Crise du logement : l'autre clé méconnue des populismes <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Crise du logement : l'autre clé méconnue des populismes
©Pixabay

Verrous multiples

De Marine Le Pen, au brexit en passant par Donald Trump, le populisme se développe dans le monde entier. Au-delà de l'aspect culturel, cette montée du discours et du vote populiste peut aussi s'expliquer économiquement. Notamment à travers le logement, thème qui reste assez peu abordé par les politiques.

Pierre Madec

Pierre Madec

Pierre Madec est économiste au département analyse et prévision à l'OFCE.

Voir la bio »
Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

Voir la bio »

Atlantico : En quoi la difficulté d'accès au logement pour soi ou pour son entourage peut générer une certaine anxiété et est-ce que cela peut avoir un impact sur la sensibilité politique ? 

Pierre Madec : Quand on observe le marché du logement et de l'immobilier, il faut voir de fait qu'il peut être la cause d'un certain nombre de frustrations. Typiquement, l'exemple le plus criant c'est le logement social. On entend ainsi souvent revenir que 60% des Français sont éligibles au logement social. Ce qui est en partie faux, car cela n'a pas tellement de sens de regarder ce chiffre tel quel quand on sait que 60% des Français sont propriétaires. Et 17 à 18% des Français occupent ces logements sociaux.

Mais le fait est que ce chiffre revient souvent, et pousse les gens à se demander pourquoi ils n'en bénéficient pas : sont-ils trop pauvres, sont-ils pas assez prioritaire ou pas assez d'accointance avec le pouvoir, ce genre de questions se posent régulièrement, et agacent ceux qui ne comprennent pas pourquoi eux se retrouvent à payer un loyer excessivement cher dans le parc privé quand certains « privilégiés » ont de la chance de profiter de ces logements sociaux. Cela crée deux catégories, les insider et les outsider, comme sur la marché du travail : des privilégiés vs les autres. 

Il y a le même problème sur les APL, bien que les effets de seuils soient peu nombreux : certaines personnes vont considérer qu'il y a une injustice. Il y a beaucoup de mythes, mais les gens connaissant mal les réalités du marché se considèrent comme mal loti. 

Pour ce qui est du « parcours résidentiel », on considère qu'il est bloqué. Le fait est qu'il n'a jamais très bien marché. Il y a quelques années, on considérait que naturellement on passait de logement social à logement locatif privé puis propriétaire. Cela n'existe plus car ces trois marchés sont aujourd'hui bloqués. Il y a une prime à ceux qui sont en place. De sorte que quand vous êtes dans le parc social, il y a de telles différences de moyen avec le parc privé que vous n'avez pas les moyens de changer de parc, et que quand vous êtes dans le parc privé, il est au moins tout aussi difficile de devenir propriétaire (c'est de plus en plus compliqué aujourd'hui). Tout cela peut évidemment avoir un impact sur le positionnement politique. 

Il y a cependant un certain nombre de contrevérités. Par exemple quand on laisse entendre que les logements sociaux sont occupés par des étrangers. Plus de 80% des logements sociaux sont occupés et attribués à des Français. 

Si l'on essaye de savoir quelles sont les zones les plus touchées, il faut bien prendre en compte que cela dépend de la composition du parc de logement de chaque ville. Dans certaines villes où il y a beaucoup de logements sociaux, principalement périurbaines (mais pas toutes), on retrouve aussi beaucoup de propriétaires occupants. Dans ces villes est alors sur le parc locatif privé, qui est souvent très restreint. Il s'agit donc des jeunes et des classes moyennes, qui fuient généralement ces villes du fait du peu d'attractivité des lieux.

Le cœur des grandes villes, en revanche, rencontre généralement un problème de prix. Dans ce cas, soit un parc social se développe en conséquence (comme à Paris, avec beaucoup d'effort sur ce point) et on voit le parc locatif privé généralement en pâtir. Et le marché d'accession reste très compliqué d'accès. Là encore, ce sont les classes moyennes qui subissent ces conditions, tant les classes populaires ne peuvent rester ou rentrer. Et il faut qu'il y ait de la rotation dans ces différents parcs, ce qui est rarement le cas. Une frange des ménages est souvent exclues. Ce genre de situation attise les frustrations. A Paris, on craint par exemple qu'il y ait d'un côté le parc privé et les propriétaires et de l'autre un parc social, coupant Paris en deux. Évidemment, ce problème est pris en compte par les pouvoirs publics, mais la crainte fait indéniablement son effet. 

Qu'en est-il si on observe attentivement la situation dans les différentes démocraties occidentales touchées par le populisme ?

Pierre Madec : Le vote populiste a tendance à augmenter partout, et ce indépendamment des tensions qui peuvent exister sur le marché du logement. Le vote populiste augmente dans les pays nordiques, alors même qu'ils disposent d'un système de logement social universaliste, contrairement au notre qui est généraliste, et où les questions de tensions pour accéder au parc social se posent beaucoup moins. Et à l'opposé, il y a l'exemple américain avec la crise des subprimes, avec toutes les saisies de maisons et d'appartements qui ont suivi et qui ont touché beaucoup d'Américains modestes. Cela a certainement eu un impact important sur le vote de Trump. 

