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​Droite année zéro : mais d'où vient cette incapacité du gaullisme à engendrer une élite digne de le recevoir en héritage ?
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Figé dans le temps

Du fait de son rôle historique dans la formation du cadre de notre activité collective, la droite gouvernementale porte une responsabilité particulière dans son présent démantèlement. Première partie d'une autopsie de l'héritage compliqué du gaullisme.

Alexis Carré

Alexis Carré

Alexis Carré est doctorant en philosophie politique à l'ENS (travaillant sur le libéralisme et la question de la guerre).

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L'échec de la formation majoritaire à droite lors du dernier scrutin présidentiel marque indéniablement un moment important dans l'histoire de la Cinquième République. L'éviction des Républicains, lointains héritiers de l'UNR, parti fondateur du régime, et du PS, celui de sa consolidation pacifique, ne saurait rester sans conséquences profondes. Mais plus encore, la dispersion de l'électorat, si elle se confirme lors des élections législatives de juin, pourrait nous amener vers une parlementarisation des institutions contre laquelle ce même régime avait pourtant été tout spécialement conçu. Un tel paradoxe pose question.

Du fait de son rôle historique dans la formation du cadre de notre activité collective, la droite gouvernementale porte une responsabilité particulière dans son présent démantèlement. S'interroger sur l'incapacité de la droite française à incarner les valeurs libérales et démocratiques qui fondent l'identité occidentale moderne, c'est-à-dire s'interroger sur son incapacité à contrôler, enrayer puis inverser la croissance de la bureaucratie, des déficits publics, du communautarisme, des instances non-représentatives etc. c'est, par nécessité, être amené à interroger l'héritage gaulliste à partir duquel elle s'est construite. La tâche est d'autant plus difficile que nous devons au gaullisme un certain nombre de décisions dont nous reconnaissons encore les bienfaits. Que ce soit la restauration de l'unité nationale, la gestion du péril révolutionnaire communiste, l'élaboration d'un régime républicain stable, la décolonisation, la reconstruction et la modernisation du pays, les conséquences de cet événement politique ont dévié durablement, et pour le meilleur, la trajectoire de la France. Au regard de cet âge d'or, toute référence contemporaine risque de paraître pâle au point d'échapper difficilement à l'accusation de trahison. D'où vient cette incapacité du gaullisme à engendrer une élite digne de le recevoir en héritage ? Comment expliquer l'échec de celle qu'il a produite à intégrer avec bonheur la France dans le nouvel ordre mondial ?       

Le gaullisme se voulait une réponse à l'esprit d'abstraction — ce que de Gaulle et d'autres ont appelé le goût français des idées générales — et à l'inefficacité des institutions qu'il avait produites. Contre les causeries et les dissipations des assemblées républicaines, il visait à réunir entre les mains de l’État le maximum d'instruments permettant l'action publique légitime, de telle sorte à restaurer par un pouvoir central énergique et efficace la capacité d'action dont l'absence avait manqué à la grandeur, et plus gravement à la sûreté, de notre pays. En conséquence de quoi il s'est avant tout appuyé sur des savoirs positifs et des loyautés concrètes, sur la technocratie et des notabilités politiques plutôt que sur des idées abstraites et des partis. Notre peinture ne serait pas fidèle sans ajouter à cela la question référendaire. Elle assurait en effet, ou, donnait plutôt le signe, qu'il existait une relation spéciale entre le représentant politique et le corps des citoyens. Néanmoins la pratique n'eut de sens qu'avec de Gaulle, elle ne concerne donc pas la génération de dirigeants qui a suivi, bien qu'ait disparu avec elle le plus puissant des contre-pouvoirs prévus par la constitution pour assurer le caractère démocratique des décisions engendrées par la structure et la hiérarchie mettant en relation hommes politiques et fonctionnaires.

