Crise de l’agriculture : une nouvelle occasion ratée de faire le VRAI diagnostic des maux français<!-- --> | Atlantico.fr
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La crise agricole a donné lieu à de multiples diagnostics sur les maux qui affaiblissent l’agriculture française.
La crise agricole a donné lieu à de multiples diagnostics sur les maux qui affaiblissent l’agriculture française.
©Sebastien SALOM-GOMIS / AFP

Etat des lieux

La crise agricole a donné lieu à de multiples diagnostics sur les maux qui affaiblissent l’agriculture française. Mais si l'essentiel n'était toujours pas abordé ?

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : La crise agricole a donné lieu à de multiples diagnostics sur les maux qui affaiblissent l’agriculture française. Libre-échange, Europe, grande distribution, industrie agroalimentaire, écologistes… les accusés sont nombreux. Vous paraissent-ils être les bons coupables ?

Don Diego De La Vega : Il y a de très nombreux suspects ou dit autrement, de nombreux boucs émissaires possibles. Que l’on parle de la FNSEA, de la grande distribution, des intermédiaires, je vois des secteurs qui sont plutôt faméliques. On peut évidemment passer une partie de notre temps à s'arracher les cheveux pour savoir qui prend le meilleur taux de marge, qui abuse, qui menace les agriculteurs. Il est évident que les Verts ont leur part de responsabilité, qu’il y a certainement quelques margoulins chez les intermédiaires de l'agroalimentaire, mais on parle de sommes totales dérisoires. 

Je pense que la bonne attitude à avoir, c'est celle du respect des ordres de grandeur, et de s'apercevoir que l'agriculture française est un petit truc. C'est comme ça que réagit le marché en tout cas. Je vous donne un exemple. Il y a quelques jours, Facebook a publié ses résultats et sa valorisation a grimpé de 200 milliards de dollars. Sans doute autour de 800 milliards de dollars sur les quinze derniers mois. Il y en a d'autres, comme Nvidia, Microsoft, Apple ou Google. 

Malheureusement, l'agriculture française, c'est combien de divisions ? Est-ce si important de dramatiser une situation quand il n’y a en France aucune avancée dans le high-tech. Il y a seulement deux boîtes de haut vol dans le high-tech, Dassault Systèmes et STMicroElectronics. Et encore, ce sont deux entreprises qui sont aux 13e et 28e places dans leurs classements mondiaux respectifs dans leur secteur, à savoir les logiciels et les semi-conducteurs. C'est quand même curieux. On poursuit progressivement dans le XXIᵉ siècle avec aucun acteur majeur de high-tech en France pratiquement. N’est-ce pas plus inquiétant ?

À quoi ressemblerait l'agriculture française sans traité de libre-échange ?

Il n'y a pas beaucoup de libre-échange dans l'agriculture française. Il y a des traités de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande, on parle bien évidemment du Mercosur, mais la réalité, c'est que c'est un secteur très peu libéral. C'est un secteur où l'État est partout. C'est un secteur où le corporatisme est partout. La FNSEA est partout. Il y a des traités de libre-échange certes, mais l’essentiel des échanges sont avec l'Europe. Et ce n’est pas un système qui est libéral, mais un système régi par la PAC, qui est un pacte protectionniste depuis le début. Et donc on peut accuser les échanges, mais accuser le libre-échange sur l'agriculture, c'est un peu comme accuser de libre-échange dans la culture. C'est assez amusant que dans des secteurs complètement soviétisés, on incrimine justement le libre-échange. C’est comme si on disait que les problèmes de l'agriculture soviétique au milieu des années 1970 sont liés au fait que désormais on importe du blé du Canada.

Je crois vraiment que les traités de libre-échange ont donné une forme de respiration à un certain nombre d'agriculteurs, notamment les plus gros, pour permettre plus de mécanisation et de progrès technique. Il est normal que les petits agriculteurs s'en sentent un petit peu lésés. Eux n'ont pas accès aux marchés mondiaux de la même façon. Et franchement, ce n'est pas ça le problème de l'agriculture française. Et on le voit bien chronologiquement, on le voit bien dans les ordres de grandeur. Et par ailleurs, si jamais on n'avait pas eu ces quelques petites concessions au libéralisme et au libre-échange à travers des traités, le grand perdant aurait été le consommateur. Ce serait le grand lésé, le grand cocu. Il a toujours été le cocu du protectionnisme agricole, mais il aurait été encore plus cocu.

Bruxelles ou Paris, où siègent les plus grands « coupables » ? 

