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La crise financière nous confronte à une contraction sans précédent du crédit privé.
La crise financière nous confronte à une contraction sans précédent du crédit privé.
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Lunettes noires pour crise blanche

La crise financière nous confronte à une contraction sans précédent du crédit privé. Mais comment pourrait-il en être autrement dans un système où plus personne ne fait confiance aux données des autres acteurs économiques... (épisode 1/2)

Hernando de Soto

Hernando de Soto

Hernando de Soto est un économiste péruvien.

Il est président de l’Institut pour la Liberté et la Démocratie et conseille plus de vingt gouvernements dans le monde.

Il a reçu de nombreuses récompenses, dont notamment le prestigieux prix Milton Friedman pour le progrès des libertés.

Il est l'auteur notamment de « Le mystère du capital » (Flammarion, 2005).

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Voilà où nous en sommes : cela fait trois ans que nous pataugeons dans la crise financière mondiale… et que nous avançons toujours à l’aveuglette ! On finit par ne même plus savoir ce que l’on ne sait pas tant la confusion est grande. Il y a bien une chose pourtant dont on est sûr, c’est que nous sommes confrontés à une contraction sans précédent du crédit privé : aujourd’hui, personne n’est plus disposé à faire les prêts ou les investissements nécessaires pour créer ou faire grandir les entreprises à la mesure de ce que requiert le dynamisme de l’économie.

Au lieu de soigner le mal à la racine, les gouvernements américain et européens, avec leurs divers « plans de sauvetage », ont ciblé en réalité des symptômes : créances douteuses, banques chancelantes, faillites d’entreprises, ménages à la rue, hausse du chômage, guerre des devises… Mais pas une fois ils ne se sont attaqués au problème en lui-même.

D’ailleurs, si ces symptômes avaient été la véritable cause de la crise, ils n’auraient en réalité pas duré très longtemps. Pourquoi ? Parce que ceux que les observateurs nomment parfois des « vautours capitalistes » auraient d’une certaine façon fait leur travail… et rétabli l’ordre. Qu’est-ce que cela signifie ? Que les acteurs du marché auraient repéré des « signaux de détresse » sur ces marchés - par exemple des prix de plus en plus bas –, et racheté pour une bouchée de pain les « restes » des actifs en crise dans l’espoir d’en retirer un bénéfice dans l’avenir. Et que leur intervention, qu’elle soit ou non considérée comme un acte « charognard », aurait rétabli in fine l’équilibre de ces marchés suivant la loi de l’offre et de la demande. Et donc mis fin à la crise. Par exemple, ces acteurs auraient – si on reste dans le portrait du « vautour » - acheté des pâtés de vieilles maisons pour les transformer en tours de vingt étages avec des restaurants et des grands parkings bien lucratifs. Ou encore racheté une compagnie aérienne incapable de remplir ses sièges en première classe pour en faire une compagnie low-cost, sans options superflues, avec deux fois plus de passagers par avion. Mais sur le terrain, ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Pourquoi donc ?

Parce que le système qui produit l’information économique ne marche plus. Et que l’information est à la base du bon fonctionnement du marché. Aux Etats-Unis et en Europe, les mécanismes qui sont censés enregistrer et signaler la « bonne » information, c’est à dire l’information qui permet à un acteur de faire ses choix, de s’engager sur un marché ou pas, d’accorder un prêt ou non (par exemple : qui est le propriétaire d’un actif, des capitaux propres ou du passif ? quelle est sa réputation ? quels sont par conséquent les risques et opportunités correspondants ?) ne sont plus sûrs du tout. 

Il faut bien comprendre que l’information disponible sur les titres de propriété et les archives transactionnelles joue le même rôle en matière de crédit que l’ADN en biologie : il contient toutes les données qui gouvernent l’agencement des cellules d’un organisme.

Il y eut un temps où l’on pouvait encore compter sur les bilans d’entreprise pour remplir ce rôle, et indiquer clairement les faits pertinents pour orienter la décision économique : ils étaient assez rigoureux et complets pour qu’une personne extérieure puisse en déduire ce que l’entreprise possédait ou ce qu’elle devait. Mais ces bilans ont été trop souvent manipulés. En effet, certaines entreprises en difficulté financière peuvent désormais avoir recours, en toute légalité, à une comptabilité hors-bilan – transférant toute mauvaise nouvelle sur un registre plus « discret » appelé le Fonds Commun de Créances (au moment de sa faillite, Enron détenait plus de 3 500 « FCC »). Les entreprises peuvent aussi escamoter les informations gênantes de mille autres façons, en dissimulant par exemple les informations relatives à leurs dettes dans des notes de bas de page tout à fait illisibles.

Autre méthode encore : aux Etats-Unis, les crédit-hypothécaires (c’est à dire les emprunts-logements) ont été revendus sous la forme de valeurs mobilières liquides, regroupées en « paquets » artificiels arbitraires, eux même achetés à l’aveuglette et enregistrés de manière éclatée entre différents propriétaires, de telle sorte qu’il est devenu très difficile d’identifier le possesseur légal de près de 60% d’entre elles.

La plupart des crédit-hypothécaire ont été financés par des produits dérivés particuliers qui n’avaient pas été clairement enregistrés, « tracés ». Sans cette information, il est très difficile de les évaluer et de couvrir leur risque convenablement. Ces dérivés sont estimés à quelque six cent mille milliards de dollars de par le monde – soit 40 fois la valeur de ce qui est produit aux Etats-Unis annuellement. C’est beaucoup, énormément, d’information perdue.

Autre technique de travestissement de l’information : dans certaines situations, les règles comptables autorisent désormais les entreprises à enregistrer leurs actifs à une valeur autre que le prix de marché. Certains pays comme la Grèce et l’Italie ont ainsi emprunté sur les marchés de « repo » (c’est à dire des accords de rachat) des fonds à court terme qu’ils n’ont pas enregistrés, les rendant ainsi plus solvables qu’ils ne le sont réellement. L’information n’a pas seulement été appauvrie et cachée, elle a également été déformée.

Après cent cinquante ans d’efforts pour ouvrir leurs économies féodales et opaques et pour permettre aux marchés de fonctionner, certains secteurs de l’industrie financière, mais aussi des gouvernements, aux Etats-Unis ou en Europe, se sont évertués, ces quinze dernières années, à revenir en arrière. Et à replonger l’activité économique dans l’obscurité la plus totale. Alors même justement que cette information, sa clarté, sa qualité, son accessibilité, sont indispensables pour que le capitalisme fonctionne de façon juste, équitable, équilibrée.

L’activité économique est passée du système bien défini de la propriété, où les faits et les données économiques sont clairement enregistrés pour fournir au marché une information utile, à un espace financier encore balbutiant sur le plan légal, où la réalité des faits économiques cède le pas à des intérêts de court terme et des échanges de titres frénétiques.  

Comment peut-on accepter d’allonger la durée d’un prêt si les bilans ne reflètent pas toutes les données nécessaires, ou si ceux qui possèdent les actifs et contrôlent les risques ne sont pas identifiables, ou alors très difficilement ? Comment savoir quelles banques et quels pays sont solvables, si l’on ne peut même pas déterminer combien d’actifs toxiques ils détiennent ; si les propriétaires légaux des crédit-hypothécaires sont introuvables ; si les banques ne peuvent pas clore leur compte parce que la justice empêche les saisies à cause du manque de clarté des titres de propriété ; ou encore s’il y a peu d’informations sur la solvabilité de ceux qui prétendent pouvoir couvrir les risques de défaut ?    


demain, la suite du texte d'Hernando de Soto

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