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Croissance zéro : une réalité d’autant plus grave que le contenu en emplois de la croissance française ne cesse de chuter (n’en déplaise au bon Monsieur Sapin)
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Dormez tranquilles bonnes gens

Michel Sapin pense qu'une croissance nulle n'est "pas grave". Le ministre du Travail François Rebsamen a déclaré, lui, sur RMC et BFMTV : "avec 0% [de croissance], on ne crée pas d'emploi". Le problème étant que même au-dessus de 0%, le chômage ne baisse pas forcément.

Francesco Saraceno

Francesco Saraceno

Francesco Saraceno est économiste senior au sein du département Innovation et concurrence de l'OFCE. Il est également signataire de la tribune : The economist warningVous pouvez le suivre sur son compte twitter : Francesco Saraceno.

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Atlantico : La croissance française flirte avec les 0% ce qui devrait accentuer, pour l'instant, la dégradation du marché de l'emploi. Pourtant, même quand la croissance décolle un peu, elle ne se traduit pas forcément par une baisse du chômage. Pourquoi ? Quel phénomène impose un niveau de croissance minimum pour générer des emplois nouveaux ? 

Francesco Saraceno : Le taux de chômage est défini comme le nombre de personnes au chômage divisé par la population active, c'est-à-dire le nombre de personnes en âge de travailler qui sont sur le marché. L'évolution du taux dépend donc du nombre d'emplois créés, mais aussi de l’évolution du nombre d'actifs qui sont sur le marché. Si on crée 100 000 emplois mais si la population active augmente de 200 000 unités (par exemple parce que la population augmente), le taux de chômage augmentera alors en dépit de l'augmentation du nombre d'emplois. A l'opposé, si la population active se réduit (parce que des actifs étant découragés arrêtent de chercher du travail), le taux de chômage pourrait baisser même s'il n'y a pas de création d'emplois.

C'est pourquoi les statistiques sur le chômage devraient toujours être lues en parallèle avec les statistiques sur l'emploi. Il peut y avoir d'autres raisons, conjoncturelles, pour une croissance faible en emplois. Par exemple, en situation d'incertitude, les entreprises peuvent décider d'augmenter la production en ayant recours aux heures supplémentaires, plutôt qu'en créant des nouveaux emplois. C'est en fait assez commun que la reprise de l’économie après un ralentissement commence par une augmentation de la production, qui est suivie par des nouvelles embauches et par une reprise de l'emploi seulement dans un deuxième temps, quand les anticipations positives sont consolidées 

Empiriquement, quel taux est nécessaire en France pour créer de l'emploi ? Comment ce taux évolue-t-il ?

Aujourd'hui le consensus est qu'une croissance du PIB inférieure à 1,5% par an est insuffisante pour générer une baisse durable du taux de chômage.Il y a des chances par ailleurs que, vue l’étendue et la durée de la crise que nous vivons, le chiffre soit même plus élevé. En fait, une situation de croissance morose qui se prolonge, dégrade la qualité du capital, y compris humain, des entreprises. Ceci entraîne une rentabilité réduite des investissements, et donc nécessite un taux de croissance attendu plus élevé pour que les embauches reprennent. C'est aussi pour cela qu'il est très important de réagir vite et bien face à des chocs négatifs. Si la croissance molle, voire la récession s'installe, il devient de plus en plus difficile d'en sortir. Les hésitations des leaders européens depuis 2009 sont encore plus graves dans cette perspective. Et aujourd'hui la timidité de la BCE face à la menace de déflation est aussi incompréhensible. Si on laisse un environnement d'inflation quasi-nulle (voire négative) devenir chronique, le coût qu'on devra payer pour en sortir sera énorme.

L'apport en emploi de la croissance créée dépend-il de l'acteur économique qui la génère ? Un point de croissance économique dans l'industrie ou le secteur des services par exemple, entraîne-t-il le même nombre d'emplois créés ?

Non. Il s'agit la encore d'un ratio. Le nombre d'emplois créés est donné par l'augmentation de la production divisée par la productivité du travail ; celle-ci varie énormément entre les services et l'industrie, mais aussi dans chacun de ces secteurs. Ceci ne veut pas dire qu'il faudrait investir dans les secteurs à basse valeur ajoutée ; surtout si on considère les problèmes de compétitivité de la France.

A défaut de pouvoir atteindre rapidement une forte croissance, peut-on mettre en place des mesures qui permettraient de rabaisser le taux de croissance nécessaire pour générer des emplois ?

En principe oui. Des politiques actives sur le marché du travail permettraient de préserver compétences et productivité des travailleurs, rendant ainsi plus rentables les investissements et augmentant la propension des firmes à embaucher. Le problème est que les politiques de ce type sont très couteuses à mettre en place, et ne se font pas du jour au lendemain. Il faut espérer que quand nous serons sortis de cette crise nous nous souviendrons des difficultés présentes, et que pendant la prochaine phase de croissance forte nous aurons la prévoyance de nous préparer aux crises futures.

Notre économie reposant sur des gains de productivité importants, une qualification croissante de la main-d'oeuvre, une démographie encore dynamique et un PIB qui augmente lentement, peut-elle encore espérer créer des emplois grâce à la seule croissance ? Espérer relancer une croissance qui reste atone pour "inverser la courbe du chômage", est-ce une stratégie vouée à l'échec ?

Je ne vois pas d'autre stratégie possible pour créer des emplois que retrouver la croissance. Certes, à très court terme les emplois aidés et autres mesures tampon peuvent aider à absorber les chocs. Mais dans le long terme seule une croissance robuste permet de créer les emplois nécessaires pour réduire le chômage à des niveaux socialement acceptables. Or, je ne crois pas que en France, et surtout en Europe on ait fait assez pour soutenir la croissance. Une intervention rapide concertée des gouvernement européens (des politiques expansionnistes, en clair) aurait pu dès 2009 soutenir l'activité et éviter que la crise s'installe. Malheureusement on a été aveuglés par le mythe de l’austérité, et on a laissé la situation se détériorer à tel point que l'effort requis pour sortir de la crise est devenu aujourd'hui titanesque.

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