Au fond, c'est assez compliqué : les pays du Sud de l'Europe sont plutôt préservés, alors qu'ils ont subi la crise très fortement. En Espagne, il y a eu des procédures d'expulsion, une crise du secteur de la construction, des défauts de paiement des charges... mais la traduction dans les urnes n'est pas la même que celle suivie dans les pays du Nord. Au fond la question centrale est celle de la perception du problème plus que du problème de logement lui-même, et donc est une question au moins autant culturelle qu'économique, et ce même si l'inadéquation de l'offre dans les trois différents parcs est très certainement une source importante de tensions. 

Pour terminer, prenons le cas hollandais : le parc immobilier privé est en effet très élevé, mais le parc « social » est plus abordable et aussi important. Une grande frange de la population est relativement protégée. On ne peut donc pas dire que c'est un facteur explicatif simple du populisme. En revanche, la question de la mobilité et du parcours peut parfois se poser. 

Le manque de proposition des politiques en matière de logement serait-il l'une des clefs du vote populiste ?

Pierre-François Gouiffès : La conceptualisation française qui représente le mieux les territoires marqués plus par un vote populiste (je dirais plutôt protestataire) et qui rencontre l’intérêt public le plus grand tient au travail du géographe Christophe Guilluy, dont le livre de 2014 « la France périphérique » énonce un déchirement entre la France des métropoles (y compris les quartiers sensibles) et une France périphérique délaissée, marginalisée par la mondialisation. C’est la France des zones rurales, des villes moyennes et du tissu périurbain dans un pays en stagnation économique et en chômage de masser. Cela correspond bien à la géographie du vote Trump aux Etats-Unis, aux zones anglaises favorables aux Brexit (pas la même chose en Ecosse, en Irlande et au pays de Galle) et au vote Front National en France.

Le très intéressant article publié par Atlantico en juin dernier sur les résultats de l’élection régionale de 2015 en Ile de France fournissait d’ailleurs une carte (1er tour) et une analyse (2ème tour) tout à fait fascinantes sur la localisation du vote Front National : plus on était aux marches de l’Ille de France, plus on votait Front National.

En France le vote populiste se développe grandement. Quel peut-être la responsabilité de la politique du dernier quinquennat en matière de logement, notamment avec la loi Dufflot ?

Pierre-François Gouiffès : La loi Duflot est emblématique de la politique de logement suivi par François Hollande et le gouvernement Ayrault entre 2012 et 2014 : d’une part la volonté de développer le logement social, et d’autre part une politique « tout pour les locataires » par essence défavorable aux bailleurs privés, politique qui s’est traduite par une contribution négative de l’investissement logement à la croissance du PIB et qui a été fortement reprise lorsque Manuel Valls est devenu Premier ministre et redéveloppé des dispositifs favorables à la primo accession (PTZ) et l’investissement locatif (dispositif Pinel).

Je ne vois pas de lien direct entre ces orientations politiques du logement et la montée du vote populiste, si ce n’est en creux. En effet ces politiques, marquées depuis longtemps par le cadre de la politique de la ville et de la rénovation urbaine (les « quartiers ») n’adressent pas l’avenir de la France périphérique où se concentre le vote Front National, zones marquées par la vacance immobilière ou la baisse des prix. Il y a ensuite, mais c’est une affaire de beaucoup plus long terme, l’étiolement de l’économie industrielle et productive de certaines zones face aux métropoles qui tirent leur épingle du jeu, un phénomène infiniment plus brutal qu’en Allemagne qui a su conserver une économie industrielle puissante.

N'y a-t-il pas un manque d'investissement de la part des politiques dans ce domaine ? Si ce thème est trop rarement abordé lors des débats ou dans les médias (lors des interviews des candidats) leurs programmes comportent des propositions. Quel(s) candidat(s) semble(nt) le(s) plus en mesure de répondre aux attentes des français en matière de logement ?

Pierre-François Gouiffès : Le logement n’occupe pas une place centrale dans la campagne et c’est souvent le cas. Il n’y a pas de réponse claire à votre question puisque les différents programmes correspondent à des visions idéologiques ou des traitement de clientèles particulières : renforcement supplémentaire du logement social et opposition plus ou moins frontale aux ménages propriétaires bailleurs (Hamon, Mélenchon), traitement de la question de la mobilité résidentielle et lutte contre la « rente immobilière » (Macron), volonté de rééquilibrer le droit en faveur des propriétaires et intégration du logement dans le dispositif global d’aide sociale (Fillon), préférence nationale dans les attributions de logements sociaux (Le Pen).

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Pourquoi la France a besoin d'un désarmement normatif sur le logementPays-Bas : derrière le soulagement démocratique, a-t-on bien vu les recettes employées par le Premier ministre libéral pour stopper le populisme d’extrême droite ?Ce que l'aveu de l'éminence grise de Donald Trump sur ce qui l'a poussé à embrasser le populisme nous révèle de la nature politique profonde du mouvement qui déstabilise les démocraties occidentales

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !