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Cure de séries télévisées : comment la mise en scène de plus en plus de héros atteints de maladie mentale aide les personnes qui en souffrent
©Capture Youtube

"I'm fine, I'm fine, I'm fine !"

Carrie Mathison, Dexter, Sheldon Cooper... En mettant en scène des héros atteints de troubles psychologiques, les nouvelles séries télévisées sont d'un grand secours aux patients souffrant de maladies mentales, qui restent un sujet tabou en France.

Raphaël  Gaillard

Raphaël Gaillard

Raphaël Gaillard est professeur de psychiatrie à l'Université Paris Descartes et chef de pôle à Sainte Anne, vice président de la Fondation Pierre Deniker pour la recherche et la prévention en santé mentale

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François Jost

François Jost

François Jost est professeur à l’université Paris III où il dirige le Centre d'Etudes sur l'Image et le Son Médiatiques (CEISME). Il enseigne l’analyse de la télévision et la sémiologie audiovisuelle.

Il est l’auteur, entre autres, de L’Empire du Loft, la suite  (La Dispute, 2007), De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ? (CNRS éditions, 2011), Les Nouveaux méchants. Quand les séries américaines font bouger les lignes du Bien et du Mal (Bayard 2015), Breaking Bad. Le diable est dans les détails (Atlande 2016).

Il dirige également la collection A suivre sur les séries aux éditions Atlande.
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  • Alors qu'elles sont ultra-fréquentes, les maladies mentales sont encore taboues en France, et restent très fortement stigmatisées.

  • Les séries télévisées qui mettent de plus en plus en scène des héros atteints de maladie mentale aident les patients à : retrouver une image positive d'eux-mêmes, sortir de leur isolement et parler de leurs souffrances.

  • Pour dédiaboliser les maladies mentales, les séries TV sont bien plus efficaces que n'importe quel autre moyen de communication.

Mathilde  Debry : Dexter, Tony Soprano (sociopathes), Sheldon Cooper (syndrome d'Asperger), Adrian Monk (victime de TOCS), Docteur House (addiction aux médicaments), Carrie Mathison (bipolaire), Don Draper (dépressif)... Depuis les années 2000, rares sont les héros de séries télévisées qui ne souffrent pas de troubles mentaux. Pensez-vous que ces mises en scène puissent aider les personnes souffrant de troubles mentaux à mieux accepter leur maladie ? 

Raphaël  Gaillard : Les scénaristes des séries TV ont en effet beaucoup progressé dans la manière de présenter les maladies mentales, ce qui aide à mon sens énormément nos patients.

D'abord parce que, très loin du film "Vol au-dessus d'un nid de coucou", ces nouveaux héros de séries TV souffrant de troubles mentaux redonnent une image positive d'eux-mêmes à nos patients. En effet et bien que les maladies mentales soient extrêmement courantes, en souffrir est encore très stigmatisé dans le grand public. La schizophrénie est par exemple systématiquement associée dans l'imaginaire collectif à des personnes dangereuses, voire à des meurtriers. A tort bien sûr. Sur ce point, des héros comme Carrie Mathison (bipolaire) dans Homeland montrent que même si ce n'est pas facile, souffrir d'une maladie mentale n'est dans la plupart des cas ni dangereux (l’héroïne travaille pour la NSA), ni marginalisant si on est bien suivi médicalement (l'héroïne fonctionne très bien lorsqu'elle prend son traitement). Cela peut même, dans certains cas, être un atout : lors de ses crises de bipolarité, Carrie Mathison est beaucoup plus créative que les personnes ne souffrant pas de troubles mentaux, ce qui lui permet de déjouer un projet d'attentat terroriste.

Ces nouvelles séries TV mettant en scène des troubles mentaux permettent en outre aux patients de se sentir moins seuls face à leurs souffrances. Encore aujourd'hui, être atteint d'une maladie mentale est volontiers tabou, au point que ceux qui en sont victimes n'osent en parler à personne : ni à leurs amis, ni à leurs collègues, voire à leur famille...

La thérapeute Emilie V.Gordon explique aussi que ses patients ex-toxicomanes se servaient de séries TV très prenantes, telle que "The Walking Dead", pour ne pas rechuter, car l'envie de voir le prochain épisode était plus fort que l'appel de la drogue. Elle affirme également que les séries TV mettant en scène des maladies mentales aidaient les patients fans de la série à se retrouver entre eux et à former des communautés d'entraide. Etes-vous d'accord avec cette analyse ?

Raphaël  Gaillard : Je ne suis pas convaincu par le fait que les séries TV aident les patients ex-toxicomanes.

En revanche, je pense qu'il est vrai que ces nouvelles séries TV poussent les personnes atteintes de troubles mentaux à se rendre compte qu'elles ne sont pas toutes seules à en souffrir, donc à faire naturellement des démarches pour retrouver des malades qui leur ressemblent, et à se rassembler autour de cette figure d’identification que constitue un personnage de série. 

Cette démarche communautaire est assez développée aux Etats-Unis, où beaucoup d'associations de patients et de thérapies de groupe sont nées ces dernières années.

Les maladies mentales sont le premier poste de dépense en santé publique aujourd'hui en France, et 1 personne sur 3 déclare avoir déjà souffert d'un trouble d'ordre psychologique. L'arrivée de héros de séries TV souffrant de troubles mentaux aide-t-elle selon vous à faire prendre conscience à la population française que les maladies mentales sont des problèmes de santé très courants, et ainsi à faire évoluer le regard porté sur les malades souffrant de troubles mentaux ? Est-ce plus ou aussi efficace qu'une campagne de santé publique selon vous ?

