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Cuba : mort de Oswaldo Payá, accident ou assassinat maquillé ?
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Accident prémédité ?

Le dissident cubain, Oswaldo Payá est mort ce dimanche dans un "accident" près de la ville de Bayamo. Les proches de la famille demandent une enquête "transparente"afin de connaître les causes de la mort brutale de l'ancien prix Sakharov 2002.

Jacobo Machover

Jacobo Machover

Jacobo Machover est un écrivain cubain exilé en France. Il a publié en 2019 aux éditions Buchet Castel Mon oncle David. D'Auschwitz à Cuba, une famille dans les tourments de l'Histoire. Il est également l'auteur de : La face cachée du Che (Armand Colin), Castro est mort ! Cuba libre !? (Éditions François Bourin) et Cuba de Batista à Castro - Une contre histoire (éditions Buchet - Chastel).

 

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Atlantico : Ce dimanche, le dissident cubain Oswaldo Paya a été tué dans un accident de voiture près de Bayamo. Qui était-il ? Quel lien aviez vous avec lui  ?

Jacobo Machover : Oswaldo Payá était l’un des dissidents les plus courageux de Cuba. Il était toujours d’un calme admirable, malgré les campagnes hystériques du gouvernement castriste à son encontre. Sa maison était recouverte en permanence d’injures peintes sur sa façade par les partisans du régime. Régulièrement, il était l’objet de manifestations soi-disant « spontanées », appelées « meetings de répudiation », de la part des foules pro-gouvernementales enhardies, qui s’en prenaient à lui-même, à sa femme et à ses trois enfants. Malgré tout, à la tête de son Mouvement chrétien Libération (MCL), il croyait en la possibilité d un changement pacifique.

Pour cela, il avait élaboré le « Projet Varela », un document en cinq points réclamant le rétablissement des libertés démocratiques en s’appuyant sur les maigres espaces d’ouverture laissés en suspens par la « Constitution » communiste, simple copie de celle de la défunte Union Soviétique. La valeur du document tenait surtout au nombre d’appuis qu’il avait reçus de la part de simples citoyens, qui avaient eu le cran inouï d’y apposer leur signature, accompagnée de leur numéro de carte d’identité, ce qui pouvait leur coûter de longues années de prison. Pour cette initiative, Payá avait reçu le prix Sakharov pour les droits de l’homme décerné par le Parlement européen. Il avait pu se rendre en France, d’abord à Strasbourg, en décembre 2002, puis dans diverses capitales européennes, où il avait été reçu avec tous les honneurs, à Madrid par le Président du Gouvernement espagnol, José María Aznar, à Prague par le Président de la République tchèque, Vaclav Havel, entre autres. La France n’avait pas daigné lui accorder la même attention. Le ministre des Affaires étrangères d’alors, Dominique de Villepin, n’ayant pas jugé nécessaire d’interrompre ses vacances, ce fut le secrétaire d’État à la Coopération, Pierre-André Wiltzer, qui le reçut à Paris, en présence de quelques exilés cubains et du représentant du Collectif de solidarité avec les dissidents Cuba libre, Laurent Muller.

J’avais moi-même alors eu l’honneur de servir d’interprète à Oswaldo Payá, au cours de cette rencontre et de la conférence de presse qui s’ensuivit au siège du Nouvel Observateur, organisée par la journaliste Catherine David. François Hollande et Laurent Fabius avaient alors manifesté, dans des textes signés dans l’hebdo, leur soutien à l’opposition cubaine. Contre les attaques, venues des milieux officiels mais aussi, parfois, de certaines personnalités de l’exil du fait de sa posture jugée trop « modérée », le dissident arborait la certitude de sa droiture morale et de celle de ses partisans contre la dictature communiste. Ceux-ci payèrent très cher leur résistance à l’oppression. Au cours du « printemps noir » 2003, lorsque le régime procéda à une rafle brutale de 75 dissidents parmi les plus connus, condamnés à des peines de prison insensées, plus de la moitié d’entre eux étaient des propagandistes du « Projet Varela ». Oswaldo Payá demeurait en liberté, mais son mouvement était décapité. Pourtant, le prix Sakharov continuait à faire peur au régime, qui n’eut de cesse de tenter de le réduire au silence, définitivement si possible.

D'après-vous, le gouvernement cubain et la police politique sont-ils responsables ?

