Culture : la production française mérite-t-elle vraiment un conflit diplomatico-commercial avec nos partenaires ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'exception culturelle n'a pour but d'"entretenir une danseuse" pour la France, mais plutôt de défendre un moyen de transmission de valeur pour l’ensemble des peuples.
L'exception culturelle n'a pour but d'"entretenir une danseuse" pour la France, mais plutôt de défendre un moyen de transmission de valeur pour l’ensemble des peuples.
©Reuters

Exception culturelle

La France a accepté vendredi 14 juin que l'Union européenne engage des négociations sur l'accord de libre-échange avec les Etats-Unis, après avoir obtenu l'assurance que son "exception culturelle" ne serait pas menacée.

Olivier Amiel

Olivier Amiel

Olivier Amiel est avocat, docteur en droit de la faculté d’Aix-en-Provence. Sa thèse « Le financement public du cinéma dans l’Union européenne » est publiée à la LGDJIl a enseigné en France et à l’université internationale Senghor d’Alexandrie. Il est l’auteur de l’essai « Voir le pire. L’altérité dans l’œuvre de Bret Easton Ellis» et du roman « Les petites souris», publiés aux éditions Les Presses Littéraires en 2021.

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Atlantico : Avant d’obtenir gain de cause, la France avait menacé Bruxelles de son veto dans les négociations sur l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et les États-Unis. La France, au nom de l'exception culturelle, refusait d'y inclure la culture et l'audiovisuel. Quels sont aujourd'hui les avantages sur le plan économique qui permettent de justifier sa défense ?

Olivier Amiel : Les avantages sont surtout liés à l’importance sur le plan social de la transmission de valeurs d’une société, car la défense de la diversité culturelle permet d’éviter l’acculturation par le phénomène de globalisation de l’image.

Mais, il ne faut pas négliger les avantages économiques de l’exception culturelle, le secteur audiovisuel européen représente tout de même 25,5 % de part de marché contre 54,5% pour les Etats-Unis.

Il ne s’agit donc pas "d’entretenir une danseuse" pour la France, mais de défendre un moyen de transmission de valeur pour l’ensemble des peuples ainsi qu’un secteur audiovisuel qui au sein de l’ensemble du secteur de la culture et de la création emploie tout de même en Europe entre 6,7 et 8,5 millions de personnes et représente entre 3,3 et 4,5 % du PIB.

Quels sont les inconvénients que génère cette exception culturelle ?

Le seul "inconvénient" est d’après certains de nos partenaires –  notamment les Britanniques – que notre refus d’intégrer la culture et l’audiovisuel dans le mandat de négociation peut rebuter les Etats-Unis et surtout leur donner une occasion d’augmenter leurs prétentions dans d’autres domaines. Cependant, le système d’une voix unique européenne en matière de politique commerciale nous oblige à une "négociation avant la négociation" entre États membres de l’Union européenne. Un résultat pas forcément acquis, la France doit comme il y a vingt ans, arriver à convaincre un à un ses partenaires européens moins combattifs sur le sujet. Il ne faut pas reprendre cette vieille antienne des ultra-libéraux qui considèrent que la culture et l’audiovisuel doivent servir de monnaie d’échange dans le cadre des négociations commerciales : la diversité culturelle ne doit plus être négociable.

Ce système est-il réellement indispensable à la création culturelle française aujourd'hui ? Dans quels secteurs ?

Il l’est essentiellement dans les industries audiovisuelles et cinématographiques. De nombreuses formes artistiques ne sont pas impactées comme elles par des règles de libre-échange commercial mondial (théâtre, littérature, beaux arts, etc.).

La diversité culturelle est indispensable à la France, mais également à l’Europe et à l’ensemble du reste du monde et même aux créateurs indépendants nord américains qui luttent aussi contre un impérialisme et une globalisation de l’image par Hollywood (cette "Amérique qui n’existe pas"). Ce n’est pas pour rien que Steven Spielberg a affirmé à l’occasion de son discours de clôture en tant que président du jury du dernier festival de Cannes que "l’exception culturelle est le meilleur moyen de préserver la diversité du cinéma", ou que 148 États ont voté à l’Unesco en 2005 en faveur de l’adoption de la "Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles" contre seulement 2 votes opposés et 4 abstentions… C’est le monde entier qui souhaite pouvoir préserver la diversité culturelle, et pas uniquement la France comme le caricaturent certains.

Quel est, finalement, son "rapport qualité/prix" ?

On peut considérer qu’en faisant de la culture un secteur stratégique sur lequel on ne désire pas de mandat de négociation, on perd une "cartouche" face à notre partenaire américain qui pourrait à son tour demander une exception pour un autre secteur. Mais en échange nous gagnons la possibilité de faire vivre un moyen de transmission culturelle pour nos sociétés ainsi qu’une défense d’un secteur économique que la Commission européenne reconnaît elle-même comme porteur et en forte progression. Le rapport est donc largement positif.

Faut-il penser à l'abandonner ? Y aurait-il, le cas échéant, un danger pour le financement global de la culture en France ? Quelles en seraient les conséquences ?

Si nous abandonnons la défense de l’exception culturelle, la libéralisation du secteur devra logiquement conduire au respect de principes économiques du libre-échange et donc à l’interdiction des aides publiques et de la régulation. Autant dire que face à la puissance de frappe de l’industrie hollywoodienne cela marquera la fin de la production d’images (et donc de représentations différentes du monde) en France, en Europe et partout ailleurs. Ce serait donc une erreur économique pour l’Europe et un crime contre la culture humaine dans son ensemble. 

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