Fétichisme juridique :

En tant que réponse, dans le texte de sa constitution, la cinquième République paraît en effet corriger tous les vices des régimes précédents ; elle semble être un édifice dédié à la décision, à l'énergie et à l'efficacité. Mais si les lois constitutives d'un nouveau régime sont certes importantes parce qu'elles encadrent la façon dont s'effectuera le travail du gouvernement, elles le sont bien davantage eu égards aux hommes qu'elles produisent et qui détermineront dans une large mesure la manière dont lesdites lois s'appliqueront ensuite au quotidien. Si l'on se focalise sur le premier aspect on se fait du régime considéré une idée tout à fait éloignée de la réalité. En prenant notre exemple, on pensera que le président est, sous notre constitution, doté de pouvoirs exceptionnels. Or ce n’est qu’en prenant en considération le second aspect que l'on identifie les causes de leur fonctionnement concret : l'impuissance chronique de l'exécutif à engendrer de véritables réformes. D'un côté la fonction de la loi est de commander ou de permettre une certaine action, et c'est là certes une fonction importante, mais elle n'est rien si l'on ignore cette autre fonction qui est de former l'ensemble des citoyens, mais aussi une classe d'individus en particulier, au commandement. Considérer la constitution sous un angle purement formel et abstrait, indépendamment des caractères qu’elle forme, c'est littéralement croire que la guérison vient de la lecture de l'ordonnance plutôt que de l'achat et de la prise du médicament.

Changement de nature du régime avec la mort du général de Gaulle :

Mais avant d'entrer dans l'étude des caractères formés sous cette constitution il est important de souligner que de Gaulle avait en partie conscience de cela, puisqu'il s'est bien gardé de faire une constitution parfaite mais inapplicable ; seulement, dans un esprit typiquement physiocratique, applicable signifiait, pour lui : « facilitant la seule action de l'exécutif » au mépris de toutes les actions qui ont lieu librement au sein de la société. L’autre critique qui peut lui être adressée sans réserve est de ne s'être pas soucié, en créant ainsi de nouveaux pouvoirs à l’État, de former ses successeurs à en user aussi bien qu'il avait été capable de le faire. À aucun moment les lois de la Cinquième République ne posent la question du sens politique des dirigeants qu'elles placent à sa tête, à aucun moment le processus de sélection de la classe politique ne contraint ceux qui s'y engagent à manifester les qualités qui seront nécessaires à l'exercice des pouvoirs qu'il décerne. Pour prendre l'exemple le plus notable, la porosité de l'administration et du monde politique devait initialement fournir un vivier de ministrables compétents et peu politisés à un président élu au suffrage universel (à partir de 1962) et monopolisant la légitimité populaire — au détriment de ses collaborateurs. Bien sûr, de Gaulle avait toutes les ressources, tant en termes de légitimité que de caractère, pour tenir ces serviteurs compétents à leur place ; mais en introduisant cette porosité — largement inconnue des autres démocraties occidentales — il a fondé un régime où personne, dans le groupe au sein duquel sont puisés les dirigeants, ne peut se prévaloir des qualités nécessaires pour faire de même.

Populisme contre statu quo :

Il n'est donc pas étonnant qu'après sa disparition, ou peut-être celle de Mitterrand (c'est-à-dire avec la disparition des personnalités politiques formées au sein du régime précédent), n'ont émergé que des candidats incapables de posséder en même temps la loyauté des institutions et la volonté de les maîtriser. La loyauté des institutions n'est allées qu'aux candidats qui en émanaient tandis que la volonté de les maîtriser devint mécaniquement le monopole de ceux dont le programme, pris à la lettre, équivalait à un changement de régime (à l'extrême gauche et à l'extrême droite par conséquent). Ces derniers oubliant généralement que cette loyauté est indispensable aux réformes radicales qu'ils se targuent d'imposer — sans la coopération de segments importants de la haute fonction publique, Thatcher n'aurait jamais pu appliquer son programme. Jusqu'à aujourd'hui on ne peut d'ailleurs pas vraiment dire que de tels candidats radicaux aient existé, mis à part au moment des élections présidentielles. Puisque, en ce qui concerne les hommes politiques briguant d'autres mandats, la porosité agit dès le début de leur carrière politique. La surreprésentation de la fonction publique au sein de nos élus diminue en effet l'espace, indépendant de l'administration, au sein duquel pourraient se construire une légitimité et une autonomie suffisantes pour en rester le maître une fois élu — l'élection à la présidence supposant une coalition large et le plus souvent une carrière politique longue. On ne manquera pas pourtant de faire remarquer que les candidats les plus populaires, et ce fut le cas de Sarkozy, ont reçu le soutien de leur électorat précisément parce qu'ils jouaient la société contre l’État ; on retorquera que cette aspiration au changement est rassurante quant à l'état d'esprit des français, tout en regrettant qu'elle serve, au moyen d'un populisme systémique, à exercer le temps de l'élection un chantage dont l'objet n'est rien d'autre que la prise de pouvoir. 

La seconde partie est à lire ici

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