Le coup fatal à Oswaldo Payá lui a été porté le dimanche 23 juillet en début d’après-midi, alors qu’il circulait dans une voiture de location sur une route de l’est de l’île. Il était accompagné d’un jeune militant de son Mouvement, Harold Cepero, qui a lui aussi perdu la vie, et de deux représentants de partis européens proches de sa mouvance, l’un du Parti Populaire espagnol, l’autre de la Démocratie chrétienne suédoise. Ceux-là n’ont été que légèrement blessés. Ils se trouvent dans un hôpital de la région, entourés sans doute de nombreux malades du choléra auxquels les opposants étaient allés rendre visite, car leur nombre et la gravité de leur état est considéré comme un secret officiel. Les issues et les couloirs de l’hôpital sont gardés par d’importants effectifs de la police politique, la Sécurité de l’État, afin de « protéger » les survivants de la trop grande curiosité des opposants, qui n’ont pas cru un seul instant en la version officielle selon laquelle le conducteur aurait perdu le contrôle du véhicule pour aller s’écraser contre un arbre.

Les informations reçues par la fille du dissident font valoir exactement le contraire : « Il y avait une voiture qui tentait de les faire sortir de la route, les percutant à plusieurs reprises, et qui avait pour but de leur provoquer des blessures ; ils ont fini par tuer mon père. » Quelques semaines auparavant, Oswaldo Payá était sorti indemne d’un autre « accident », cette fois du fait d’un camion, sur une autre route déserte, comme le sont tous les axes routiers à Cuba, du fait de l’inexistence de trafic. Il ne faut pas imaginer de grands départs en vacances dans un pays où le parc automobile est réduit à la portion congrue, hormis quelques « belles américaines » tout juste bonnes à déclencher la pâmoison des touristes. En d’autres termes, lorsque le castrisme veut se débarrasser de ses opposants, il s’invente souvent des accidents de voiture. Laura Pollán, la dirigeante des « Dames en blanc », qui luttent pour la liberté des prisonniers politiques, en avait déjà été victime, devant des cameramen italiens qui avaient filmé l’ « accident » depuis la voiture où elle avait pris place, avant de mourir en octobre 2011 dans de très « étranges » circonstances, après une agression terrifiante des « masses » pro-castristes.

Je me souviens aussi d’une jeune institutrice, Yoandra Villavicencio qui avait réussi à arriver en France, un jour de septembre 2000, avec deux de ses amis, pour y demander l’asile politique. Le gouvernement de cohabitation de Lionel Jospin, avec Daniel Vaillant comme ministre de l’Intérieur, avait décidé de renvoyer ces fugitifs à Cuba. Quelques semaines plus tard, Yoandra mourait dans un accident, l’un de ses amis étant grièvement blessé, sur une route tout aussi peu fréquentée que les autres, percutée par un camion dont le conducteur est demeuré tout aussi anonyme que celui du poids lourd dans le film Duel, de Steven Spielberg. La persécution et la mort sans traces de crime, en somme. 

La mort de Oswaldo Paya va t-elle porter un coup aux dissidents cubains ?

« Je resterai en vie jusqu’à ce que les frères Castro le décideront », avait coutume de dire Oswaldo Payá. Le coup porté à la dissidence est terrible. C’est l’un de ses meilleurs représentants qui vient de nous quitter. A tous ceux qui croient que le régime est en train d’évoluer vers une plus certaine liberté sous la houlette de Raúl Castro, la mort d’Oswaldo Payá, ainsi que celles de Laura Pollán, de Wilman Villar, suite à un tabassage brutal, d’Orlando Zapata, des conséquences d’une grève de la faim en prison, finiront peut-être par leur ouvrir les yeux. Pendant que les touristes continuent à bronzer sur les plages de l’île, dans l’arrière-pays, sur des routes perdues, le régime communiste continue de frapper à l’abri des regards, pour se perpétuer au pouvoir comme il a commencé, il y a déjà plus d’un demi-siècle : dans le sang.

Post Scriptum : Selon les premières déclarations de l’un des survivants, le jeune Espagnol Ángel Carromero, qui conduisait le véhicule, c’est la version officielle de l’accident qui semble désormais privilégiée. Dont acte. Cependant, les membres de la famille d’Oswaldo Payá affirment toujours, en se basant sur les nombreuses menaces reçues auparavant par le dissident, que c’est le régime qui a causé sa mort. Le doute subsistera à présent pour toujours. A travers la disparition du prix Sakharov, ce sont deux conceptions de Cuba qui s’affrontent. Oswaldo Payá, lui, n’aura jamais pu voir la liberté dont il avait tant rêvé.

Propos recueillis par Charles Rassaert

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