Curé de campagne : le grand pardon, à chacun sa formule<!-- --> | Atlantico.fr
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Un prêtre catholique écoute la confession d'une femme, alors que d'autres fidèles attendent leur tour dans leurs voitures, devant l'église San Francisco de Asis, à Santiago, au Chili, le 5 mai 2020.
Un prêtre catholique écoute la confession d'une femme, alors que d'autres fidèles attendent leur tour dans leurs voitures, devant l'église San Francisco de Asis, à Santiago, au Chili, le 5 mai 2020.
©CLAUDIO REYES / AFP

Bonnes feuilles

Christophe Bazin et Charles Rouah ont publié Curé de campagne aux éditions Robert Laffont. À quoi ressemble la vie d'un curé de campagne ? À l'heure de la désertification et des crises de conscience, celui-ci a-t-il encore un rôle à jouer ? Le père Christophe Bazin en est convaincu. En charge d'une soixantaine de villages et d'une cinquantaine d'églises, il s'est mis au service des fidèles, notamment des plus fragiles, et parcourt chaque jour des kilomètres pour leur apporter son soutien. Extrait 2/2.

C’est bien d’un cadeau que je veux parler : offrir la possibilité à chacun de faire naître la vérité dans sa vie et de recevoir le pardon de notre Seigneur. De renouer avec la dynamique divine, d’avoir la conscience tranquille et de retrouver l’harmonie dans ses relations. Ce cadeau, c’est le sacrement du pardon. Dans l’Église catholique, voilà un acte qui nécessite la présence physique d’un prêtre ou d’un évêque. Un échange d’une richesse inouïe pour le prêtre que je suis et, je l’espère, pour le pénitent qui se trouve en face de moi. Oh, bien sûr, ce que je vous dis là semble à contre-courant des idées de la société : se confesser dans l’imaginaire collectif apparaît comme une épreuve, parfois un calvaire, marqué souvent d’a-priori négatifs. Mais le temps est révolu où l’emprise sur les consciences se vivait là ! Ils seraient nombreux à témoigner au contraire de la grande libération vécue dans le sacrement du pardon. Être entendu dans une souffrance, n’est-ce pas une grâce ? Être pardonné par Dieu, engager une démarche de réconciliation avec un proche, n’est-ce pas le gage d’une paix intérieure ? Les larmes de peine font parfois place aux larmes de joie tant le Seigneur est efficace dans ces moments.

Quand on essaie de suivre Jésus, de l’imiter et de l’aimer, il faut reconnaître qu’il ne faut pas relâcher ses efforts. Et dans ma vie, je fais le constat qu’il y a encore bien du chemin à faire. C’est pourquoi je demande moi aussi régulièrement le sacrement du pardon. Je peux déposer là les tensions qui m’habitent, mon péché, mes doutes, et demander au Seigneur de me renouveler, de me pardonner, de m’inonder de son amour. Car je sais que prendre le temps de relire ma vie à la lumière de l’amour de Dieu et de sa parole me permet de voir ce qui n’est pas ajusté dans mon existence, ce qui est de l’ordre du péché… Et je fais l’expérience, en l’exprimant succinctement au prêtre qui est en face de moi, que je suis coupable et que cela me rend triste. Triste d’avoir choqué un paroissien en lui ayant répondu sèchement sans charité, triste de ne pas avoir écouté vraiment telle personne, triste de m’être emporté et d’avoir blessé telle autre. Je ressens cette tristesse souvent amèrement, mais c’est ensuite la joie de recevoir cette parole d’une force incroyable : «Et moi, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, je vous pardonne tous vos péchés.» Celle-ci me remplit parfois d’une joie profonde immédiate, d’autres fois je suis juste en paix. Cela me fait toucher concrètement cette phrase du psaume 50, psaume de pénitence par excellence : «Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne.» (Psaume 50, verset 14). Oui, je ressens joie et paix ! Oui, je repars rechargé de la bonté de Dieu, prêt à changer, motivé pour demander pardon à ceux que j’ai blessés.

Dans un quotidien marqué par de nombreuses réunions, j’attends avec impatience ces moments qui constituent le cœur de notre ministère : annoncer un Dieu Père miséricordieux avec tous. Je suis toujours heureux de retrouver ma mission sur le terrain et de me rendre à une célébration pénitentielle, où le pardon de Dieu est donné. En fait, dans l’année, nous proposons trois formules différentes. Je précise, à toutes fins utiles, que ce ne sont pas des « offres exclusives », puisque à tout moment un chrétien peut demander à un prêtre la réconciliation. Cette disponibilité permet de répondre aux urgences, comme si nous étions à l’hôpital, car pour certains il est vital de recevoir rapidement le soin de Dieu. D’ailleurs, je me suis émerveillé de cette formule du pape François, lors d’une interview pour des revues culturelles jésuites en août 2013 : «Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Église aujourd’hui, c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol ou si son taux de sucre est trop haut! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons aborder le reste. Soigner les blessures, soigner les blessures… Il faut commencer par le bas.» Faire jaillir la vérité, soigner ses blessures, réentendre le pardon de Dieu peuvent être salutaires. Aussi, à Luxeuil, avons-nous mis en place une permanence de confession, tous les mercredis à dix-huit heures, juste avant la messe à la basilique. Il s’agit là de l’une de nos trois propositions. Ce temps de pardon individuel me permet de nouer le dialogue avec les fidèles. Je les écoute, je cherche avec eux de nouvelles portes face aux impasses rencontrées dans leur vie, et je peux les encourager dans leur recherche sur le chemin vers Dieu. Dans ces moments, je me sens vraiment à ma place, accompagnant sans juger, à l’écoute; je deviens plus ou moins le «médecin» des âmes, pour continuer de filer la métaphore de l’hôpital de campagne.

Dans l’année liturgique, le peuple de Dieu prépare la fête de Noël et celle de Pâques en se mettant en état de conversion. Les temps de l’Avent et du Carême sont ainsi privilégiés pour que chacun puisse recevoir le sacrement de réconciliation. Pour un chrétien, progresser dans la vie consiste en effet à laisser passer l’amour de Dieu et recevoir son pardon. Pour cela, en se retournant sur sa vie, il reconnaît son péché, le mal adressé aux autres. Au moment de l’Avent, nous organisons quatre grandes célébrations. Au programme : rassemblement, chants, lecture d’une parole de Dieu, examen de conscience, puis rencontre rapide avec le prêtre qui accorde le pardon ; final en récitant ensemble un Notre-Père et en chantant notre joie d’être lavés de nos péchés. Et… de repartir du bon pied. Une cérémonie tout ce qu’il y a d’habituel, que l’on retrouve dans toutes les paroisses de France et du monde. C’est la formule classique, avec un «menu» pour tous, au même moment.

