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Jean-Luc Mélenchon lors de l'université d'été de La France insoumise à Chateauneuf sur Isere, le 28 août 2022.
Jean-Luc Mélenchon lors de l'université d'été de La France insoumise à Chateauneuf sur Isere, le 28 août 2022.
©JEFF PACHOUD / AFP

Universités d'été

A l'occasion des universités d'été d'EELV, du PS et de La France insoumise ce week-end, les différentes formations politiques au coeur de la Nupes ont pu présenter leurs projets pour cette rentrée politique. Face à la majorité présidentielle, la gauche parviendra-t-elle à rester soudée ?

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : De nombreuses personnalités politiques et des militants étaient rassemblés ce week-end dans la Drôme pour l'université d'été de La France insoumise. Les universités d’été d’EELV et du PS avaient lieu quasi simultanément. Quel bilan peut-on tirer des universités d’été de la gauche ? Ont-elles su proposer quelque chose ?

Christophe Bouillaud : Les universités d’été portent bien mal leur nom. On devrait parler plutôt de meetings de rentrée. De fait, ce n’est pas lors de ces réunions que des propositions vraiment nouvelles peuvent émerger, au mieux c’est, en profitant de l’attention des médias nationaux, le moment où chaque parti essaye de mettre en avant pour atteindre le grand public ses idées habituelles.

Par ailleurs, dans le passé, c’était, en particulier pour le PS, le moment où chacun jaugeait les rapports de force au sein du parti et par suite au sein du gouvernement.

Pour ce qui est de cette année, leur concomitance et le fait qu’il n’y ait pas eu de polémiques entre leaders des différents partis de gauche sont la vraie information qu’il s’agissait de faire passer à l’opinion publique. Chacun existe, sans avoir à taper sur son voisin. Ouf, serait-on tenté de dire, si l’on est de gauche. Zut alors, si l’on ne l’est pas.

Jean Petaux : Après la quasi-impossibilité d’organiser les traditionnels rendez-vous que sont les universités d’été des partis politiques, du fait de la pandémie de Covid-19, les formations en question semblent avoir retrouvé leur « appétit de regroupements » en cette fin d’août 2022. Pour les partis de gauche, les bons résultats des législatives de juin ne sont certainement pas pour rien dans cet engouement. La formule de ces « universités d’été » sans être renouvelée fondamentalement, fait de nouveau recette. Elle est basée sur un trépied qui n’a guère changé depuis les « célèbres » éditions du Parti Socialiste à La Rochelle où il fallait en être sous peine de passer pour un looser, un infidèle ou un moins que rien au sein du premier parti de France. Au moins jusqu’en 2012… Le triangle se résume ainsi : « tour de chauffe » (avant la rentrée politique et parlementaire)  - «  buzz médiatique » (couverture journalistique maximale comme il n’y a pratiquement rien d’autre à se mettre sous la dent pour le Moloch médiatique) – « tests de formules » (ou de propositions politiques qui seront déclinées dans les mois à venir). L’appellation traditionnelle, « universités », semble moins prisée par les communicants qui contrôlent désormais la totalité de l’expression des formations partisanes. Sans doute faut-il y voir l’abandon de la dimension « études » et « recherche » qui caractérisait justement la qualification « universitaire ». Aujourd’hui on se doit de parler « djeune ». On a échappé au quasi-inévitable « du coup », mais pas à la fantaisie orthographique « amfi » pour désigner les débats organisés par les Insoumis. Proposons pour les années à venir : « Du coup Les Insoumis au pouvoir » ou encore « Mélenchon du coup ! ». Pour ce qui concerne le fond de ces rencontres, les surprises n’ont pas été vraiment au rendez-vous. Ce n’est encore une fois ni l’objet de ces regroupements ni leur raison d’être. On l’aura compris : pour les formations associées dans la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale le message qui devait être retenu par les médias était partout le même : « nous existons par nous-mêmes et entendons faire entendre notre propre partition mais celle-ci est écrite et sera jouée pendant les mois à venir dans une même tonalité : opposition sans concession à la majorité présidentielle et gouvernementale ». Les mots « opposition radicale », «  vigilance accrue », « arrogance (macronienne) combattue » ont été maintes fois convoqués et employés, prononcés avec toute la solennité qui sied à cette posture pour que les électeurs qui ont voté pour les candidats de la NUPES fassent leur rentrée rassurés sur les intentions de leurs « mandants » : l’opposition sera « radicale » ou ne sera pas ! De ce point de vue-là : mission accomplie.

Dans son discours aux militants rassemblés ce week-end dans la Drôme pour l'université d'été de LFI, Jean-Luc Mélenchon a notamment prôné « une rupture complète avec le système capitaliste » et avec la politique d’Emmanuel Macron. Un nouveau logiciel idéologique susceptible de refonder durablement la gauche a-t-il vraiment été développé ou est-il en train de s’ébaucher avec la Nupes ?

Christophe Bouillaud : Parler de nouveau logiciel idéologique me paraît quelque peu excessif. Tout cela n’est pas très nouveau. C’est plutôt « back to basics » que cette rupture avec le capitalisme. Que serait la gauche du XIXe et du XXe siècle sans cette hypothèse en arrière-plan? Que ce soit d’ailleurs pour y viser directement, ou pour expliquer aux militants et aux électeurs de gauche que, finalement, c’est plus compliqué à faire qu’à dire. Ce retour à l’essentiel est particulièrement vrai pour le PS qui se réaligne encore plus nettement à gauche lors de son université d’été. On pourrait faire remarquer d’ailleurs qu’il s’agit là d’un repositionnement classique pour ce parti de gouvernement quand il se trouve durablement relégué à l’opposition. Que ce soit son leader, Olivier Faure, qui propose au reste de la gauche, de tenter l’aventure d’un référendum d’initiative partagé sur la question des superprofits des entreprises constitue le symbole de cette re-gauchisation. Il ne lui reste donc plus au camarade Faure qu’à clamer bien fort que « Son ennemi, c’est la finance », et, en 2027, à lui la Présidence de la République…Je plaisante.

Plus sérieusement, il existe avec le programme de la Nupes tout un ensemble de propositions qui redéfinissent un horizon pour des politiques publiques de gauche. Comme ce programme résulte largement de celui de FI, l’Avenir en commun, toute la gauche se trouve, si j’ose dire, plus à gauche qu’avant. Vu l’état de la société française et surtout vu les choix politiques du gouvernement actuel, je doute que ce positionnement soit remis en cause dans les mois qui viennent.

Jean Petaux : Jean-Luc Mélenchon parle « son » « Mitterrand » avec toutes les gammes et les nuances de cette langue. A la tribune du Congrès d’Epinay en 1971, François Mitterrand avait aussi prôné une « rupture complète avec le capitalisme ». Au point que l’on rapporte cette saillie de Guy Mollet entendant cette phrase, apocryphe ou non, elle vaut tout simplement par sa justesse au regard de la « suite du film » : « François Mitterrand n’est pas devenu socialiste, il a juste appris à le parler ». Il n’est pas question ici de dire que « Mélenchon n’est pas devenu socialiste », ses états de service et son CV politique montrent qu’il est depuis longtemps un socialiste de conviction. Simplement il parle aussi très bien la langue de la radicalité furibonde et de la surenchère théâtralisée, à en faire tomber en pâmoison son public chéri adoré, tout comme son modèle Mitterrand savait le faire dans ses meetings. Mais cette posture « radicale » ne doit pas être confondue avec son comportement possible au pouvoir. L’histoire politique contemporaine nous montre plus d’une fois que les propos tenus dans l’opposition, «  robespierriens », « jusqu’au-boutistes », appelant à changer radicalement de système, ont souvent été sérieusement érodés à l’épreuve du pouvoir. En tout état de cause la ligne de gauche portée par la NUPES et surtout par Les Insoumis ne peut avoir que des effets d'entraînement (pour ne pas dire de surenchère ou de contagion) pour les autres formations associées à LFI au sein de la coalition NUPES. Ne pas sembler tiède, raisonnable, responsable à l’égard de la majorité gouvernementale : telle est la nécessité sous peine d’être immédiatement voué aux gémonies et suspecté de collaboration avec Macron et ses soutiens.  Tout sauf « social-démocrate » (T2SD) : là est la « voix du salut ». Finalement le voilà sans doute le logiciel idéologique de la gauche désormais : s’opposer encore et encore. Le risque de « porter le chapeau » d’un blocage politique et parlementaire n’est pas bien grand, tant il vrai que les opposants au pouvoir en place exonéreront toujours leur camp politique de toute responsabilité en la matière.

Dans quelle mesure La Nupes demeure-t-elle cantonnée au rôle d’habileté électorale permettant à chacune de ses composantes de pallier ses faiblesses sans rien construire de durable ?

Christophe Bouillaud : Il est vraiment trop tôt pour donner une réponse à une telle question. Par ailleurs, la réponse ne dépend pas tant des acteurs de la Nupes elle-même que des choix d’Emmanuel Macron. Si ce dernier persiste dans son intention de mener à bien des réformes très antisociales, comme celle annoncée sur l’assurance-chômage ou sur  les retraites, à esquiver la gravité et l’urgence de la question écologique, à ne pas montrer que la « fin de l’abondance » ne veut pas dire plus de misère pour les classes populaires, les acteurs de la Nupes n’auront pas de mal à rester unis. Le point fort de leur alliance, c’est en effet  l’aspiration à plus de justice sociale de la part de leurs électeurs. Tout ce que fera Emmanuel Macron pour en finir avec la « modèle social français », sous prétexte de le sauver en plus, renforcera l’unité de ces acteurs.

Jean Petaux : On voit bien que la marge de manœuvre de toutes les formations politiques associées à La France Insoumise est très étroite. Et cela vaut aussi bien pour le PS, que pour EELV ou pour le PCF. Tous sont sous la menace du parti dominant dans ce « quadrige » un peu particulier. Mais sans doute s’agit-il-là d’une première lecture, la plus visible et la plus directe. Comme dans certains textes de littérature il y aussi une « intertextualité », il faut lire entre les lignes et les mots. Dans ce cas, on constate que LFI n’est pas forcément en position très favorable pour les prochaines échéances électorales : européennes d’abord et élections départementales et régionales ensuite. D’ores et déjà les premières escarmouches ont eu lieu pour les élections européennes. Le PS, en passe de vassalisation, apparaît moins « autonomiste » qu’EELV qui réussit fort bien, depuis 2009, dans ce type de compétition. Alors que LFI cherche plutôt à jouer les « passagers clandestins » dans une liste d’union qui lui permettrait de maximiser ses gains, traditionnellement faibles aux européennes, les Ecologistes ont déjà fait savoir qu’ils souhaitent se compter seuls ou alors figurer en position très dominante dans une liste d’union. Il reste, et il faut le mentionner, que lorsque nombre d’observateurs pensait que la NUPES ne tiendrait pas une semaine après le second tour des législatives, cette coalition électorale se maintient. Sans doute n’a-t-elle pas connu encore ses premières grandes tensions et n’a-t-elle pas traversé de zones de turbulences politiques majeures… Il n’est pas inintéressant de souligner ici que, de la même manière que la majorité gouvernementale relative, l’opposition est aussi une minorité finalement assez fragile, fracturée et potentiellement le lieu d’expression de forces centrifuges qui pourraient, elles aussi, la désorganiser.

Face à la majorité présidentielle et à la tentation du recours au 49.3 lors de la rentrée parlementaire, la gauche parviendra-t-elle à rester soudée ? La page des tensions entre LFI, EELV, le PS est-elle définitivement tournée ? Peut-elle l’être durablement sans réussir à proposer un projet durable pour la gauche et pour le pays ?

Christophe Bouillaud : On peut supposer qu’au niveau du Parlement les choses vont continuer comme elles ont commencé : une majorité présidentielle cherchant plus ses appuis à droite et à l’extrême-droite qu’à sa gauche. Cette expérience commune de leur faible prise en compte dans l’arène parlementaire ne peut que rapprocher les différentes composantes de la Nupes.

Pour ce qui est du projet durable pour le pays, il me semble que tous ces partis sont d’accord sur le fait que les plus riches en revenus ou en patrimoine doivent participer plus au financement des dépenses publiques, c’est là un très fort point d’accord. Le gouvernement actuel se fait fort de payer à la fois l’effort de guerre, soit les dépenses militaires et la hausse du coût de l’énergie, et de nouvelles dépenses civiles sans augmenter les impôts ni sans endetter encore plus le pays. C’est à mon sens totalement irréaliste.

Du coup, au nom même de finances publiques saines, les acteurs de la Nupes auront beau jeu de vouloir faire payer beaucoup plus ceux qui en ont vraiment les moyens. Plus profondément, la Nupes peut s’affirmer dans la crise qui vient comme le camp de la défense des besoins collectifs : défense, éducation, santé, environnement, etc.La majorité actuelle a en effet réussi à laisser tant de besoins collectifs en jachère depuis 2017 qu’il n’est pas très difficile de se proposer à l’électorat comme ceux qui veulent faire mieux avec plus, contre ceux qui prétendaient faire mieux avec moins et qui n’ont réussi qu’à faire bien pire.

Jean Petaux : Votre question prolonge mon propos. Si l’on regarde dans le passé le sort des « unions politiques », électorales et/ou programmatiques, on trouve des situations politiques différentes. En 1967, la Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste (FGDS) qui regroupait la SFIO, le Parti radical-socialiste, la Convention des institutions républicaines (le parti de F. Mitterrand lequel présidait d’ailleurs la FGDS) et quelques autres « clubs » ou « cercles » d’inspiration social-démocrate, et qui était bien plus proche en voix de la majorité parlementaire que ne l’est la NUPES aujourd’hui, puisque le gouvernement Pompidou ne « tenait » que par 7 voix de majorité et grâce aux « Indépendants » de VGE, la FGDS donc n’a pas survécu à la « tempête » des événements du Printemps 1968. Encore ne s’agissait-il là que d’une coalition électorale sans véritable contenu programmatique. Bien plus « soudée », l’Union de la Gauche entre 1972 et septembre 1977, matérialisée par un « Programme commun de gouvernement » n’a cessé d’être le théâtre d’une concurrence interne forte entre les trois partis « coalisés » : le PCF, largement dominant au moment de la signature en 1972 s’est retrouvé méchamment dominé par le PS lors de la rupture cinq ans plus tard. Ce dernier était magistralement dirigé par un Mitterrand au sommet de son art. Le Mouvement des Radicaux de Gauche du « pharmacien de Villefranche-du- Rouergue » Robert Fabre faisait plutôt figure de « petit Poucet » dans ce « trouple » comme on ne disait pas encore à l’époque. Avec un gag en forme de conclusion, en septembre 1977 : devant les trois « pauvres » caméras des chaînes publiques de télévision, c’est Fabre qui pousse Marchais, le patron du PCF, pour parler en premier et pour dire que l’Union de la Gauche a vécu. Celle-ci n’aura jamais fait en sorte d’empêcher que le slogan partagé par les trois partis protagonistes soit « L’Union est un combat ». Autrement dit : « pendant le programme commun, la concurrence entre nous se poursuit ». C’est exactement ce qui se passe avec la NUPES… Les plus lucides, les plus réalistes et les amateurs du grand Serge « à la tête de chou » considéreront ici aussi que « Je t’aime moi non plus » est certainement le mot d’ordre qu’aucune et aucun n’assumeront publiquement que toutes et tous feront leur.

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