont dû lutter contre ces forces centripètes, qu’elles fussent seigneuriales ou émanant des villes franches, qui émergent dès le XIIème siècle. C’est ainsi que l’on a assisté pendant des siècles à ces jeux d’alliances et d’oppositions plus ou moins subtiles entre les monarques emblématiques tels que Philippe Auguste, Philippe le Bel, François 1er ou encore Louis XIV et les pouvoirs qui se dressaient sur leur chemin. Le pouvoir politique a donc cherché à faire rentrer le pouvoir provincial dans son moule intégrateur. Il n’y est bien sûr qu’imparfaitement arrivé. Et c’est en ce sens que la Révolution et l’Empire parachèvent ce long travail de construction. Ainsi, entre la prise en main du pouvoir par Louis XIV contre les Parlements de province et les 130 départements de Napoléon, ce fil conducteur est aisément repérable. 

Le propos est attribué à Mirabeau, au début de la Révolution Française, lorsque la France est qualifiée d’un "agrégat inconstitué de peuples désunis". Le trait est naturellement grossi mais il résume parfaitement l’état de la situation du pouvoir central vis-à-vis des provinces et de leurs territoires ; c’est-à-dire celui de la volonté de parvenir, petit à petit, à construire cet Etat qui ne dépendrait plus du bon vouloir des Parlements, des provinces ou des villes libres. Aujourd’hui, plus de 220 ans après la fin de l’Ancien Régime, il est naturellement des régions qui conservent un rapport quasi-charnel à leur territoire, pour des raisons géographiques et politiques. Géographiques d’une part, lorsque des régions ont été pendant des siècles des territoires de passage. Il en est alors résulté un lien à ce territoire acquis par les monarques (Flandres, Normandie, Comté). Pour des raisons politiques d’autre part, lorsque le territoire a été raccroché pour des raisons d’alliances (Bretagne, Nancy, Dauphiné…). Ce rapport historique au territoire s’est perpétué sous la Troisième République. 

Le pouvoir politique réussit finalement cette synthèse entre le Second Empire et les débuts de la Troisième République : le Second Empire, car c’est ce régime trop souvent méconnu et décrié qui réussit à faire entrer la France dans la modernité industrielle ; la Troisième République car elle uniformise pratiques linguistiques et de comportement éducatif et social, au travers de l’instruction publique et du service militaire égalitaire. Dès lors, avec un pouvoir centralisé, des moyens de communication reliant Paris à l’ensemble du territoire et un contrôle opéré par les " empereurs au petit pied" que sont les préfets, le pouvoir politique décide, organise et contrôle les territoires. Les résurgences provinciales sont ensevelies, sinon éteintes, et la question territoriale s’appréhende à travers la France des départements et des sous-préfectures. L’enracinement communal se double de la volonté d’uniformisation de 1790. Elle fut bien accueillie au départ car elle s’est accompagnée d’une authentique décentralisation des forces et des lieux de pouvoir. Le département est très vite devenu une instance et un nom familier. De son côté, la commune a reçu une pleine existence administrative et a vu rajeunir sa vitalité.

A partir de la Révolution Française, la refonte du territoire s’est donc organisée autour de ces deux termes, opposés et complémentaires, du général et du particulier, du local et du national. Le découpage du territoire sécrète de l’identité. Dès lors, de constants allers et retours vont s’opérer entre deux positions antithétiques, fixées pendant la décennie révolutionnaire. L’une pose en principe l’indivisibilité du territoire et impose son uniformité et l’autre part au contraire de l’hétérogénéité fondamentale du même territoire. Dans ces conditions, les métropoles ou plutôt les grandes villes s’effacent devant les départements alors que l’idée même de province ou de région est bannie. 