Pour le Carême, au mois de mars, c’est un peu différent, nous proposons une formule plus originale : l’après-midi miséricorde. Cette fois-ci, le menu est à la carte, et chacun est autonome dans sa démarche. Les enfants et les jeunes y trouvent des ateliers qui leur sont spécialement destinés, ils déambulent tout curieux dans les grands espaces de l’église. C’est ainsi qu’ils apprivoisent le lieu et le prêtre qui les reçoit… Cet édifice devient leur maison, et le prêtre leur confident bienveillant. À cette occasion, l’église est rendue accueillante, chaleureuse, et nous y installons une dizaine d’ateliers qui préparent au sacrement du pardon. L’un d’entre eux s’attache à faire (re)découvrir un passage biblique – j’ai pu, par exemple, proposer celui du « fils prodigue », un texte qui permet de parler de réconciliation à travers la relation tumultueuse d’un fils et de son père. Un autre espace est dédié à la diffusion d’une petite vidéo, pour mieux comprendre le texte. Un autre lieu, plus feutré, permet d’entrer en prière en s’appuyant sur une œuvre d’art représentant les retrouvailles de ce père avec son fils cadet. Un atelier coloriage de la scène stimule les enfants. Une chapelle offre un cadre propice pour se retrouver face à Dieu dans l’adoration eucharistique. Toutes ces propositions sont réparties dans l’espace d’une église et se déroulent sur une demi-journée. Chacun peut venir quand il le veut, pour la durée qu’il veut, et avancer dans l’ordre de son choix. Et puis, enfin, chacun peut recevoir le pardon de Dieu. En général, nous sommes quatre ou cinq prêtres, certains venant de l’extérieur du doyenné, disponibles en aube et en étole violette pour accueillir, écouter, dialoguer, et donner le sacrement. Le pardon de Dieu, je ne peux me le donner moi-même, il doit être reçu. En dialoguant avec un prêtre, les fidèles bénéficient d’un soutien éclairé pour entrer en conversation avec le Tout-Puissant, et vivre une conversion. Le sacrement du pardon transforme vraiment celui qui le reçoit, j’en suis témoin. Je pense à cette femme âgée qui, toute renfermée, a retrouvé goût à la vie suite à ce sacrement. Elle avait besoin d’être entendue dans sa douleur, alors que son mari, désormais décédé, l’avait violentée. Il lui fallait en parler pour que la vie l’emporte, et ainsi tourner cette page douloureuse. Je pense à ceux qui viennent offrir des confessions «ordinaires». Ils n’ont pas commis de choses graves, mais sentent que l’amour de Dieu les pousse à faire mieux. Mieux aimer les autres, mieux soutenir leurs enfants, mieux entrer en relation avec le Seigneur, mieux vivre la charité autour d’eux. Des chrétiens ordinaires, qui se reconnaissent simplement pécheurs et qui sollicitent l’aide de Dieu. Quand une personne me confesse ne plus s’entendre avec un membre de sa famille, lui avoir fait volontairement du mal, je l’invite à une pénitence, c’est-à-dire un acte de réparation. Par exemple je lui demande d’aller vers cette personne, de reprendre le dialogue, de prier pour elle, voire d’oser une parole ou un geste de pardon. Encore faut-il être prêt! La réconciliation est impossible si chacun ne parcourt pas un bout de chemin pour aller vers l’autre. Les enfants, parfois très sensibles au bien et au mal, mesurent bien que pardonner et être pardonné sont les deux faces d’une même réalité.

Pour satisfaire le plus de monde possible, j’organise deux après-midi miséricorde lors du Carême, situées dans deux lieux différents du doyenné. La première à la basilique de Luxeuil, l’église majeure du doyenné, la seconde à l’église de Corbenay, un village situé à une quinzaine de kilomètres. Là encore, cette mutation a donné lieu à d’importants débats au sein de nos communautés chrétiennes et entre les prêtres eux-mêmes. Certains souhaitaient vivre le sacrement sur le modèle de ce qui se faisait dans les situations exceptionnelles, comme en temps de guerre ou de catastrophe, alors que les prêtres se retrouvaient submergés par les demandes de confessions. Dans ce cas, le pardon était accordé par une absolution collective, sans que les gens aient à exprimer oralement leurs péchés. À l’époque, les arguments n’étaient pas dénués d’intérêt, puisque le prêtre ne pouvait matériellement pas confesser individuellement les fidèles, tant il y en avait. Et puis, ces derniers pouvaient interpréter la démarche individuelle comme une emprise sur leur conscience. Il est vrai que l’Église a pu se montrer écrasante, moralisatrice, profitant de son pouvoir. Nous en sommes tristement conscients au vu des multiples abus révélés de par le monde. Aujourd’hui, je ne vous cache pas que les files d’attente pour recevoir le pardon se sont bien réduites! Il me faudra poursuivre la remise en valeur de ce sacrement. Nous sommes maintenant de fait plus à distance, notre emprise s’est très nettement amenuisée. D’ailleurs, en ce qui me concerne, je ne confesse jamais des gens qui me sont trop proches et je sais que nous sommes de plus en plus nombreux à adopter cette attitude – au point de faire venir des prêtres extérieurs au doyenné pour confesser les paroissiens que nous connaissons trop bien ou avec lesquels nous collaborons. L’important étant de ne pas aliéner notre liberté de jugement et ne pas dévoyer le secret de la confession.

Tout n’est pas toujours simple au cours de ces rencontres. Certains viennent avec des vies cassées, brisées, portant des poids bien trop lourds pour eux. Un certain nombre, après avoir reçu le sacrement, souhaite un accompagnement dans la durée.

Extrait du livre de Christophe Bazin et Charles Rouah, « Curé de campagne » publié aux éditions Robert Laffont

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