Raphaël  Gaillard : Je pense que ces séries TV sont bien plus efficaces que n'importe quel autre moyen de communication, car elles humanisent la maladie mentale, là où les campagnes de santé publique ne renvoient qu'à des statistiques et des symptômes.

Plus généralement la mise en scène de maladies mentales dans les séries américaines va de pair avec la complexité des héros de ces séries, qui ont désormais une psychologie beaucoup plus riche que par le passé. C’est salutaire, et passionnant.

Comment expliquez-vous cet engouement des producteurs de séries TV pour la mise en scène de troubles mentaux ?

François Jost : Plusieurs évolutions peuvent expliquer l'engouement des producteurs de séries TV pour la mise en scène de troubles mentaux.

La première explication est que les scénaristes des séries TV ont évolué dans la manière de construire leurs personnages principaux. Avant, le personnage de séries TV était construit autour d'un seul trait de caractère, qu'il gardait tout au long du scénario de la série TV. Le gentil restait gentil, le discret restait discret, le méchant restait méchant, ect etc... Aujourd'hui, le personnage de série TV est construit autour d'un profil psychologique beaucoup plus complexe, qui évolue au fil du temps. Don Draper (dépressif) ou encore Dexter (sociopathe) sont par exemple successivement gentils, méchants, sains d'esprit, en pleine crise de folie, ect etc... Cela permet au public de mieux s'identifier aux héros, car comme nous, ils ne sont pas parfaits. C'est beaucoup plus facile de se comparer à une Carrie Mathison (bipolaire et célibataire sans enfant) qu'à une Julie Lescaut ou à un Navarro, qui réussisent dans tous les domaines de leur vie, de la résolution d'enquêtes policières à leur couple en passant par l'éducation des enfants.

Les maladies mentales permettent aussi aux scénaristes de séries télévisées de construire des scénarios plus subtils, plus longs, plus riches en rebondissements et en suspens, et ainsi de mieux captiver le public, qui découvre peu à peu les multiples facettes du ou des héros de la série.

Enfin, la science de la psychanalyse s'est aussi beaucoup popularisée ces dernières années, à travers les magazines féminins notamment. Les notions de "névrose", de "traumatisme", de "psychothérapeute" ou "d'antidépresseurs" font désormais sens pour le public, ce qui n'était pas du tout le cas avant. La construction des personnages repose donc sur des secrets enfouis, sur des traumatismes, que peu à peu les événements vont révéler. 

Comment les scénaristes de séries TV arrivent-ils désormais à susciter l'empathie du public pour leurs héros souffrant de maladie mentale ?

François Jost : D'abord, il y a eu l'apparition de la "voix over", appelée aussi à tort "voix off", qui est maintenant dans presque toutes les séries TV : Desperate Housewives, Le Destin de Lisa, Grey's Anatomy, Dexter... Ce procédé nous permet d'être en permanence dans la tête des personnages et de voir à quels conflits psychologiques ils peuvent être confrontés, donc de mieux comprendre leur action, ce qui humanise très fortement les héros, y compris ceux atteints d'une maladie mentale.

Ensuite, tous les héros de séries TV atteints d'une maladie mentale sont victimes d'un traumatisme de leur passé, ce qui les excuse pour beaucoup de leurs actes. Dexter a vu ses parents découpés en morceaux quand il était petit, Don Draper a vécu la guerre de Corée, Carrie Mathison hérite de la maladie de son père qui l'a conduit à divorcer de sa mère...

Par ailleurs, comme je le développe dans mon livre "Les nouveaux méchants - Quand les séries américaines font bouger les lignes du Bien et du Mal" (Bayard), les scénaristes des séries TV construisent désormais leurs personnages en fonction de trois "strates" : la situation professionnelle, la vie privée et les valeurs morales. Ainsi, aucun héros de séries TV souffrant de maladie mentale n'est tout blanc ou tout noir. Dexter ou Walter White sont en soi des meurtriers, mais à côté de cela, ils ont une famille qu'ils aiment et qu'ils protègent, ou encore des valeurs morales importantes. Dexter supprime uniquement des personnes qui tuent des innocents, par exemple. La seule fois ou il se trompe et assassine un innocent, il en est mortifié.

A contrario, avez-vous un exemple de héros d'anciennes séries TV souffrant de maladies mentales mis en scène de telle manière qu'il soit impossible d'éprouver de l'empathie pour le personnage ?

François Jost : Il ne souffre pas de maladie mentale, mais je citerais comme exemple John Ross (JR) Ewing, redoutable homme d'affaires et manipulateur sans scrupules de la série Dallas, qui est l'incarnation parfaite de ce que pouvait être un "vrai méchant" dans les anciennes séries TV : il est méchant dans toutes les sphères de sa vie (personnelle, professionnelle) et n'a aucune valeur morale. 

Je citerais également les autres personnages sociopathes que Dexter assassine. Comme le héros, ils souffrent de maladies mentales, mais les scénaristes les mettent en scène de manière à ce qu'ils ne suscitent aucune empathie chez le public. Pour ce faire, ils ne leur attribuent aucune valeur morale, en leur faisant assassiner la plupart du temps des membres de leur famille (la mère du tueur, la sœur...).

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