Je ne voulais pas déterminer précisément les boucs émissaires au départ, mais si vraiment on doit pointer du doigt quelqu'un, c'est d'abord l'État français, c'est lui qui en grande partie a fait la réglementation de Bruxelles. Il ne faut pas oublier qu'il y a eu une domination française concernant la PAC. En tout cas, un droit de veto implicite de la France sur la PAC pendant des dizaines d’années.

Il y a beaucoup de fonctionnaires au ministère de l'Agriculture. Je crois qu'il y en aura bientôt plus que d’agriculteurs. La France est un pays qui a beaucoup réglementé et parfois surréglementé. On parle de surtransposition. C'est un pays qui a malheureusement tenu absolument, pour des raisons essentiellement d'électoralisme interne, à défendre son agriculture et à la protéger. Quand on veut protéger quelque chose, c'est la meilleure façon de l'éteindre. Et on a mis beaucoup d'énergie politique, nous Français, à Bruxelles, pour défendre nos positions, ce qui d'ailleurs nous a fait perdre beaucoup de légitimité et de terrain. Dans d'autres secteurs, évidemment, les autres en ont profité pour obtenir des concessions, notamment les Allemands pour tout ce qui a trait à l’industrie. Et donc on s'est retrouvé à payer indirectement pour nos agriculteurs du fait de leur surreprésentation dans les systèmes électoraux des campagnes. L’État, dans sa collusion avec certaines corporations, dans sa lourdeur administrative, dans son côté “nounou” du secteur agricole, est responsable. Qu'est-ce d'autre que ce que l'État a fait dans le domaine de la culture également, c'est-à-dire une bonne dose de protectionnisme et malheureusement une gestion parfaitement coupable ?

De toute façon, tout ce que touche l'État en France depuis 50 ans est une catastrophe. On le voit pour l'éducation, pour la santé, etc. Il serait étonnant que l'État ait bien géré l'agriculture. Mais vous oubliez un autre acteur dont on parle très peu. Il n'y a pas que Paris et Bruxelles, il y a aussi Francfort. Quand on est agriculteur, de temps en temps, on est sur des marchés mondiaux. Dès que vous parlez de marchés mondiaux, il faut parler de taux d'intérêt, parce que c'est un secteur qui est souvent très endetté, et de taux de change. Si vous avez le prix de vos marchandises facturées dans une monnaie honteusement trop cher, comme c'est le cas depuis 2003 à peu près pour l'euro, ça pose un vrai problème de compétitivité. La BCE a sa part de responsabilité parce que globalement, depuis 20 ans, les taux d'intérêt sont trop hauts, et les taux de change sont artificiellement trop hauts. Et ça, quelque part, pour un secteur comme l'agriculture, un secteur de moyenne gamme, on le paie. Le plus souvent, l'agriculture produit une moyenne gamme très dépendante des taux d'intérêt et des taux de change. Il est évident que l'une des catégories pénalisées par la politique de la BCE, c'est le monde agricole. Je ne serais pas étonné que ça ait joué autant que les réglementations environnementales.

Environnement ou souveraineté alimentaire, l'Europe doit-elle choisir entre les deux ?

Il y aurait un choix à faire. Mais là on retombe dans le problème du macronisme et plus généralement de la France depuis 45 ans, c'est-à-dire l'incapacité à choisir et à choisir de façon claire et sans que le choix soit remis en cause trois mois plus tard. Mais je ne pense pas que ce soit une contradiction entre l'environnement et la souveraineté alimentaire. Je pense que c'est tout simplement entre l'environnement et la possibilité d'avoir encore des activités agricoles significatives. Aujourd’hui, on souhaite mettre l'accent sur le « net zéro », qui implique de diviser par quatre ou cinq et assez vite les émissions de CO2. Si vous prenez au sérieux ces engagements, cette trajectoire, les rapports du GIEC et les accords de Paris, cela va être compliqué d'avoir une activité agricole significative, à moins d'avoir que des tracteurs électriques et encore fonctionnant avec, je caricature, des éoliennes derrière et des panneaux solaires. Tout ce que touche l'agriculture, c'est polluant. Les engrais, on ne sait pas faire sans les engrais azotés. En réalité, l'agriculture moderne est née avec les engrais azotés et j'ai bien peur qu'elle meure avec les engrais azotés. On ne sait pas encore. On n'a pas le modèle agricole, on n'a pas les technologies propres à l'échelle, si vous voulez, pour faire à la fois une production significative et en même temps respecter les engagements climatiques, notamment à l’horizon 2040. Donc il y a une vraie contradiction. Mais comme dans tous les autres domaines, quelque part, il y a une sorte de je-m'en-foutisme. 

C’est du pur macronisme, mais qu'on repère aussi dans tout un tas de choix énergétiques. Nous ne voulons pas du gaz russe, mais nous importons du GNL du Texas qui est en réalité du gaz de schiste liquéfié puis transporté, une véritable horreur écologique en soi. Mais que se disent nos élites ? Que ce n'est pas grave parce que nous avons toujours des objectifs à atteindre et nous les tiendrons car nous le voulons, car nous le pouvons.

Je ne sais pas combien de temps ça durera, mais je pense que si les gens ne voient pas la contrainte, ils voient bien la contradiction, sans vouloir la traiter. Il y aura culture du non-choix qui se développera jusqu'à ce que les contradictions soient vraiment trop grosses.

Les Français ont largement soutenu les agriculteurs : pour mieux oublier qu’ils ont pourtant une part de responsabilité ? Et quid de la responsabilité des agriculteurs eux-mêmes ?

En tant qu'économiste, ce qui me chatouille comme question, ce serait celle-ci : est-ce que les Français soutiendraient autant les agriculteurs s'ils avaient devant eux la facture de ce que leur coûte concrètement le soutien à l'agriculture française ? La plupart des Français viennent du monde agricole. Vous grattez un Français, vous trouverez un paysan au bout de deux générations ou trois au maximum. La plupart des Français viennent du monde rural. Ils ont une sorte de culpabilité vis-à-vis des agriculteurs parce qu'ils savent bien que leur nombre a été divisé par dix en assez peu de temps. Donc il y a cette culpabilité latente, il y a ces attaches culturelles lointaines. Il y a un consensus social pour soutenir l'agriculture.

La facture de l'agriculture française est quand même assez costaud pour le contribuable. Alors moi, je pense qu'il faudrait mettre un petit peu ça au clair, et on verrait véritablement quelle est la volonté de payer quelque part. Parce qu'on sait bien qu'on ne peut pas avoir 500 000 agriculteurs en France avec parfois certains qui n'ont que quinze vaches et avoir des revenus conséquents pour ces gens-là. Donc on sait très bien que leurs revenus sont très largement socialisés. Il y a des gens qui ont les deux tiers de leurs revenus qui, d'une façon ou d'une autre, sont socialisés. Les Français acceptent ça parce que quelque part, ils ne veulent pas voir une disparition totale du monde paysan. Mais moi je pense que c'est quand même mieux d'avoir un peu de transparence dans le domaine de façon à ce que justement on puisse faire des choix clairs. Si véritablement les Français sont prêts à mettre des sommes considérables chaque année pour défendre des gens qui ont 25 vaches, je prends note, l'économiste n'a plus rien à dire alors.

Mais tout a été fait, je crois, pour dissimuler cela, parce que les canaux qui alimentent un certain nombre d'agriculteurs sont des canaux extrêmement complexes, extrêmement subtils, nombreux. Et d'ailleurs les agriculteurs en crèvent eux-mêmes étant donné qu’au bout d'un moment, ça génère une complexité fiscale et administrative énorme. Les agriculteurs se plaignent de passer la moitié de leur temps devant un tableur Excel plutôt que de devoir passer la moitié de leur temps dans les champs. Ils ont d'abord été bercés de promesses, bercés d'un certain nombre de soutiens ou de promesses de soutien. On leur a dit qu'ils pourraient récupérer la ferme de leurs parents et qu’on continuerait à les soutenir. Ils y ont cru à moitié, mais quand même, ils ont essayé de se maintenir. Un agriculteur, c'est quelqu'un qui, à la base, était un entrepreneur, et ça ne l'intéresse pas d'avoir 80 % de ses revenus qui viennent de la collectivité. Donc il n'est pas satisfait. Ça ne satisfait pas le consommateur non plus parce que lui, évidemment, il n'a pas envie d'aller dans le bio, il n'a pas les moyens de consommer bio. Le consommateur a plutôt intérêt à avoir des traités de libre-échange et à un démantèlement progressif du pacte protectionniste de la PAC.

La crainte de l'agriculteur, c'est de ne pas peser, d'être pas assez nombreux. Si vous n'êtes pas assez nombreux, vous ne pesez plus du tout politiquement. Et alors là, c'est un effondrement total. Le jour où les agriculteurs ne passent plus la barre qui leur donne une sorte d’influence politique, ils vont être littéralement lâchés par Paris.

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