L’enjeu de la départementalisation a été, sur la longue durée, de composer avec le legs de la Révolution, puis de promouvoir une certaine idée de la République, et enfin de rechercher objectivité, efficacité et lisibilité. L’unité et l’indivisibilité de la France doivent résider dans son découpage en circonscriptions rationnelles, tout en endiguant la tentation fédéraliste de circonscriptions trop larges et l’anarchie d’un morcellement excessif. L’un des points forts de la Troisième République est donc d’avoir réussi cette synthèse entre les territoires, les terroirs (davantage que les provinces) et le pouvoir central symbolisé naturellement par Paris. Le livre emblématique de tout écolier du tournant du XXème siècle est Le tour de la France par deux enfants, véritable petit livre rouge de la République, qui emmène ses jeunes lecteurs à travers un parcours très historique de la France. Il s’agit à l’époque de réaliser l’unité de la France par les territoires, alors que le régime est en voie d’installation, si ce n’est de consolidation.

Pour prolonger le propos sur ce rapport historique aux territoires, il y a lieu de s’interroger sur les raisons de la pérennité du Tour de France cycliste. L’une des raisons provient de ce lien permanent qui est fait entre les terroirs, vers qui l’on va, et le centre, qui nous y ramène à la fin de l’épreuve. Le binôme que forment les communes et les départements va devenir le socle de l’organisation du pouvoir. La commune sera la cellule administrative de base et le département va devenir une circonscription du territoire favorisant l’émergence des notables et fabricant, plus tard, sa propre notabilité. La Révolution, bourgeoise, de 1789 abolit la province, car totalement identifiée à l’Ancien Régime et découpe le territoire de façon rationnelle en 83 départements. Ceci va ainsi mettre fin à ces territoires et circonscriptions divers qui se chevauchent et empêchent toute vision d’ensemble. 

Les comportements humains ont été pour partie liés à l’évolution économique des territoires. Songeons que la première ligne de chemin de fer a été construite en France près de Saint-Etienne, dans la Loire, afin de transporter minerais et charbon. Pourtant, le pouvoir politique va prendre une orientation diamétralement opposée à celle de l’Angleterre. Outre-Manche, le réseau ferroviaire va progressivement relier les principaux centres industriels. Rien de tout cela en France : le pouvoir politique décide de construire le réseau ferroviaire en étoile autour de Paris, renforçant ainsi un peu plus la centralisation parisienne. Dès lors, des territoires peuplés et industrieux tels que l’Aveyron, l’Ardèche ou la Haute-Saône vont se trouver peu à peu en dehors des couloirs de communication, générant des déplacements vers la capitale. Rappelons que, au recensement de 1851, l’Ardèche comprenait plus de 500 000 habitants ; ce qui en faisait l’un des départements très peuplés. Certaines régions seront ainsi fortement représentés à Paris (les bretons, les aveyronnais…).

Il a fallu attendre la fin des années 2000 pour que la première ligne ferroviaire à grande vitesse ne soit pas reliée à paris : il s’agit de la LGV Rhin-Rhône, mise en chantier au milieu des années grâce à la ténacité de l’alsacien Adrien Zeller et du franc-comtois Raymond Forni. Pour ce qui est des comportements politiques, certaines régions ont longtemps été qualifiées de conservatrices comme l’Alsace ; d’autres plus contestataires tel que le midi viticole ; d’autres encore formant la « ceinture rouge » de la région parisienne des années 1930 aux années 1980. Les centres industriels ont pendant des décennies formé des terres électorales plus favorables à la gauche. Ce n’est plus fortement le cas aujourd’hui. Quant à l’Ouest, terre catholique pendant plus longtemps que d’autres régions, il a évolué lui aussi dans les années 1970. 

Le premier pouvoir qu’incarne le maire est celui de la disponibilité et de la visibilité. Il a été élu pour un mandat de six ans qui lui permet tout à la fois de sortir des visions de court terme et de gérer les actions quotidiennes. Pour changer les choses dans sa ville, il faut au maire cette perception du quotidien, cette volonté de faire passer auprès de ses concitoyens les projets qu’il souhaite réaliser. Rien ne peut se faire naturellement sans l’adhésion de ses habitants. Le regroupement en agglomération induit naturellement des changements, notamment dans l’approche et la résolution des sujets liés à l’urbanisme, aux transports, ou aux gens du voyage. Mais ce besoin de disposer d’un interlocuteur de proximité, en lequel les habitants se reconnaissent, est plus fort que jamais.

"La nouvelle France Quatre saisons dans les territoires" de Jean-Luc Boeuf aux Editions Primset.

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